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Comment une entreprise israélienne a infiltré la campagne de désinformation russe au Sahel

En 2021, une société israélienne, dont le cœur de métier consiste à vendre de l’influence en ligne, crée un faux profil pour infiltrer les responsables pro-russes à la manœuvre dans l’opération de désinformation et de décrédibilisation du président burkinabé Roch Marc Kaboré. Récit de cette infiltration réussie, qui n’arrêtera pas le coup d’État de janvier 2022 dans le pays.

Depuis des mois, diverses enquêtes ont montré à quel point les campagnes de désinformation pro-russe au Sahel ont permis au groupe de mercenaires Wagner d’occuper la zone, sur fond de rejet de la France. Le Washington Post rapporte, le 21 octobre dernier, l’histoire d’une opération d’infiltration menée par une société israélienne, Percepto International, au Burkina Faso. Cette entreprise, embauchée à l’origine pour lutter en ligne contre les opposants au président burkinabé Roch Marc Kaboré en 2021, serait parvenue à infiltrer des groupes de désinformation provenant de Russie. Ce cas permet de plonger dans les rouages des campagnes d’influence pro-russes au Sahel.

Tout commence cette année-là lorsque deux employés de Percepto International, une société qui se présente comme « maître de l’influence », arrivent au Burkina Faso. Ils viennent d’être embauchés pour maintenir le président au pouvoir. Leur objectif : agir en ligne pour renforcer le soutien au gouvernement, et affaiblir ses détracteurs.

Les vrais adversaires ? Pas les politiques locaux, mais… la Russie

Mais alors qu’ils avaient été engagés pour s’attaquer à ses opposants politiques et à des extrémistes islamiques, racontent-ils à nos confrères, ils s’aperçoivent assez rapidement que les vrais adversaires ne sont pas les politiques locaux. Non, la véritable menace vient de Russie, rapportent-ils. Moscou est en pleine campagne de désinformation visant à déstabiliser le pays et d’autres gouvernements du Sahel, poursuivent-ils.

Face au nombre de groupes pro-russes sur les réseaux sociaux et les messageries et aux groupes de fans de Wagner qui organisent des manifestations encensant Poutine, les deux espions alertent le gouvernement de Kaboré. Celui-ci doit mettre en place une contre-offensive très rapidement, ou il sera tôt ou tard renversé par un coup d’État, préviennent-ils. En vain, car trois ans plus tard, cinq pays ont été renversés dans la région… dont le Burkina Faso.

Une campagne de désinformation réussie pour chasser forces françaises et casques bleus

Pour Ulf Laessing de la Fondation Konrad Adenauer, un groupe de réflexion allemand de centre-droit basé au Mali, la Russie a mené une campagne de désinformation réussie. Cette dernière a été « cruciale pour chasser les forces françaises et les casques bleus de l’ONU au Mali, et pour établir une nouvelle alliance au Sahel », commente-t-il à nos confrères.

C’est alors qu’une analyste de Percepto commence un travail de longue haleine pour piéger ces groupes de désinformation. Cette francophone travaillant en Israël crée un faux profil d’un entrepreneur, qui aurait récemment emménagé dans la capitale du pays, et serait sensible au foot et au panafricanisme. L’analyste passe plusieurs semaines à donner vie à un passé crédible pour son avatar. Elle publie de fausses photos où on le voit assister à des événements sportifs et des concerts. Elle parvient aussi à le mettre en relation avec de vrais profils, avec qui ce dernier aurait fait ses études au Burkina Faso. Elle le fait adhérer à des groupes dédiés à la politique locale et aux fans de foot.

« Le piège a fonctionné, mais ils veulent maintenant nous rencontrer en personne ! »

Le faux activiste va ensuite, sur un groupe privé de Facebook dédié aux « Amis de la Russie », se plaindre de l’influence française. « L’aide russe dans notre pays serait d’une grande aide ! », écrit-il. Au fil des semaines, il devient un membre actif de dizaines de groupes pro-russes sur Telegram et WhatsApp. Il apprend ainsi comment des manifestations pro-russes sont organisées dans tout le pays. À la manœuvre, l’analyste trouve des membres de ces groupes provenant de toute l’Afrique – pour l’un d’entre eux, elle remonte même jusqu’à un centre culturel russe en Europe.

Problème : ce profil est si convaincant qu’il finit par attirer l’attention de Russes, dont certains souhaitent le rencontrer. Ce qui n’a pas manqué de faire paniquer l’analyste, qui a aussitôt appelé son patron. Le piège a fonctionné, lui explique-t-elle. « Il a si bien fonctionné, en fait, qu’ils veulent maintenant nous rencontrer en personne ! », s’exclame-t-elle. Son chef ne lui donne qu’un conseil : retarder au maximum la rencontre, et obtenir autant d’informations que possible.

« Nous devons sortir cet avatar du monde virtuel »

Ce dernier se rend illico presto au Burkina Faso et explique à son contact : « Nous sommes allés aussi loin que possible en ligne. Mais pour faire avancer cette mission, nous devons sortir cet avatar du monde virtuel ». Le gouvernement de Kaboré suit ses conseils, et trouve un collègue qui jouerait l’avatar lors d’une réunion réelle avec les Russes. Mais avant que la rencontre n’ait lieu, Kaboré doit finalement renoncer au pouvoir en janvier 2022. L’opération s’arrête là. 

Et l’entreprise finit par quitter le pays. Mais elle travaillerait désormais pour un gouvernement du Moyen-Orient et deux pays d’Asie, des nouveaux clients apparus depuis le samedi 7 octobre et le conflit entre le Hamas et Israël.

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Si tous les pays s’engagent dans des opérations d’influence en ligne, utilisant des usines à trolls et de faux profils, rappellent nos confrères, peu d’entre eux l’admettent. L’armée française aurait, elle aussi, mené une opération en ligne – avec des publications accusant les « impérialistes russes » de provoquer des problèmes au Mali, souligne le Washington Post.

Mais la campagne d’influence n’a jamais été reconnue officiellement dans l’Hexagone. Elle aurait été aussi peu efficace. Car aujourd’hui, écrivent nos confrères du Monde, dans une enquête publiée fin juillet 2023, le continent n’aura jamais été aussi russophile et francophobe.

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Source : The Washington Post


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