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Jean-Jacques Gomez (juge des affaires internet):” La plupart des affaires actuelles concernent le parasitage de marques “

Propulsé ” juge de l’internet “, Jean-Jacques Gomez est aussi vice-président du tribunal de grande instance de Paris. Aujourd’hui, il défriche un terrain inconnu.

Comment êtes-vous devenu le juge des affaires internet ? Par le hasard des assignations ! En 1996, on m’a attribué l’affaire Brel/Sardou. Par la suite, j’ai examiné toutes les affaires internet. A l’époque, il fallait examiner cette requête à la lumière du droit d’auteur. Le fait de numériser une ?”uvre était-il attentatoire aux droits de la propriété intellectuelle ? Pouvait-on bénéficier néanmoins des exceptions prévues, qui autorisent à reprendre tout ou partie d’une ?”uvre ? Cette affaire a bouleversé ma vision du droit de l’entreprise et de la propriété intellectuelle. Il m’a fallu vérifier si internet nous conduisait à faire abstraction du droit existant et à établir des normes juridiques adaptées. Or, tout au plus, internet nécessite une approche un peu plus dynamique du droit. Par exemple, on ne peut pas parler de reproduction, comme avec des feuilles de papier, mais de numérisation. Du fait de votre méconnaissance d’internet, cette affaire ne vous a-t-elle pas un peu effrayé ? Non, parce qu’un juge doit toujours prendre du recul avant de prendre une décision. J’ai considéré qu’il fallait du temps pour comprendre le litige ?” à la fois pour moi, qui découvrais les méandres d’internet, et pour les parties en présence. Je leur ai donné l’occasion de plaider pendant plus de huit heures, alors que les affaires civiles simples ne prennent pas plus de dix minutes. J’ai beaucoup appris, car les avocats avaient préparé des plaidoiries très pédagogiques pour me sensibiliser non seulement aux techniques, mais aussi à tous les termes que je n’avais jamais approchés. Mais j’ai dû également m’entourer de spécialistes. Dans la pratique, je ne rends pas de jugements qui ne puissent être appliqués. Dans l’affaire Yahoo!, je n’aurais pas demandé le filtrage si un collège d’experts international ne m’avait pas convaincu que c’était techniquement possible.Quels sont les problèmes les plus courants ? Le parasitage de marques représente la plupart des affaires actuelles. A une époque, des individus déposaient le nom de domaine des marques de grands groupes pour leur revendre ensuite. Ces personnes s’enrichissaient donc de la manière la plus illégale qui soit. Les sociétés ont fini par comprendre qu’il n’était pas de leur intérêt de céder à ces exigences, et elles ont décidé d’intenter de véritables procès. A partir de ce moment-là, nos décisions ont fait jurisprudence. Nous ordonnions le transfert du nom de domaine illégalement déposé au profit des sociétés. Les affaires de ce type se sont multipliées. En revanche, en matière de droit à l’image, peu de personnes portent plainte, car il leur semble encore compliqué de saisir la justice. Nous traitons de plus en plus d’affaires, mais ce n’est qu’une part infime des infractions réellement commises sur le réseau.Beaucoup de jugements mettent en cause les prestataires techniques. Quel est, selon vous, leur degré de responsabilité ? Depuis le 1er août 2000, la loi prévoit que si un juge demande à un prestataire technique des informations, la responsabilité de celui-ci est engagée en cas de non-réponse. En revanche, il n’est pas tenu de répondre à une demande formulée directement par une partie. Si une société exige qu’un prestataire déconnecte un site parce qu’il la diffame, il peut s’y refuser. En revanche, s’il prend l’initiative de déconnecter le site et qu’ensuite l’affaire jugée montre qu’il a eu tort, il engage sa responsabilité. Pour l’instant, cette loi ne s’intéresse qu’aux prestataires techniques hébergeurs. Mais il existe beaucoup d’autres intermédiaires, depuis le moteur de recherche jusqu’au fournisseur d’accès.Etiez-vous un utilisateur d’internet avant d’avoir à suivre ces sujets ? Non, pas du tout. Je suivais d’assez loin, comme bien des pères de famille, les exploits de mes enfants. Même maintenant, quand j’ai une affaire, je ne surfe pas forcément comme un internaute. Les avocats m’apportent toutes les informations dont j’ai besoin. Et si je devais mentionner un constat que j’ai moi-même fait, il faudrait d’abord que j’en informe les deux parties pour répondre au principe de confrontation.

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Propos recueillis par Corinne Couté