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Reconnaissance faciale à Nice : la ville se félicite des résultats, la Cnil n’est pas convaincue

Après l’avoir testée dans sa ville, Christian Estrosi voit grand et loin pour la reconnaissance faciale en France. Il veut porter bientôt la question dans l’Hémicycle. Mais, la Cnil -moins emballée- tente de calmer ses ardeurs. 

Six mois après l’expérience de vidéosurveillance intelligente dans les rues niçoises, c’est l’heure du bilan. Dans un document rendu public par Le Monde mercredi 28 août, la ville de Nice se dit « satisfaite » du dispositif de reconnaissance faciale qu’elle espère même « mature » pour 2024. Du côté de la Commission nationale d’informatique et des libertés (Cnil) à l’origine du rapport, le test laisse sceptique. L’essai est loin d’être transformé.

Une première nationale

Pendant trois jours en février 2019, durant la 135ème édition du carnaval de Nice, la mairie a mis en place un dispositif de vidéosurveillance expérimental. Le logiciel Anyvision, développé par une entreprise israélienne, a analysé 5 000 visages, parmi lesquels il devait détecter certains volontaires. Ces personnes « recherchées » avaient préalablement intégré leur photo au système.

Le dispositif était testé à la fois dans des files d’attente et au milieu d’une foule en mouvement. Les résultats sont dans les deux cas concluants selon la mairie de Nice, même avec une photo « vieillie de 35 ans ». Le logiciel a également détecté les visages recherchés malgré le port d’une casquette et de lunettes de soleil. Preuve ultime de son « efficacité » : il a réussi à distinguer deux jumeaux monozygotes. « Seul le jumeau dont la photo a été fournie a été reconnu, le second n’a jamais été reconnu », explique le document officiel.

« Utile », « fiable », « un gain de temps », « efficace » … Les rapports en annexe des agents de polices rivalisent d’adjectifs positifs pour décrire leur participation à l’expérience.  « La reconnaissance faciale est perçue par les agents ayant participé à l’expérimentation comme un outil fiable et pertinent », conclut la municipalité.

Les doutes de la Cnil 

Si on s’en tient à la lecture du rapport, tous les signaux sont au vert. La police loue l’outil, la ville se félicite du succès de l’expérience, « aucune plainte» n’a été recensée parmi les cobayes. Mais, l’expérience est-elle exempte de toute zones d’ombre ?

Dans un courrier adressé à la ville, daté du 16 juillet, La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a pourtant pointé certaines lacunes du rapport municipal. D’abord, au niveau technique, les détails sur le fonctionnement de l’algorithme utilisé et son calibrage manquent. Le gendarme de la vie numérique a demandé d’ailleurs d’obtenir le taux de « faux positifs » repérés par la caméra intelligente. D’autre part, la Cnil regrette l’absence de pistes de réflexion sur les potentiels biais de discrimination intrinsèques au système (sexe, genre, couleur de peau, etc.). Enfin, quid des images captées des 5 000 volontaires ?

Faute de ces précisions, « l’évaluation de l’expérimentation ne pouvait être menée à son terme », a expliqué la Cnil. Officiellement, la mairie de Nice n’a pas encore donné suite. Contactée par la rédaction du Monde, les services municipaux assurent qu’« aucun faux positif n’était remonté» et que « l’ensemble des scénarios déployés avait permis d’obtenir une détection et une reconnaissance des personnes d’intérêt dans 100 % des cas » et que la durée de conservation des données avait été communiquée à la Cnil en amont.

Bientôt un projet de loi ?

Ce n’est pas la première fois que l’expérience donne lieu à des tensions entre Nice et la Cnil. Cette dernière a regretté « l’urgence dans laquelle ses services [avaient] été sollicités » une semaine avant la mise en place de l’expérimentation, ne permettant pas « un travail d’analyse approfondie du dispositif projeté ». Et, pour couronner le tout, lorsque le maire Christian Estrosi s’était vanté d’avoir obtenu l’aval de la Cnil pour l’expérience en question, l’instance de contrôle avait démenti. Le gendarme des données personnelles avait émis un avis très réservé en février

Au-delà des querelles institutionnelles, cette expérience a le mérite de mettre en évidence «l’absence de loi encadrant l’expérimentation de nouvelles technologies en conditions réelles ». Et surtout d’ouvrir le débat pour élaborer peu une proposition de loi. La mairie de Nice souhaite que les « résultats de cette expérimentation soient utilisés dans le cadre d’une réflexion visant à aboutir à la rédaction d’un projet/proposition de loi ».

Source : Le Monde [PDF]

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Marion Simon-Rainaud