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Flux

Le mouvement dans la ville est au c?”ur de la recherche photographique de Sandrine Marc. Retranscrire le flux humain qui ‘ organise la ville ‘ est…

Le mouvement dans la ville est au c?”ur de la recherche photographique de Sandrine Marc. Retranscrire le flux humain qui ‘ organise la ville ‘ est sa problématique. Elle en fait une activité photographique numérique quotidienne, scrutant et capturant les visages, les pas, les silhouettes, les ‘ chorégraphies improvisées des piétons ‘, entre images fixes et animées.Micro Photo Vidéo : Expliquez-nous cette fascination que vous avez pour ce thème de la circulation dans la ville.Sandrine Marc : La ville est le lieu de tous les croisements. Nous la traversons chaque jour à grandes enjambées. Elle rythme notre quotidien. On en fait partie, on la fait vivre en empruntant ses réseaux, ses axes de circulation. C’est pourquoi le mouvement dans la ville m’intéresse. Je cherche à savoir comment les villes sont organisées et comment les mouvements des hommes organisent les villes. Pour cela, je marche, je me laisse guider et imprégner par la poétique urbaine.MPV : Quels lieux et quelles scènes vous inspirent particulièrement ?S.M. : J’aime appréhender différentes atmosphères, les plus denses comme les plus calmes. Les lieux de passage : les gares, le métro, les carrefours constituent mon terrain d’exploration favori. On y croise toutes sortes de gens. Le mouvement y est incessant. Les points de vue en hauteur me permettent d’observer le va-et-vient des habitants, leurs pas qui se croisent et dessinent des lignes qui se font et se défont. C’est une sorte de chorégraphie urbaine. La ville est un spectacle. Je la capture en plans larges et diffus sur la masse anonyme, comme en plans serrés sur des visages, des portraits isolés, extirpés de la foule.MPV : Vous photographiez en terrain public. Comment procédez-vous, aussi bien d’un point de vue logistique que photographique ?S.M. : L’appareil photo accompagne tous mes déplacements. Je l’emporte partout, tous les jours. Ainsi, lorsque je croise quelque chose qui attire mon regard, je peux l’enregistrer. Pour photographier dans des lieux publics tels que les gares, les jardins… je demande une autorisation que j’obtiens sans difficulté, mais qui s’accompagne de contraintes : interdiction de poser un trépied, pas de flash… Lorsque j’enregistre des séquences, c’est-à-dire quand je capture à répétition en vue d’en faire un film animé, le cadre doit rester fixe. Dans ce cas, j’utilise, quand cela est permis, un trépied. Je privilégie la lumière naturelle, si possible un temps ensoleillé et contrasté, des cadrages frontaux prix au 35 mm, des décors épurés, des temps de pose allongés pour saisir la trace du passage. Souvent, les gens sont intrigués par ce dispositif, ils me questionnent et l’appareil photo devient un outil de rencontre. L’échange est souvent bref. Certains passants souhaitent poser spontanément pour un portrait. La plupart du temps, il s’agit de gens démunis, qui n’ont pas de ‘ moyens photographiques ‘. Je note leur nom et leur adresse pour leur envoyer le cliché.MPV : Vous utilisez depuis peu le Canon 20D. Expliquez-nous ce choix et l’importance de l’outil numérique dans votre démarche d’enregistrement systématique et continu.S.M. : J’ai démarré mes images de rue avec des appareils compacts argentiques discrets et légers, comme les Olympus Mju 2 ou Ricoh GR1s. Mais j’ai eu vite envie d’enregistrer toujours plus d’images, plus souvent. Cela devenait trop cher et compliqué. La photo à volonté, sans la contrainte du nombre d’images et du coût de fabrication, n’était possible qu’en numérique. J’ai recherché un appareil capable de répondre à mes besoins, professionnels ou pas ?” commandes de portraits, architecture ou illustration ?”, et ai choisi le Canon 20D pour sa haute résolution de 8 millions de pixels et son mode rafale élevé à cinq images/seconde. J’ai opté pour Canon car l’ergonomie me semblait meilleure, les menus et fonctions plus accessibles que chez d’autres fabricants. Le numérique m’a tout de suite amenée à avoir une approche différente de l’image. J’ai commencé à enregistrer plusieurs images d’une même scène et, petit à petit, je me suis rendu compte que je récoltais là un matériau susceptible de transcrire ma vision du mouvement entre instants figés et séquences saccadées. Je stocke, j’accumule les données puis je les assemble sous une forme fixe ou animée. Seuls inconvénients avec le 20D : son poids et son volume. Aujourd’hui, je pense acheter un compact numérique discret dédié à ces prises de vues urbaines. Pourquoi pas le Ricoh GRD ?MPV : Avec vos séquences d’images photographiques, vous réalisez des planches graphiques assemblant dans l’espace plusieurs images fixes, ou des montages vidéo assemblant dans le temps ces instants. Dans ce dernier cas, pourquoi utilisez-vous la photographie et non directement la vidéo ?SM : L’image photographique fige la ville, elle la découpe et la momifie. Lorsque je cadre, je choisis, j’isole, je prélève des fragments urbains. Je les anime ensuite pour retranscrire le mouvement des gens, leur manière d’appréhender l’espace. Mes montages image par image me permettent de dessiner plus lisiblement ces flux. En vidéo, je pourrais prélever des photogrammes dans les séquences, mais la résolution d’une caméra vidéo étant plus faible que celle d’un appareil photo, la qualité d’impression serait plus limitée. Ma démarche est avant tout photographique. Parfois, il m’arrive d’assister à des scènes insolites qui mériteraient d’être filmées dans leur intégralité, mais je ne suis pas encore équipée. Cela viendra peut-être…MPV : Comment procédez-vous à l’assemblage animé de vos captures ?S.M. : Sur ma table de montage numérique, je sélectionne et marque dans un premier temps les images qui me semblent intéressantes, comme une sélection sur planche-contact. Je les ordonne ensuite avec le logiciel iViewMedia, puis les monte sur la time line de iMovie ou de FinalCut. Ce qui signifie que je leur attribue à chacune une chronologie et une durée pour rythmer, accélérer, ralentir ou arrêter leur lecture et insister sur les choses invisibles au regard quotidien. J’obtiens ainsi de courtes séquences de quelques minutes. Ces assemblages animés sont le prolongement des maquettes de petits livres imprimés que je crée sous InDesign, un logiciel de mise en page. Si j’aime traduire le mouvement dans mes films, j’aime aussi les monter sur papier et réfléchir au concept de livre-objet.MPV : Par le rythme saccadé du deux images par seconde, vos films évoquent parfois les débuts du cinéma, ou avant cela les travaux chronophotographiques d’Étienne-Jules Marey ou Eadweard Muybridge. Est-ce volontaire ? Quelle esthétique recherchez-vous ?S.M. : Le travail de Marey est fascinant. Il était avant tout un scientifique qui cherchait à comprendre la nature et les êtres vivants. Il a observé les phénomènes scientifiques et essayé de les transposer dans un autre langage : celui des images. Ces planches de recherche, les dispositifs mis en place comme l’étude du mouvement de l’air sont magnifiques. Ma démarche n’est pas du tout scientifique mais, esthétiquement parlant, Marey ou Muybridge sont des influences. Le travail des photographes américains des années cinquante comme Robert Franck, Walker Evans ou encore Lee Friedlander sont aussi de précieuses références pour moi. Ce sont des images documentaires, auxquelles s’ajoute une dimension auto-biographique. Leur cadre est dynamique, énergique, le flou de bougé introduit dans l’image un frémissement de vie. Il en émane aussi un sentiment de flux.MPV : Vous ajoutez, dans vos montages animés, le son composé ‘ d’ambiances ‘ et de voix off. Quel rôle joue-t-il ?S.M. : Celui d’appuyer le rythme du montage image, bien entendu, mais aussi celui de caractériser le lieu, quand il fait défaut. Par exemple, dans mon film Impressions Passagères-Gare du Nord, j’ai dû sonoriser l’espace visuellement inexistant. Tout est né d’une contrainte, celle de l’interdiction de poser un pied photo dans une gare, donc de conserver un cadre stable, un décor fixe. Pour y remédier, j’ai pris le parti graphique de surexposer le sol en un aplat blanc. Je mets ainsi l’accent sur cette danse circulatoire menée spontanément autour d’un personnage central statique. Mais il fallait ensuite faire comprendre le lieu, non plus par l’image mais par le son. J’ai donc ajouté des annonces faites dans les gares (des appels à la vigilance) mixées en rythme avec les images sur un beat électronique. Ce travail sonore est un travail de composition complexe que je ne suis pas capable de mener seule. J’ai donc fait appel à deux amis qui ont mixé mes prises de sons in situ sur un beat. Lors de mon dernier voyage à Tokyo, j’ai enregistré à nouveau des ambiances. Je pensais à cet ingénieur du son perdu dans le film Lisbon Story de Wim Wenders, qui cherche à sonoriser un film muet laissé inachevé.MPV : Vous revenez donc de Tokyo, la ville fourmilière par excellence. Que vous a-t-elle inspiré ?S.M. : Pour un premier voyage en Asie, Tokyo fut une ville très impressionnante et difficile à cerner en à peine deux semaines. J’étais perdue en permanence, en immersion sensorielle totale. J’ai beaucoup marché les yeux rivés sur cette foule si dense et à la danse urbaine si fascinante. J’ai photographié les passants dans la rue, des portraits en mouvement, composés de trois ou quatre images. Je travaille en ce moment sur le montage d’un nouveau diaporama.MPV : Avez-vous photographié les dernières grandes manifestations en France ?S.M. : Non, et pourtant il est intéressant de voir à quel point ces mouvements de masse perturbent le flux. Les mieux placés pour assister à ces défilés sont les caméras de surveillance. Elles enregistrent en continu ce qui leur est stratégiquement donné à voir. Elles sont instruments de pouvoir et de contrôle, elles transmettent l’information en temps réel. Je me demande quelles sont les réactions et les décisions prises par les observateurs au centre de ce système panoptique, lorsque ce genre d’événements se produit !

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Marilia Destot