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Conflit au Proche-Orient : l’Europe montre ses muscles face à la désinformation sur les réseaux sociaux… pour l’instant, sans succès

Lettres de Thierry Breton, ouverture d’enquêtes contre X, Meta et TikTok, discours et recommandations de la Commission européenne… Depuis le 7 octobre dernier, date de l’attaque du Hamas contre Israël, les fausses informations et les contenus violents ou terroristes pullulent sur les réseaux sociaux. L’Europe demande aux plateformes de mettre en place des mesures rapidement, conformément au Digital Services Agreement, le règlement européen sur les services numériques. En parallèle, l’UE demande aussi aux 27 États-membres d’accélérer leur mise en œuvre du texte. Malgré toutes ces actions, la désinformation règne toujours sur les réseaux sociaux.

Le 7 octobre dernier, le Hamas menait une opération contre les populations israéliennes, conduisant en représailles au bombardement de la bande de Gaza. Depuis, les contenus oscillant entre désinformation et contenus illégaux (violents ou terroristes) se sont multipliés sur les réseaux sociaux. Entre les images provenant de guerres antérieures ou de jeux vidéo et la propagande de chaque camp – à l’image du bombardement de l’hôpital Al-Ahli Arab mardi 17 octobre, dont chaque partie au conflit se rejette la faute – difficile pour l’internaute de faire la part du vrai et du faux. 

En réaction, Thierry Breton a entamé un long chemin de croix. Le commissaire européen au Marché intérieur a commencé par adresser quatre lettres demandant à X (anciennement Twitter), Meta, TikTok et YouTube de mieux lutter contre les contenus préjudiciables, conformément au DSA. Le « Digital Services Act » est un règlement européen sur les services numériques que doivent appliquer les très grandes plateformes depuis le 25 août dernier.

Sur X, Tech Transparency Project (TTP) a par exemple montré que des comptes avaient diffusé des vidéos de propagande du Hamas contenant des images violentes et non floutées de l’attaque du groupe contre Israël, en violation des conditions générales d’utilisations de la plateforme. En retour, X a répondu avoir supprimé des centaines de comptes et des dizaines de milliers de contenus. Message similaire chez TikTok, qui a avancé avoir fermé 8.000 diffusions en direct liées au conflit. Le réseau social chinois aurait supprimé plus de 500.000 vidéos. Mais pour l’exécutif européen, ces réponses ont été jugées insuffisantes. L’Union européenne (UE) a fini par ouvrir des enquêtes – des « demandes formelles d’informations » – contre X, puis contre Meta (Facebook, Instagram) et TikTok, apprend-on ce jeudi 19 octobre.

Problème : malgré le rappel à l’ordre de l’Union européenne (UE), qui irait un peu plus loin que ce que le DSA permettrait, selon des associations, tous les moyens mis en œuvre par les plateformes n’auraient eu aucun effet. Rien ne semble pouvoir arrêter le déluge de fausses informations ou de contenus violents ou terroristes, que connaissent les réseaux sociaux depuis le samedi 7 octobre.

Pour l’Edmo : les réseaux sociaux inefficaces dans leur lutte contre la désinformation

C’est ce qu’a constaté l’Observatoire européen des médias numérique (Edmo), dans un communiqué du 17 octobre. Les mesures mises en œuvre par les plateformes auraient été inefficaces contre la désinformation dans la guerre entre le Hamas et Israël. Cet organisme indépendant composé de fact-checkers et de chercheurs est chargé, avec la Commission européenne, d’étudier la façon dont ces sociétés luttent contre la désinformation.

Ce dernier explique avoir identifié plusieurs récits de désinformation qui promeuvent des messages pro-Israël ou pro-Hamas. Il relève ainsi, pour justifier les actions du Hamas, la diffusion de « faux contenus sur des crimes de guerre, qui auraient été commis par Israël » (comme l’utilisation de bombes au phosphore). L’Edmo note aussi que d’autres messages présentent les terroristes du Hamas comme étant inhumains – même s’il est vrai que « ces derniers ont commis des actes inqualifiables », pour justifier tout type d’action à leur encontre. D’autres contenus exagèrent le soutien au Hamas de certains pays étrangers, ou renvoient encore à la théorie du complot…

Côté mesures mises en place par les plateformes, le compte n’y est pas, constate l’Edmo. L’étiquetage ou la mise en contexte d’un contenu faux ou trompeur « ne sont pas encore assez rapides et répandus », écrit l’organisme. Les « notes communautaires » de X « sont peu efficaces pour lutter contre la désinformation sur les questions polarisantes (…) », poursuit-il. « Souvent, les fausses nouvelles, vidéos ou images ne sont pas accompagnées de notes, et lorsque des notes apparaissent, elles peuvent elles-mêmes être trompeuses et nécessiter des modifications et des corrections supplémentaires », souligne l’Edmo. La suppression des contenus ne serait pas non plus assez rapide, et poserait des problèmes de transparence –  cette dernière pouvant « donner lieu à des accusations d’application arbitraire ou de censure ».

Thierry Breton serait allé au-delà du texte

Côté régulateur, Thierry Breton n’a pas hésité à publier des lettres, demandant à quatre plateformes de mieux modérer les contenus illicites, sous l’égide du DSA. Mais si l’intention était bonne, et que ces rappels à l’ordre ont précédé l’ouverture d’enquêtes pour la diffusion présumée de « fausses informations », de « contenus violents et à caractère terroriste » et de « discours de haine » pour X, Meta (Facebook et Instagram) et TikTok, le commissaire européen serait allé au-delà du texte. 

C’est ce que pensent ces 30 ONG qui ont adressé une lettre ouverte au commissaire européen, publiée sur le site de l’association AccessNow le 18 octobre dernier. Elles déplorent la confusion faite entre la désinformation et les contenus illicites – la désinformation étant « un concept large qui englobe des contenus variés, pouvant présenter un risque important pour les droits de l’homme (…). Elle n’est pas automatiquement qualifiée d’illégale et n’est pas interdite en soi par la législation européenne ou internationale en matière de droits de l’homme », rappellent les signataires, dont l’association de défense des droits numériques EDRi. À l’inverse, les « contenus illicites » comme les contenus terroristes ou les discours haineux sont bien mentionnés dans le DSA – qui impose aux plateformes de les supprimer une fois qu’ils ont reçu une notification en ce sens.

Autre élément pointé du doigt : Thierry Breton n’aurait pas dû exiger des plateformes une réponse sous 24 heures, estiment ces dernières. Il s’agirait d’un délai qui n’est pas prévu par le DSA, ajoutent-elles. Et en publiant ces lettres au nom du DSA, Thierry Breton risque « de saper l’autorité et l’indépendance de la DG Connect chargée de l’application » de ce règlement. Les ONG demandent une stricte application du texte, rappelant que les solutions prises rapidement ou à court terme « qui font allusion à la nature criminelle des “fausses informations” ou des “fake news” – sans autre précision – affectent de manière disproportionnée les groupes historiquement opprimés et les défenseurs des droits de l’Homme ». 

La Commission européenne demande aux 27 d’accélérer leur mise en application du DSA

Résultat, la Commission européenne a demandé, le 18 octobre, aux 27 États-membres d’accélérer leur mise en application du DSA, notamment en désignant rapidement les coordinateurs de services numériques (CSN) – en France, il s’agit de l’Arcom. Les 27 ont normalement jusqu’au 17 février 2024 pour le faire – mais au vu du contexte actuel, il faut le faire dès que possible, a expliqué le Commissaire européen Thierry Breton. L’exécutif européen propose aux États-membres de coordonner leurs réponses face à la diffusion de contenus illégaux, notamment via des réunions de ces CSN – ce qui permettrait de faire remonter les informations recueillies au niveau national jusqu’à Bruxelles – informations sur lesquelles la Commission pourrait s’appuyer pour exercer ses pouvoirs de surveillance et d’enquête.

Pour Thierry Breton qui s’exprimait lors d’un débat au Parlement européen, le 18 octobre, l’Europe se trouve à un tournant. Le commissaire a indiqué qu’il avait demandé aux grandes plateformes de se préparer au risque d’éventuelles exécutions en direct, par le Hamas. Pour le responsable européen, « la diffusion généralisée de contenus illicites et de désinformation (…) entraîne un risque clair de stigmatisation de certaines communautés, de déstabilisation de nos structures démocratiques, sans parler de l’exposition de nos enfants à des contenus violents ». L’Union doit réagir rapidement, de manière décisive et coordonnée, a-t-il martelé.

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