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Flow Machines, le logiciel qui fera de vous un Bob Dylan

Le chercheur François Pachet planche sur un outil informatique pour stimuler la créativité des musiciens et des écrivains. Grâce à de puissants algorithmes, il devient possible de modéliser le style de n’importe quel artiste… et de jouer avec.

En 2004, le pianiste de jazz Albert van Veenendaal est confronté au Continuateur. Cet instrument au nom tout droit tiré d’un roman de science-fiction est commandé par un ordinateur capable d’apprendre et de reproduire des phrases musicales dans le style de l’interprète. L’homme et la machine se relayent durant une session d’improvisation. Et des critiques sont priés de déterminer qui joue. Surprise, ils vont se montrer incapables de les distinguer. Le Continuateur a réussi son test : c’est un parfait imitateur de l’homme !

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Un chercheur passionné de jazz

Derrière le Continuateur, il y a un homme : le chercheur français François Pachet, par ailleurs musicien et passionné de jazz. Durant les années qui vont suivre, il va continuer ses tests. Mais c’est en 2011 et grâce à l’obtention d’une aide de 2,2 millions d’euros de l’ERC (Conseil Européen de la Recherche) qu’il va pouvoir passer à la vitesse supérieure. Dans le labo du Sony Computer Science Laboratory qu’il dirige au cœur du quartier latin, il décide de se lancer dans une entreprise un peu folle : mettre au point un logiciel capable de stimuler la créativité d’un musicien ou d’un écrivain. Le projet de recherche est baptisé « Flow Machines ».

« Pour être créatif, il faut inventer un style. L’idée est de mettre à la disposition de l’artiste des outils informatiques pour improviser, prendre chez d’autres une manière de faire de la musique et jouer avec de nouvelles idées », nous explique François Pachet.

Générer automatiquement du texte et de la musique

L’équipe de Flow Machine a commencé par développer des algorithmes en s’inspirant des chaînes de Markov. En 1913, le mathématicien russe Andrei Markov avait étudié les 20 000 premières lettres du roman Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine. Et il s’était rendu compte qu’elles suivaient des motifs très précis, réalisés par l’auteur de façon inconsciente. Par exemple que chaque lettre était conditionnée par celle qui la précède. Il en avait tiré un modèle mathématique de probabilité en chaînes qui porte aujourd’hui son nom. Il permet de générer de façon aléatoire toute forme artistique séquentielle : mélodies, textes, chansons, ou encore bande-dessinée.

On peut ainsi demander à la machine de produire un texte à la manière de Proust… mais que le célèbre auteur n’a jamais écrit ! A condition, bien entendu, d’avoir enregistré préalablement tout un corpus de ses oeuvres. Concrètement, le logiciel va aller collecter plusieurs extraits des écrits de Proust, puis les associer entre eux en trouvant des combinaisons de manière à ce que les transitions soient fluides et transparentes.

Le style comme une pâte à dentifrice à appliquer

Mais Flow Machine va bien au-delà de la simple imitation. Ses algorithmes sont capables de prendre en compte, en plus, des contraintes définies par l’utilisateur. Comme un certain nombre de notes, un type d’accord ou encore un rythme particulier. « On voulait pouvoir tordre le style d’un artiste, lui imposer une structure. Mais le problème mathématique devient alors beaucoup plus difficile à résoudre parce qu’on demande au logiciel d’explorer une quantité gigantesque de possibilités, le tout dans un temps raisonnable », souligne François Pachet.

Et ce n’est pas tout. En plus de ces contraintes, se posait un second obstacle : reproduire des bouts d’oeuvre suffisamment courts pour éviter de faire du plagiat. Ce qui rendait les transitions encore plus difficiles à réaliser. Une gageure relevée haut la main par l’équipe de Flow Machines.

C’est François Pachet qui m’en fait la démonstration sur son ordinateur. « Imaginons que je veuille composer une valse dans le style du pianiste Bill Evans. Mais je lui demande un morceau avec seulement 20 notes, et j’ajoute qu’il doit commencer par un do et se terminer par un sol. » Il lance la requête sur Flow Machine. Et au bout de quelques secondes seulement, le logiciel fait entendre un morceau cohérent qu’on croirait composé par Bill Evans. « De cette manière, le style devient comme une pâte dentifrice à appliquer », résume le chercheur.

Reste à tester le logiciel sur le public…

Bande-dessinée, albums, concerts, François Pachet fourmille de projets gravitant autour de Flow Machines. Son prochain défi ? Descendre dans le métro pour tester sur le public les morceaux générés par son logiciel. Il a même passé une audition à la RATP et obtenu l’accréditation qui lui permettrait d’y jouer. Ne reste plus qu’à surmonter le trac pour s’y produire. Mais là, aucune machine ne pourra l’aider….

Voir la vidéo de démonstration de Flow Machine :

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Amélie Charnay