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« SISPoPP » : quel est ce nouveau fichier utilisé dans des tribunaux, qui inquiète tant les défenseurs des droits ?

Un nouveau fichier partagé, appelé « SISPoPP », est en train d’être mis en place dans des tribunaux. Autorisé par un décret paru en octobre, il vient d’être attaqué devant le Conseil d’État par sept organisations. Comprenant des données personnelles particulièrement sensibles – comme les opinions politiques ou les orientations sexuelles, pour certains cas – il inquiète ces syndicats et associations – dont les syndicats de la magistrature et des avocats de France. Voici pourquoi.

Depuis des mois, le ministre de la Justice travaille sur un nouvel outil : SISPoPP pour « système informatisé de suivi de politiques pénales prioritaires ». Un décret autorisant ce fichier est paru en octobre dernier, et certains tribunaux ont commencé à le mettre en place. Mais selon Mediapart, le 21 décembre 2023, il ferait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État. La requête a été formée par sept organisations : le Syndicat de la magistrature, le Syndicat des avocats de France, la Quadrature du Net, la Ligue des droits de l’Homme, SOS Homophobie, la CGT, et Solidaires.

À l’origine, SISPoPP avait un objectif : permettre aux juges d’accéder à davantage d’information lorsqu’ils doivent statuer sur des affaires de violences familiales. L’idée était de créer un fichier qui mettrait par exemple à un juge des affaires familiales de savoir si le juge des libertés et de la détention a déjà été saisi pour des personnes faisant partie de ses enquêtes. Jusqu’à présent, l’information était comme cloisonnée, elle ne circulait pas entre parquets. Si cela semble une bonne idée, les législateurs sont allés plus loin. Au lieu de se cantonner au sujet initial, le fichier a finalement été élargi à d’autres secteurs, expliquent nos confrères.

Une extension de son champ d’application ?

Si le décret liste bien « la lutte contre les violences intra-familiales », il vise aussi d’autres objectifs comme :

  • la « lutte contre les infractions commises dans le cadre ou en marge des événements de nature à entraîner un danger grave et imminent pour la sécurité ou l’ordre public »,
  • la « lutte contre les atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou aux personnes chargées d’une mission de service public »,
  • la « lutte contre les infractions commises sur un périmètre local déterminé et suivies dans le cadre des instances partenariales auxquelles participent les magistrats »,
  • la « lutte contre les trafics de stupéfiants »,
  • la « lutte contre les atteintes à l’environnement pénalement réprimées », et
  • la « lutte contre la radicalisation violente ».

À côté de cette extension, c’est surtout le type de données personnelles, pouvant être enregistrées, qui a suscité l’ire des syndicats et des associations. Dans le corps du décret, les données personnelles qui pourraient se retrouver dans ce fichier sont bien définies. Certaines d’entre elles sont plutôt attendues, comme des informations liées à l’identification des victimes, des personnes mises en cause ou en examen, ainsi que des témoins assistés et des personnes signalées. On peut y trouver aussi des données relatives à leur situation professionnelle, patrimoniale ou familiale. Mais il faut se rendre dans les annexes du texte pour comprendre ce qui a inquiété les associations et les syndicats. On peut en effet y lire que dans certains cas, pour certaines politiques pénales, d’autres données pourraient être enregistrées, telles que :

  • des données relatives aux opinions politiques et à l’appartenance syndicale
  • des données concernant la vie sexuelle ou l’orientation sexuelle d’une personne physique
  • des données relatives aux convictions religieuses
  • des données de santé
  • des données révélant l’origine raciale ou ethnique
  • et des données génétiques et biométriques.

Ces données ne sont pas conservées ad vitam æternam. Elles subsistent pendant trois mois pour tous ceux à l’encontre de qui aucune procédure judiciaire n’a été ouverte. Cela monte à trois ans pour les victimes, les mises en causes, en examen, les personnes placées sous le statut de témoin assisté, poursuivies ou condamnées concernées par les politiques pénales prioritaires.

Des garanties de confidentialité insuffisantes, au vu de la sensibilité des données

Or, pour les sept organisations qui ont déposé la requête auprès du Conseil d’État, les garanties de confidentialité de ce fichier ne seraient tout simplement pas suffisantes, au vu de la sensibilité des données, soulignent nos confrères. Pourtant, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) avait donné son aval en juin dernier. Le gendarme de la vie privée avait souligné, dans sa délibération, « qu’un contrôle strict (du fichier) devra être assuré », et que « les chefs de juridiction réaliser(ont) un contrôle du traitement deux fois par an ».

Mais pour le syndicat des magistrats, le fichier pourrait être consulté par toutes les professions de la justice : les juges, bien sûr, mais aussi les greffiers, les assistants, les agents de l’administration pénitentiaire, des associations de victimes, et parfois même les préfets et les élus, détaille Mediapart. Pour Thibaut Spriet, membre du bureau national de ce syndicat, interrogé par nos confrères, le fichier va « beaucoup trop loin, surtout pour ce qui concerne la liste des données pouvant être contenues dans le fichier et la liste des personnes pouvant y avoir accès ».

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Source : Mediapart


Stéphanie Bascou
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