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Le business caché des jeux en ligne

La vente de personnages virtuels issus des jeux en ligne a donné naissance à un vaste marché bien réel entre joueurs. Un business parallèle florissant que certains éditeurs condamnent et que d’autres exploitent.

En mars 2005, à Shanghai, un fait divers met les adeptes des jeux vidéo en émoi. Qiu Chengwei, un homme de 41 ans, a poignardé un de ses amis. Le motif : au lieu d’utiliser le ‘ sabre
dragon ‘
, issu d’un jeu en ligne, qu’il lui avait prêté, son ami a préféré vendre cette arme virtuelle sur Internet pour 7 200 yuans, soit 665 euros (une somme importante en Chine). Jugé par le tribunal de Shangai, Qiu
Chengwei a été condamné à mort.Ce fait divers tragique illustre la folie qui s’est emparée des joueurs de MMORPG (Massively Multiplayer Online Role-Playing Game, ou jeu de rôle en ligne massivement multijoueur). Si tous ne sont pas prêts à
trahir, voire à tuer leurs amis pour de sombres histoires de biens virtuels, un nombre de plus en plus important d’entre eux y laisse ses économies. Comme la progression dans les MMORPG repose, en grande partie, sur le temps passé devant l’écran,
certains joueurs préfèrent acheter de l’or, des armes ou des personnages puissants plutôt que de consacrer des jours et des nuits à tenter de les gagner.Le phénomène a pris de l’ampleur avec l’explosion de World of Warcraft (Wow pour les habitués). Lancé début 2005, ce jeu a séduit, en un an, plus de 6 millions de personnes à travers le monde.
Des joueurs qui, après avoir déboursé 45 euros pour le titre, payent entre 11 et 13 euros par mois (selon la durée de leur abonnement) pour pouvoir continuer à se divertir. Ce succès a permis à Vivendi Universal Games (propriétaire de Blizzard, le
studio à l’origine de Wow) de faire progresser son chiffre d’affaires de 35 % en 2005 (sur un total de 641 millions d’euros). Mais derrière cette réussite économique de façade s’est développée une économie parallèle,
entretenue par les joueurs et tous les petits malins qui ont flairé le filon !Aujourd’hui, on ne compte plus les sites qui permettent d’acheter pour quelques dizaines d’euros des personnages ou des objets gagnés dans le jeu de Blizzard, mais aussi dans d’autres MMORPG à succès, comme Final Fantasy,
Lineage, Everquest, etc.

Certains personnages virtuels sont proposés à plus de 500 euros

Comme dans tout marché, l’offre et la demande influent sur les prix. La valeur d’un objet virtuel varie aussi en fonction du serveur de jeux en réseau auquel il est destiné. Sur certains, les joueurs sont nombreux et les modes de jeu
difficiles : les objets et les grades ont alors une valeur élevée. Ainsi, il n’est pas rare de voir, sur le site d’enchères eBay France, des personnages issus de Wow proposés à plus de 500 euros ! Selon l’estimation
d’IGE, une société américaine spécialisée dans la vente de ces biens virtuels, les transactions entre adeptes des MMORPG se seraient élevées à 880 millions de dollars (686 millions d’euros) en 2004 ! Des bénéfices dont ont profité les vendeurs,
mais aussi les sites qui proposent ces produits, et n’oublient pas de prendre leur commission ! S’ils sont tous motivés par l’appât du gain facile, les vendeurs n’ont pas tous le même profil. On distingue deux grandes catégories : les
occasionnels et les réguliers. Les premiers vendent leurs biens virtuels lorsqu’ils décident d’abandonner le jeu. Lassés d’y consacrer la plupart de leur temps, au détriment de leur vie privée ou professionnelle, ils tentent de récupérer un peu
d’argent sur des personnages ou des armes qu’ils ont mis tant d’heures à gagner ! Les vendeurs de la deuxième catégorie se débarrassent en revanche de façon régulière de ce qu’ils gagnent. Parmi eux, on distingue ceux qui travaillent seuls, et
ceux qui emploient un réseau de joueurs pour faire tourner leur affaire. La revente d’objets ou d’argent virtuels est en effet devenue, du moins en Asie, et plus particulièrement en Chine, un véritable trafic organisé. Là-bas, des joueurs appelés
farmers (fermiers) tentent de récolter un maximum d’objets, contre un salaire d’environ 60 euros par mois. Ces ados et ces jeunes adultes travaillent dans d’immenses pièces où sont alignés des ordinateurs connectés à
Internet.Ce business s’est même diversifié avec l’apparition d’une autre catégorie de joueurs, les levelers. Souvent employés dans les mêmes usines que les farmers, les levelers
sont chargés de faire grimper le niveau des personnages moyennant finances. Les joueurs qui ne peuvent pas se permettre d’enchaîner des heures devant l’écran leur confient leur identifiant et leur mot de passe ; pendant quelques dizaines
heures, plusieurs levelers se relayent pour développer les capacités de leurs avatars. Les clients doivent ainsi débourser 150 euros pour que leur personnage gagne les 10 derniers niveaux dans World of
Warcraft
.

La vente d’un bien virtuel n’est pas illégale

En plein boom, ces pratiques ne sont pas illégales. ‘ La vente d’un bien virtuel tel que le personnage d’un jeu n’est pas interdite ; sauf si l’éditeur précise, dans ses conditions générales, que
l’utilisation de ces biens acquis auprès de tiers n’est pas autorisée ‘
, explique Eric Barbry, avocat spécialisé dans le commerce en ligne. Or, la licence des jeux, rédigée avant l’explosion de ces pratiques, ne précise
généralement pas ce point. Ce qui ne signifie pas que les éditeurs ferment les yeux sur ces ventes !Pour lutter contre cette triche organisée et lucrative, mais dont il ne tire aucun profit, Blizzard évince régulièrement, pour un temps limité ou de façon définitive, les joueurs suspectés de progression trop fulgurante. Depuis le
29 mars 2005, Blizzard a fermé 5 400 comptes et en a suspendu 10 700. Mais tous les éditeurs n’ont pas opté pour la même stratégie. Après s’être longtemps opposé à ce marché noir, Sony, éditeur d’Everquest II, a
lancé au début de l’été 2005 une plate-forme d’enchères, baptisée Station Exchange. Une première, qui permet à Sony de garder un ?”il sur les échanges entre joueurs et de prélever sa dîme sur un marché qui, jusqu’à présent, lui échappait. Un
marché qui pourrait lui rapporter, selon l’IGE, 300 millions de dollars (environ 234 millions d’euros) par an. De quoi faire réfléchir ses concurrents !

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Benjamin Cherrière