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La contemplation du monde

À travers la fenêtre carrée, noire et blanche qu’il a dessinée sur le monde, Denis Olivier s’attache à ce qui nous échappe : le temps. Celui…

À travers la fenêtre carrée, noire et blanche qu’il a dessinée sur le monde, Denis Olivier s’attache à ce qui nous échappe : le temps. Celui qu’il faut prendre pour voir ses proches s’épanouir, un paysage s’écouler, une danseuse papillonner, des animaux survivre. Le temps de méditer sur la beauté et la fragilité des choses.Micro Photo Vidéo : Comment êtes-vous venu à la photographie numérique ?Denis Olivier : En 2000, quand sont apparus sur le marché les premiers appareils de qualité. J’ai opté sans difficulté pour le numérique, car j’aime sa simplicité d’utilisation et la rapidité avec laquelle on obtient un cliché. La dynamique est superbe, les nuances douces à souhait et le piqué extraordinaire pour les tirages que je fais. Évidemment, le bruit en basse lumière, la nette visibilité des poussières sur le capteur à faible ouverture, ou la dépendance électrique sont pour moi problématiques. Mais le numérique représente aussi une alternative plus écologique. Si je continue parfois à utiliser des films noir et blanc et à les développer moi-même, les litres d’eau et de produits chimiques utilisés me posent toujours un cas de conscience.MPV : Du compact bimégapixel Kodak DC280 au plus récent reflex Canon EOS 5D, votre équipement s’est professionnalisé au fil des ans. Comment cette évolution technologique a-t-elle modifié votre pratique photographique ?D.O. : J’ai eu plusieurs boîtiers et chaque acquisition a dénoté une envie de découvrir de nouvelles méthodes de capture d’images, ou a répondu à des besoins techniques spécifiques. Par exemple, l’achat du Kodak fut un premier pas timide dans le monde du numérique, confirmé ensuite avec l’acquisition des Canon G2 pro, le 20D et le 5D. Seuls le Canon 5D et mon moyen format argentique Hasselblad 500 CM ont vraiment été choisis pour leurs qualités propres. Le 5D, pour les caractéristiques de son capteur grand format, qui augmentent le vignettage au 16 mm et dramatisent ainsi mes scènes, et pour son exceptionnelle sensibilité de 50 ISO, donnant très peu de bruit tout en augmentant les temps de pose. L’Hasselblad, pour son for mat 6 x 6 et son boîtier totalement mécanique. Cette évolution technologique m’a surtout amené à simplifier et à accélérer mes captures d’images tout en apportant toujours plus de qualité. En revanche, le choix de mes sujets, aussi différents soient-ils, n’est pas associé à la technique. Ce n’est qu’un moyen. La plupart du temps, il est impossible de faire la différence entre les clichés pris en numérique et en argentique. Ce qui n’apporte d’ailleurs strictement rien ; cette guerre des puristes est bien puérile. J’espère juste que l’on trouvera encore dans le futur des produits argentiques, surtout des films ?” les révélateurs, fixateurs et autres produits chimiques pouvant être réalisés soi-même ?”, pour le simple plaisir de travailler en argentique. Seul le résultat compte tant que la méthode d’obtention est juste aux yeux du spectateur.MPV : Vos images adoptent toutes le format carré en noir et blanc, qui n’est pas naturellement celui des reflex numériques. Photographiez-vous en noir et blanc ou traitez-vous vos images couleur ensuite sur ordinateur ?D.O. : Au même titre que le film, le format digital n’est qu’un média manipulable comme bon vous semble. Je n’ai pas d’a priori, la technique ne servant qu’à obtenir ce que je ressens. Je prends mes images au for mat JPeg noir et blanc basse qualité pour vérifier tout de suite la densité générale sur mon écran, puis j’utilise le fichier associé au format brut Raw qui, lui, est en couleur par défaut. Je convertis ensuite mon image en noir et blanc par passage en niveaux de gris 16 bits afin d’obtenir plus de nuances. Je me retrouve alors avec un positif brut que je façonne et interprète.MPV : Cadrez-vous au carré ou recherchez-vous le format carré ensuite en recadrage sur ordinateur ?D.O. : Ni l’un ni l’autre. Je visualise directement la scène ‘ au carré ‘, centrée dans le viseur, afin d’exploiter au mieux les possibilités de l’objectif et d’éviter les aberrations présentes le plus souvent sur les bords de l’image. Puis je recadre mes prises de vues, déplaçant horizontalement un carré de sélection, le cadrage vertical étant déjà acquis. Je songe parfois à échanger mon verre de visée contre un modèle au format carré, mais je n’en éprouve pas le besoin pour le moment. Je peux toujours avoir recours à mes vieux Hasselblad si je veux un vrai ‘ moment carré ‘. Je ne fais pas de différence entre acquérir et redécouper. Le format carré est pour moi un signe d’élégance dans les proportions, et j’aime cette forme géométrique qui s’intègre facilement à la composition d’un équilibre.MPV : Vous travaillez en pose longue pour capturer la trace de votre sujet en mouvement (danseuse, eau, fumée…). Quels effets cherchez-vous à produire ?D.O. : J’aime contempler, prendre le temps ; l’action rapide et précipitée ne me convient pas. Notre monde court en permanence après le profit, nous éloignant de l’observation de ce qui nous entoure, de la réalité de l’univers. Or, ces moments, sur tout en photographie extérieure, s’apparentent à une certaine for me de méditation, ils me permettent de libérer mon esprit des tensions de la vie au quotidien. Cet état d’esprit se retrouve dans les poses longues, où la prise de vue révèle les mécanismes terriens à une autre échelle. Ces photographies suivent un protocole long à mettre en place, du repérage à l’expédition, et nécessitent un matériel lourd à transporter : pied, télécommande, filtres… Techniquement, je pose le plus souvent entre trois et quatre minutes pour un bon rendu du ciel et de l’eau en mouvement, et jusqu’à vingt minutes la nuit, quand la lune est bien lumineuse, ou pour obtenir certains effets, comme une eau vaporeuse ou des nuages filés.MPV : Retouchez-vous vos images pour magnifier leur rendu ?D.O. : Je retouche comme on retouche un tirage, pour supprimer les éventuel les poussières. Il est très rare que je supprime une partie de l’image et, si c’est le cas, le plus souvent, il s’agit d’un papier au sol, d’un pylône gênant. Et même si j’en suis capable, falsifier l’image ne m’intéresse pas. Sinon je resterais chez moi et travaillerais la photo-manipulation à partir de banques d’images. Je réalise exactement le même travail que dans un laboratoire argentique en termes de densité, de masquage, de retenue et de virages. J’adapte l’image à ma sensibilité et à mon interprétation de la donnée brute, comme finalement n’importe quel tireur argentique.MPV : On retrouve dans vos photographies, la forme épurée ou rythmique, la recherche graphique suscitée par le noir et blanc. Quel lien faites-vous entre des images de zoo et de mer, entre des paysages et des portraits ? Qu’est-ce qui vous inspire ?D.O. : La contemplation et la solitude. J’aime les scènes simples, avec peu d’informations pour laisser une grande place à la suggestion. C’est aussi pour cela que j’utilise le noir et blanc, qui supprime une information essentielle, la couleur, laissant l’imaginaire vagabonder et ôtant souvent la notion de repère temporel. La présence des éléments (nuages, eau, fumée…) nous rappel le notre statut limité dans l’univers, que nous mesurons peu à l’échelle humaine au quotidien.MPV : J’aime particulièrement vos recherches de matières, vos cadrages serrés sur les peaux des animaux, vos abstractions paysagères. Quel est votre parti pris esthétique ?D.O. : Il est difficile de décrire ce choix qui n’est basé sur aucun mécanisme rigoureux, systématique ou académique. Que cela soit un lieu, ou un être vivant, je ressens parfois un état de grâce qui m’impressionne et me donne envie de photographier, de capter cet instant plus ou moins long. J’aime, par exemple, associer à la beauté simple d’un paysage des effets de dramatisation, de calme ou d’isolement. Je peux aussi me référer au dynamisme graphique, aux matières, à la lumière, et essayer de les combiner pour créer une émotion, une méditation, un retour à la nature, source d’apaisement personnel.MPV : Vos photographies épurées, parfois abstraites, sont accompagnées de légendes en anglais, qui au contraire sont explicites et plus ‘ bavardes ‘. Quel rôle joue pour vous la légende image ?D.O. : Je reste mitigé sur cette question de la présentation d’une image par un titre. J’aime parfois orienter le sens d’une image avec une phrase, ou une expression, pour donner à imaginer, ou bien à réfléchir sur notre monde consumériste et peu respectueux de la nature [pour exemples, les légendes qui accompagnent les portraits détaillés du crocodile : A Free Hand-bag/Un sac à main en liberté, et de l’éléphant : I Keep Hoping/Je garde l’espoir, Ndlr]. J’apprécie également l’affirmation simple, mais descriptive, du sujet, à laquelle je n’ajoute que le lieu de prise de vue. Chacun devient alors libre de s’approprier son sens de lecture. Mes légendes sont en anglais, tout simplement parce qu’il faut choisir une langue, compréhensible par le plus grand nombre…

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Marilia Destot