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Votre mission : éradiquer le piratage

Riposte graduée, suspension de la connexion… Décryptage du rapport Olivennes.

Comment lutter contre le piratage des ?”uvres culturelles sur Internet ? Denis Olivennes, PDG de la Fnac, a été chargé par le gouvernement de travailler sur la question. Son rapport a été remis le 23 novembre dernier au président de la République à l’Elysée.Cette mission sur ‘ le développement et la protection des ?”uvres culturelles sur les nouveaux réseaux ‘ a abouti à un accord interprofessionnel autour de treize engagements, rassemblant 42 signataires, dont les pouvoirs publics, les fournisseurs d’accès à Internet et les ayants droit.Le président de la République a salué un accord ‘ solide et équilibré ‘, le qualifiant de ‘ moment décisif pour l’avènement d’un Internet civilisé ‘. ‘ Internet, a-t-il déclaré, ne doit pas être un ” Far West ” high-tech, une zone de non-droit où des ” hors-la-loi ” peuvent piller sans réserve les créations, voire pire, en faire commerce sur le dos des artistes. ‘ Selon lui, la France aurait même peut-être trouvé le ‘ graal ‘ permettant de résoudre le problème de la piraterie que cherchent à endiguer partout dans le monde professionnels et gouvernements. Pas moins. Quel est donc ce graal français ? Sans surprise, c’est la voie de la répression.

Juste un effet d’annonce ?

Même de bonne foi, Denis Olivennes n’en reste pas moins PDG de la Fnac, acteur incontournable du téléchargement légal. Et les ‘ acteurs ‘ du domaine sont les industriels de la culture de masse. Ce qui explique l’absence des associations de consommateurs ou d’internautes comme signataires. Et le peu de propositions concernant les tarifs et les niveaux de rémunération des artistes. Ce qui compte, c’est de faire comprendre que l’industrie souffre dans son porte-monnaie, et que les pirates en sont responsables… Seule mesure incitative, le retrait des DRM (protection des droits) pour le catalogue français est emblématique : il n’est pas purement obligatoire.

Un accord délicat à mettre en place

Pour appliquer l’accord, loi et dispositions réglementaires seront de toute façon nécessaires. Un texte sera proposé au Parlement dès avril 2008, avec un vote avant l’été. Ce qui implique des débats houleux à venir, comme pour la loi Dadvsi en 2006. Car des garanties sont nécessaires pour que l’autorité ne soit pas un simple bureau de validation des plaintes des ayants droit, instituant de fait une police privée de l’Internet. La constitution du fichier des abonnés sur liste noire demande la validation, loin d’être évidente, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.Quant aux obstacles techniques et d’usage, quid des abonnés au triple play qui, privés de connexion, se verraient de fait privés de télévision et de téléphone ? La mise en place de solutions de filtrage s’avère techniquement délicate. Ensuite, quels usages des contenus culturels seront considérés comme légaux ? La bande-son d’une vidéo personnelle déposée sur YouTube justifiera-t-elle un retrait de la vidéo, voire une sanction pour les internautes l’ayant téléchargée ?Avec un vote de la loi à l’été 2008 au mieux, l’application de la totalité des points de l’accord amènera au moins jusqu’à 2010. D’ici là, l’évolution des usages, avec la multiplication des offres de téléchargement ‘ illimité ‘ de musique ?” comme ceux mis en place par Neuf et Alice ?” risque de rendre obsolète l’accord. Tout comme les inévitables réponses techniques des pirates, par exemple le cryptage des contenus téléchargés ou encore l’anonymat des connexions.

Personne n’est à l’abri

Concernant les rares mesures incitant au téléchargement légal, combien de pirates changeront leurs habitudes parce qu’un film en VoD (vidéo à la demande) sera disponible six mois après sa sortie en salle ?… Le message aux internautes est, en revanche, parfaitement clair : le piratage, c’est mal. Le ‘ vol à l’étalage numérique ‘ ne peut être entériné et personne ne devra plus se considérer à l’abri.Espérons que ce message pédagogique sera entendu, avant que le tout-répressif ne soit mis en ?”uvre, qui charrierait certainement son lot de victimes ‘ innocentes ‘.

Réactions à chaud

Signataires, les ayants droit sont satisfaits. Le Syndicat national de l’édition phonographique se félicite de l’expérimentation du filtrage par les FAI. La Sacem rappelle l’importance de la vérification à intervalles réguliers de l’effet réel des mesures sur la piraterie. Seule l’Adami déplore que ‘ les consommateurs et le public n’aient pas fait partie des négociateurs ‘. Les fournisseurs d’accès ont signé, à l’exception de Tele2 et de Darty. Les hébergeurs de vidéos tels Kewego et Dailymotion attendent, quant à eux, la reconnaissance de la ‘ spécificité de leur activité ‘.Pour les associations de consommateurs, c’est le branle-bas de combat. UFC-Que Choisir dénonce un ‘ tour de vis répressif et le manque de lucidité du ministère de la Culture qui, au prétexte de défendre la culture et sa diversité, se fait systématiquement l’avocat infatigable d’une industrie trop concentrée et peu innovante ‘. Même son de cloche chez la Ligue Odébi ou chez les Audionautes. Leur grief principal : la priorité donnée aux mesures répressives, au détriment de l’amélioration de la qualité de l’offre en ligne, dont les tarifs.

Les hommes politiques divisés

Pour le député PS Christian Paul, ‘ Big Brother ne sauvera pas la culture ‘. Une position en accord avec celle des députés UMP, Marc Le Fur et Alain Suguenot, qui jugent la création de l’autorité publique une ‘ proposition d’un autre âge qui va à l’encontre du principe d’égalité devant la loi ‘. Les deux députés font cavalier seul dans leur formation, enthousiaste par ailleurs.

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Stéphane Viossat