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Pourquoi les femmes astronautes sont si peu nombreuses et pourquoi ça va changer

Elles représentent 10 % des effectifs, mais aussi 10 % des candidates. Malgré la volonté de changer, le plafond de verre pour aller dans l’espace résiste. Retour sur une conquête inégale. 

Bientôt soixante ans que le premier homme a été envoyé dans l’espace (1961), et presque autant pour la première femme (1963). Mais, sur 564 astronautes que le monde compte aujourd’hui, seulement 56 sont des femmes dont la moitié sont américaines, quatre russes et une française. Pourquoi sont-elles si peu nombreuses ?

D’abord, la conquête de l’espace est une histoire d’hommes, écrite par les hommes et taillée pour les hommes. Si la première femme à voler dans l’espace, Valentina Terechkova, suit de deux ans seulement son compatriote russe, Iouri Gargarine, il a fallu attendre près de vingt ans pour envoyer une autre femme dans l’espace. Dans un contexte de Guerre froide, l’URSS vient de faire deux gros « coups ». Une fois le buzz consommé, l’intérêt disparaît. 

Le sang, le rouge-à-lèvres et les larmes

Aux États-Unis, les femmes ne peuvent alors même pas y prétendre. Créée en 1958, la Nasa édicte une règle : pour devenir astronaute, il faut être pilote de chasse, et donc militaire – ce qui exclue de facto les femmes. 
« Au départ, les astronautes avaient pour principale mission de piloter les vaisseaux, et le pilotage était réservé aux hommes », nous explique Philippe Droneau, médiateur spatial de la Cité de l’espace à Toulouse.

Ce n’est qu’au début des années 1980, lorsque l’appel à candidatures s’ouvre aux civils, que les Américaines, comme les Françaises, sont autorisées à y participer. En 1983, l’astrophysicienne Sally Ride est la première Américaine à quitter la Terre. 

Après avoir été choisie parmi 8 000 candidats, elle n’est pourtant pas au bout de ses peines. Alors qu’elle se prépare, les ingénieurs de la Nasa lui suggèrent par exemple de prendre 100 tampons pour sa mission qui ne dure pourtant qu’une semaine. Pour l’occasion, l’agence spatiale créé aussi un kit de maquillage à emporter dans l’espace. Elle ne l’emportera pas. Les médias s’en donnent également à coeur joie.
Sous prétexte que c’est une femme, les journalistes lui posent des questions frivoles.  La pire ? « On m’a demandé si j’avais pleuré quand nous avons rencontré des dysfonctionnements dans le simulateur », déplore-t-elle à son retour, face à Gloria Steinem (voir l’interview ci-dessous). 

« Les femmes astronautes résistent mieux »

Pourtant, les Américains auraient pu être avant-gardistes. En 1959, le docteur William R. Lovelace, responsable de la science de la vie à la Nasa, avait décide de tester l’aptitude des femmes à réaliser des vols spatiaux via un programme financé par le secteur privé appelé « Mercury 13 ».
Ses tests révèlent que les 13 candidates sur 25 remplissent tout à fait les conditions physiques et physiologiques pour suivre les mêmes entraînements que leurs collègues masculins – voire mieux pour certaines. 

« Les femmes résistent mieux et plus longtemps que les hommes à la souffrance, à la chaleur, au froid, à la monotonie et à la solitude […] elles pèsent moins lourd, mangent moins et consomment moins d’oxygène », explique l’une d’entre elles, Jerrie Cobb, à la télévision en 1963. 

Mais, les mentalités sont encore trop étroites pour imaginer des femmes dans l’espace. La même année, le magazine Life s’en fait l’échos. Coup sur coup, le journal sort deux Unes, la première montre les sept astronautes américains, la seconde leurs épouses. Le message est clair : les hommes dans les espaces, les femmes à la maison.

TIME – Unes septembre 1959

En 1962, le témoignage de l’un de ces space cowboys, John Glenn, acte cette vision du monde devant le Congrès américain :

« Les hommes partent à la guerre et pilotent des avions. C’est un fait […] Les femmes sont absentes dans ce domaine. C’est un fait. Cela est dû à notre ordre social. »

Alors, faudrait-il pourquoi le perturber ? 

« Elles vont nous piquer des vols »

Les raisons sont donc politiques – ou plutôt résultent d’un manque de volonté politique. L’arrivée de ces jeunes femmes dans les corps d’astronautes modernes a effectivement pu générer des angoisses chez les hommes déjà bien installés dans les couloirs des agences spatiales.

« C’est un milieu ultra-compétitif, au départ les hommes ont vu les femmes comme une menace », nous confie l’astronaute français Jean-François Clervoy, recruté dans les années 1980, aujourd’hui à la retraite. « “Elles vont nous piquer des vols” s’inquiétaient certains. »  

Ensuite, de manière très pragmatique, le vivier de sélection des astronautes provient de métiers à dominante masculine : les mathématiques, la physique, la chimie, l’astronomie, la biologie, l’ingénierie, la médecine, etc. Pour postuler, il faut au minimum avoir un doctorat dans une de ces « sciences dures ».

En France, 45% des élèves des terminales scientifiques et techniques sont des filles, mais elles ne représentent plus que 25 % des élèves en licence, master ou doctorat de sciences fondamentales d’après une étude de l’institut Gender Scan publiée en 2017 [PDF].

En résulte le cercle vicieux classique engendrant une autocensure : il y a peu ou prou de femmes astronautes, les petites filles n’ont donc pas de modèles auxquels s’accrocher et n’embrassent finalement pas ce genre de carrière. 

Barbie Samantha 

Face à ce constat d’échec, attirer des femmes est devenu un des objectifs des agences spatiales. Et tous les moyens sont bons. L’agence spatiale européenne (l’ESA) a par exemple créé avec l’entreprise Mattel, l’année dernière, une poupée Barbie à l’effigie de Samantha Cristoforetti, seule astronaute européenne active. En combinaison bleue d’entraînement ou en scaphandre, cette pilote de chasse de 43 ans est devenue une icône. 

L’ESA

Mais cela sera-t-il suffisant pour le prochain appel à candidatures qui aura lieu (normalement) en janvier 2021 ? Il est difficile de le dire tant le plafond de verre est ancien et résistant. 

En 2008, la proportion de femmes candidates lors de la dernière sélection européenne s’élevait à 15 %, sensiblement la même qu’en 1985 lorsque Claudie Haigneré est devenue la première Française à devenir astronaute (env 10 %).
Selon elle, le plus gros frein à l’embauche de femmes dans l’aérospatial reste l’autocensure de celles-ci. Ce dont elle dit n’avoir pas souffert : 

« Quand j’ai postulé, je ne me suis même pas posé la question. C’est seulement face à la presse, que je me suis rendue compte que j’étais la seule femme sur les sept sélectionnés ! D’un coup, tous les micros se sont tournés vers moi », se souvient celle qui a volé dans l’espace en 1996 et en 2001.

Depuis, aucune autre femme française n’est devenue astronaute. 

Mars, un grand pas pour la femme ? 

Outre-Atlantique, les choses ont bien changé. Sur les 38 astronautes américains aptes à voler, 12 sont aujourd’hui des femmes. Les dernières promotions ont même été paritaires : quatre femmes et quatre hommes en 2013, cinq femmes et sept hommes en 2017. 
Actuellement dans la station spatiale internationale (ISS), on dénombre quatre Américains, dont une femme, Kathleen Rubin et trois Russes. Cette dernière, biologiste de formation, est la première de tous les astronautes à avoir réussi un séquençage d’ADN dans l’espace. Et d’autres femmes devraient réaliser de nouvelles prouesses d’ici peu.
En 2024, la Nasa prévoit que « la prochaine personne sur la Lune soit une femme et la première sur Mars aussi », a affirmé son administrateur Jim Bridenstine en mars 2019. 

Au final, il y a peu de femmes dans l’espace parce qu’elles n’ont été invitées que tardivement – quitte à être malmenées. Désormais, elles sont très recherchées par les agences spatiales pour constituer des équipages mixtes. La volonté d’inverser la vapeur est là, mais les modèles féminins manquent encore. Un fait « regrettable » pour Claudie Haigneré, qui a fait de la promotion de la diversité dans l’espace sa principale mission.

Pour elle, « aujourd’hui, il n’y a vraiment aucune raison objective pour que les petites filles se disent ‘‘ce n’est pas pour moi’’. »

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Marion SIMON-RAINAUD