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La folie des coachs gagne les jeux vidéo

Les jeux qui permettent de perdre du poids, d’exercer sa mémoire ou d’enrichir son vocabulaire suscitent un véritable engouement. Mais est-ce bien justifié ?

A la télévision, dans les magazines, dans les rayons des librairies, l’engouement pour le coaching (l’accompagnement personnel), a investi, en quelques années, des domaines très variés : le sport, la mode, la cuisine, la culture, la vie sentimentale… D’après la Société française de coaching, ce marché est colossal : avec ses 2 000 coachs professionnels, il s’élève à 90 millions d’euros. Les éditeurs de jeux vidéo ne pouvaient ignorer un tel secteur et se sont introduits dans cette manne. Vous avez la mémoire qui flanche ? Le docteur Kawashima et son Programme d’entraînement cérébral avancé, le Brain training, vous la requinquera ! Du surpoids ou des biscotos ramollos ? Pas de souci : la Wii Fit viendra à votre secours ! Votre anglais est hésitant ? Practise English vous aidera à combler vos lacunes ! Vos yeux fatiguent en fin de journée ? La gym des yeux rectifiera ce problème ! Vous êtes un piètre cuisinier ? Cooking navigator vous transformera en chef hors pair ! Une faiblesse personnelle quelconque ? Dégainez votre console portable ! Désormais, vous n’aurez plus aucun prétexte pour ne pas être au top de votre forme.

Un marché porteur qui s’élargit

D’où vient ce besoin effréné de s’améliorer ? Nous sommes dans une société où la performance est valorisée, surtout dans le milieu professionnel. Une véritable pression s’exerce pour que nous soyons toujours au maximum de nos capacités avec l’obsession de la progression permanente. Ce qui peut être fort dommageable, car ‘ la course aux progrès est souvent préjudiciable, prévient la psychologue Danielle Dumonteil. Il faut se dégager de la pression ambiante. L’important est d’être bien dans sa peau sans tenter de répondre aux diktats de la société. ‘Conscients qu’apprendre en s’amusant est bien plus efficace que d’étudier dans une atmosphère austère et ennuyeuse, les éditeurs de jeux s’engouffrent depuis un an et demi sur le marché du coaching à tendance ludique. ‘ Les gens qui considèrent leur métier comme un jeu réussissent mieux que ceux qui s’enferment dans un travail routinier, affirme Lenore Terr, professeur de psychiatrie à l’université de Californie. C’est ce que j’ai découvert en menant une étude auprès de centaines de personnes sur les conditions psychologiques qui favorisent le travail. Les joueurs ont l’air plus heureux, arrivent à mieux se concentrer et sont plus productifs que les autres. ‘ Un constat repris par l’éditeur de jeux Ubisoft : d’après une de ses études, 50 % des joueurs aiment l’idée d’entretenir leur cerveau tout en se distrayant ; plus d’un tiers a envie d’apprendre quelque chose d’utile ; un joueur sur cinq souhaite que le jeu l’aide à progresser dans sa vie de tous les jours.Comme bon nombre de ces jeux sont disponibles sur la console Nintendo DS, celle-ci est devenue une vraie machine à tout faire : très simple d’utilisation, peu encombrante, elle a permis à un public élargi de s’intéresser aux jeux vidéo. Les femmes et les seniors, habituellement peu passionnés par ce type d’activité, deviennent le c?”ur de cible : parmi les nouveaux adeptes de la console Nintendo, plus de 50 % sont des femmes et bon nombre des joueurs ont plus de 40 ans. ‘ Ce nouveau public a besoin de se sentir valorisé. Grâce à ces jeux, ils peuvent suivre leurs progrès tout au long des exercices, et n’ont pas l’impression de perdre leur temps. Au contraire, ce temps passé à jouer leur apporte quelque chose de concret, de positif, de bénéfique ‘, explique Mathieu Minel, responsable marketing chez Nintendo.

Des jeux de coaching de santé

Et difficile d’échapper à ces jeux tant les thèmes traités répondent à des besoins universels : ‘ En plus de se perfectionner dans un domaine particulier, les thématiques des jeux proposés touchent tout le monde : l’inquiétude sur les maladies dégénératives telles que l’Alzheimer sont, par exemple, des thèmes puissants ‘, précise Mathieu Minel. Fort de son succès, Nintendo lancera, à la fin du premier semestre 2008, une gamme complète de jeux de coaching destinée au bien-être. Néanmoins, ces jeux sont-ils aussi pertinents que les éditeurs l’affirment ? Certes, ils sont élaborés par des professionnels reconnus dans leur secteur. On peut, entre autres, faire confiance au professeur Kawashima et à ses programmes d’entraînement cérébral, au docteur Makato pour devenir un génie, au docteur Ishigaki pour acquérir une vision de lynx. Dans le même esprit, la méthode d’apprentissage English training a été validée par les professionnels du Toefl, test permettant d’évaluer la capacité d’un individu à comprendre et à se servir de l’anglais d’Amérique du Nord.Ces cautions sont-elles pour autant un gage d’efficacité ? A en croire Arlette Meyrieux, présidente de France Alzheimer, il n’en est rien pour les jeux d’entraînement cérébral : ‘ Aucune étude scientifique n’a pu établir un effet quelconque de ces jeux sur les maladies dégénératives ‘, affirme-t-elle. Le coach sportif Christophe Ruelle, sollicité, quant à lui, par Nintendo pour tester la Wii Fit qui sortira au printemps prochain, est plus enthousiaste : ‘ C’est un excellent jeu qui permet de faire un travail complet au niveau du corps. Il s’adresse à tous, propose des exercices spécifiques selon les tranches d’âge et n’a donc aucune contre-indication ‘, confie-t-il. Pour la gym des yeux de Nintendo, Noémie Bismuth, orthoptiste, est plus mitigée : ‘ Le jeu est sympathique et il nous apprend vraiment ce que peut nous apporter notre vision. Il teste nos réflexes visuels et permet de prendre conscience de nos éventuelles défaillances. C’est un véritable révélateur de problèmes, mais jamais il ne pourra remplacer un orthoptiste. ‘L’avis de Jean-Pierre Roy, coach, fondateur et dirigeant de Coach Académie, société d’accompagnement personnel, est tout aussi nuancé : ‘ Les jeux de coaching ont beaucoup d’avantages : ils permettent de valoriser ses compétences et d’optimiser son potentiel. On n’est pas pointé du doigt ni étiqueté par quelqu’un d’autre, on travaille à son rythme. Cependant, dans le coaching, nous faisons régulièrement des auto-évaluations pour que la mise en action soit plus efficace. Nous dédramatisons les mauvais résultats, afin de donner à la personne le rebond indispensable vers des options constructives. Ça, la machine ne peut le faire. ‘De toute évidence, le bénéfice que l’on peut attendre de ces jeux est à relativiser. Néanmoins, même s’ils ne nous permettront jamais d’être bilingue, de devenir un génie en mathématiques ou un as de la cuisine, ils nous offrent des moments de distraction tout en faisant fonctionner nos capacités intellectuelles ou physiques. Ce qui nest déjà pas si mal !

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Sophie Madoun