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L’Europe réfléchit à un arsenal juridique pour mieux protéger ses technologies stratégiques

Un premier pas vers un contrôle aux exportations européen ? L’Union européenne veut mieux défendre ses intérêts économiques face à la Chine : elle envisage de mieux contrôler, voire limiter ses ventes dans le secteur des semi-conducteurs, de l’IA, de l’informatique quantique et de la biotechnologie, parmi d’autres options visant à mieux protéger ses technologies clés vis-à-vis de certains pays.

Comment mieux protéger les technologies stratégiques et « ne plus être un terrain de jeu, mais un acteur à part entière » dans la compétition technologique ? C’est la question à laquelle tente de répondre l’Union européenne, qui vient de publier une recommandation, le 3 octobre dernier, dans laquelle elle définit quatre domaines « technologiques critiques pour la sécurité économique » du Vieux continent. Il s’agit des semi-conducteurs, de l’IA, de l’informatique quantique et de la biotechnologie. Ces secteurs feront l’objet d’une évaluation poussée des 27 États membres, d’ici à la fin de l’année. Et au printemps 2024, des mesures concrètes devraient être annoncées.

Depuis des mois, l’exécutif européen multiplie les messages visant à mieux défendre les intérêts économiques européens. En septembre dernier, l’Europe a ouvert une enquête sur des subventions publiques de Pékin octroyées aux constructeurs chinois de voitures électriques. Et deux mois plus tôt, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, mentionnait une « initiative » visant à garantir que les « capitaux des entreprises européennes, leur savoir, leur expertise et leurs recherches ne soient pas abusivement utilisés par certains pays pour des applications militaires ».

Trois approches possibles : la promotion, la protection, le partenariat

Cette initiative est désormais en marche. Et elle pourrait aboutir à un contrôle aux exportations dans ces quatre secteurs clés. Il s’agit d’un instrument juridique qui permet de limiter les ventes de certains produits dits sensibles à certains pays. Ce mécanisme avait été initialement mis en place pour éviter par exemple qu’une arme fabriquée sur le sol d’un État européen ne finisse dans tel pays pour être décortiquée, copiée, voire utilisée contre des civils, ou contre l’Europe. C’est ce mécanisme juridique qui permet aux États-Unis de priver la Chine de semi-conducteurs : il serait actuellement sur la table de l’exécutif européen, parmi d’autres options visant à mieux défendre nos technologies et réduire nos dépendances.

Selon un fonctionnaire européen interviewé par nos confrères du Financial Times, trois approches seraient possibles : la « promotion, la protection et le partenariat ». « La promotion consisterait à investir dans la production européenne (par exemple pour réduire la dépendance à tel pays pour approvisionner l’Europe en tel matériau ou tel produit, ndlr), le partenariat à collaborer avec d’autres pays sur des questions communes et la protection à restreindre les exportations ».

« La fin de l’ère de la naïveté »

Mais avant toute chose, il faut construire « une position européenne unie, basée sur une évaluation commune des risques », a expliqué Věra Jourová, la responsable numérique de l’UE, lors de la conférence de presse mardi 3 octobre à Strasbourg. Les quatre domaines particulièrement sensibles comme les semi-conducteurs, l’IA, l’informatique quantique et la biotechnologie ont été désignés car ils pourraient être utilisés à des fins militaires, ou en violation des droits de l’homme, a avancé la Commission. L’idée est aussi d’éviter que les dépendances européennes ne soient instrumentalisées, comme cela a été le cas lors de la guerre en Ukraine avec le gaz russe.

« Prendre des mesures pour préserver nos intérêts stratégiques et notre sécurité » est devenu absolument indispensable, a martelé le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton. « L’Europe met fin à l’ère de la naïveté et se comporte comme une véritable puissance géopolitique », a-t-il ajouté sur son compte Twitter.

La Chine (et la Russie) visées en filigrane

Les ventes de produits provenant de ces quatre secteurs pourraient être davantage contrôlées et limitées lorsque les acheteurs proviennent de certains pays. Et même si aucun État n’est spécifiquement désigné ou mentionné dans la recommandation – qui reste un texte non contraignant – les experts estiment que la Chine, qualifiée de « rival systémique », est visée. La Russie pourrait aussi l’être. Pour les autres pays, cela semble peu envisagé, bien que, lors de la conférence de presse, Thierry Breton ait précisé que cette recommandation n’en visait aucun « en particulier. Lorsque nous voyons qu’il y a un risque de dépendance excessive, un risque de rupture d’une chaîne d’approvisionnement qui pourrait être critique pour nous, nous prenons des mesures, nous n’attendons pas ». 

Jusqu’à présent au sein de l’Union européenne, les limitations de vente ciblaient principalement les produits à usage militaire. Mais en mars dernier, les Pays-Bas ont décidé de s’aligner sur les États-Unis pour priver la Chine de machines fabriquant des semi-conducteurs. Cet événement aurait incité l’Union européenne à élaborer sa propre stratégie – au lieu de suivre les États-Unis, souligne Agathe Demarais, chargée de mission au sein du think tank ECFR (Conseil européen pour les relations internationales), sur son compte Twitter.

Un compromis au sein des 27 doit être trouvé

Mais ce premier pas vers davantage de protection n’en est qu’à ses prémisses. Les 27 États-membres, dont beaucoup ont des positions divergentes sur la Chine et sur le degré d’interventionnisme de l’État, doivent se mettre d’accord… et ce n’est pas gagné.

Parallèlement, le texte qui introduit un nouveau mécanisme – qui permet à l’UE de riposter lorsque l’un de ses membres est soumis à des embargos ou des mesures de rétorsion – a reçu le feu vert du Parlement européen, mardi 3 octobre. Il permettra d’augmenter, par exemple, les droits de douane, de retirer des licences d’importation ou d’exportation, ou encore de geler l’accès aux marchés publics.

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Source : Recommendation de la Commission européenne du 3 octobre 2023


Stéphanie Bascou