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Dans les coulisses des hot lines

Des milliers d’abonnés à Internet sont au bord de la crise de nerfs quand il s’agit de joindre l’assistance technique de leur fournisseur d’accès. Voilà comment ça se passe en coulisse.

L’assistance technique, qui ne s’en est jamais plaint ? Temps d’attente interminable, réponses laissant à désirer, conversations surfacturées… Nombre d’internautes ont beaucoup à dire sur la hot line de leur fournisseur d’accès.Il y a quelques mois, sous la pression des associations de consommateurs, le Gouvernement s’en est ému, et a tenté d’imposer au moins la gratuité du temps d’attente pour les abonnés, qu’il s’agisse d’Internet ou de téléphonie mobile. Actuellement, seuls cinq opérateurs (Alice, Orange, SFR, Club Internet et Neuf-Cegetel-AOL) ont répondu à cette demande. S’il y a des réticences, c’est pour une raison toute simple : cette décision implique d’intégrer aux centraux téléphoniques des entreprises un dispositif capable de mesurer précisément cette attente. Un investissement que beaucoup de FAI refusent de faire tant que la loi ne les y force pas.En effet, contrairement à une idée reçue, un service d’assistance technique, même payant, ne rapporte pas d’argent. Au contraire, il coûte cher. Alice le chiffre à plusieurs dizaines de milliers d’euros par an, tandis que Club Internet, se basant sur les chiffres de l’Association des fournisseurs d’accès (AFA), l’estime à un euro à la minute. Soit trois fois plus cher que les 34 centimes payés par l’abonné ! En moyenne, les effectifs des hot lines comptent de 800 à 1 200 personnes. Mais seulement 30 à 50 % des téléconseillers sont des salariés de l’entreprise. Le reste des appels est envoyé vers un prestataire externe. Seule exception, Free. L’opérateur dispose de son propre plateau technique en plein Paris, Centrapel, qui ne travaille que pour lui, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Deux heures pour manier Vista

80 % des coûts correspondent aux frais de personnel, c’est-à-dire aux salaires et à la formation. Pour les hot lines, l’une des principales difficultés consiste en effet à former les téléconseillers, et si possible bien, pour qu’ils règlent les problèmes des abonnés le plus rapidement possible. Là encore, ne croyez pas que les conseillers ont intérêt à traîner au téléphone pour faire grimper la facture. Au contraire : plus ils prennent d’appels, mieux c’est.En matière de formation, les différences de politiques sont importantes d’un FAI à l’autre. Chez Orange, la hot line interne est constituée de téléconseillers venus du ‘ 10 13 ‘ (les services techniques de France Télécom) et qui ont eu deux semaines à peine pour se former aux problèmes spécifiques d’Internet, de l’ADSL et de la télévision sur IP. Quant aux mises à niveau, on ne perd pas de temps non plus : deux heures seulement pour comprendre Vista ! ‘ On n’est pas formé à utiliser les logiciels, juste à savoir où se trouvent les menus ‘, avoue Brigitte, salariée de France Télécom depuis trente ans. La plupart des autres opérateurs préfèrent recruter sur tests des personnes ayant déjà un bagage technique (bac ou bac + 2) puis les former en quinze jours à un mois. Une formation qui porte surtout sur la connaissance des offres et la gestion de la relation client (comment répondre aux abonnés excédés, par exemple !). Ensuite, ils sont étroitement surveillés les dix premiers jours (leurs conversations sont écoutées) par un conseiller plus expérimenté avant d’être ‘ lâchés dans la nature ‘.Chez les prestataires externes, c’est encore plus variable. Ainsi, Loïc, 29 ans et sans aucun diplôme, travaille chez SCC pour trois clients différents : ‘ Lorsque le téléphone sonne, on voit le nom du client concerné et on ouvre le logiciel correspondant, avec la bonne phrase :” Support machin ou truc, bonjour “. Je n’ai eu aucune formation particulière. Grâce à Internet, on récupère les informations sur le matériel des clients et sur les trois ou quatre logiciels qui nous servent à gérer les appels. Il y a bien des procédures, mais je les ai apprises sur le tas avec mes collègues en une dizaine de jours. ‘

Tout pour stabiliser les conseillers

A l’opposé, chez Webhelp, le temps de formation est bien défini : un mois pour la gestion de la relation client et un mois pour maîtriser les outils du FAI auquel ils sont attachés. Si le conseiller change de FAI, il repart pour un mois en formation.Une fois ces conseillers formés, reste à ‘ rentabiliser l’investissement ‘, c’est-à-dire à les convaincre de rester le plus longtemps possible dans l’entreprise. Pas facile, dans une profession assez stressante, quand les employés sont jeunes (de 25 à 30 ans), et pas très bien payés (entre 900 et 1 750 euros nets par mois). Sans compter les horaires plutôt contraignants, surtout si les hot lines sont ouvertes 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. ‘ C’est peut-être le plus dur, confie Carine. Nous travaillons en général une semaine de jour, une semaine de nuit ou deux semaines de jour, deux semaines de nuit, sept jours sur sept avec deux jours de repos flottants ‘.Même en connaissant ses plannings à l’avance, il est bien difficile de prévoir ses week-ends. Résultats : les téléconseillers ne restent en poste qu’un an et demi en moyenne.Pour les retenir, certaines hot lines offrent à leurs salariés leur abonnement à Internet, d’autres, plus pingres, ne leur consentent qu’un tarif préférentiel ! Mais toutes ont instauré un système de prime au rendement qui peut augmenter le salaire jusqu’à 500 euros par mois. Parmi les critères : l’assiduité, c’est-à-dire le temps effectif passé chaque jour à répondre aux appels, la durée moyenne des communications, le respect de la charte d’accueil, l’efficacité du diagnostic (pour éviter que l’abonné ne rappelle une deuxième fois), etc.

Une seule solution : la délocalisation

Pour satisfaire ces critères, les salariés doivent accepter que leurs conversations soient écoutées et, parfois, faire l’impasse sur leurs temps de pause légaux. Ainsi, Soof raconte : ‘ Dans notre équipe, il ne peut pas y avoir plus de deux personnes en pause à la fois. Pour s’absenter, il faut systématiquement demander l’autorisation à notre superviseur ou au chef de plateau. Et si on a fait un appel sortant (c’est-à-dire lorsqu’on a rappelé l’abonné), il faut prendre un appel entrant avant de se mettre en pause. Résultat, notre temps de repos d’une demi-heure par jour (hors temps de repas) est souvent sacrifié. ‘ On ne s’étonnera donc pas que les fournisseurs d’accès, comme les prestataires spécialisés, soient de plus en plus séduits par la délocalisation d’une partie de leur service de hot line, notamment au Maroc, en Tunisie et en Roumanie ?” où se trouvent beaucoup de francophones ?”, et où les salaires sont moins hauts qu’en France tout en étant au-dessus de la moyenne du pays. Ce qui permet de recruter des conseillers d’un niveau souvent plus élevé et de les fidéliser. Bien entendu, les discours se veulent rassurants. Ainsi, explique un porte-parole d’Alice : ‘ L’ADSL est déployé au Maroc, mais pas la télévision sur IP, nous n’allons donc pas confier à nos prestataires ce type d’appels ‘. Pourtant Julien Trotta, directeur opérationnel de Webhelp, dont 3 500 des 4 500 salariés travaillent à l’étranger, confie : ‘ Sur la partie technique, tout passer à l’étranger est faisable. J’ai même un client qui nous demande de passer sa hot line de niveau 2 à Rabat. ‘ On n’en saura pas plus ; l’opérateur en question ne veut pas risquer des mouvements de grève de sa hot line interne…

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Stéphanie Chaptal