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ARM et Intel s’allient pour produire des puces en-dessous de 2 nm

Les deux “titans” du monde des semi-conducteurs que sont Intel et ARM annoncent un partenariat pour valider le circuit de production de puces tout-en-un en 1,8 nm (note Intel 18A). Un petit séisme dans le monde des puces, qui montre qu’Intel est bien sérieux dans sa démarche de (re)devenir un champion de la finesse de gravure de puces volumiques. De quoi bousculer TSMC… et récupérer Apple comme client ?

Dans un très rare communiqué commun, Intel et ARM viennent d’annoncer une alliance que certains auraient trouvée, il y a cinq ans à peine, complètement contre-nature. Les deux titans, qui contrôlent à eux deux 99% des microarchitectures processeurs de la planète, viennent en effet de signer un partenariat longue durée (« sur plusieurs générations ») de coopération autour de la production de puces tout-en-un, les SoC. Et pas avec n’importe quel procédé : le communiqué précise qu’il s’agit pour les deux comparses de construire un cadre de développement et de production de puces gravées dans le procédé de pointe appelé Intel 18A (pour 18 angströms, soit 1,8 nm !). Alors que TSMC devrait lancer la production en 3 nm cette année et que le 2 nm est encore loin dans la feuille de route, cette annonce sans date précise laisse cependant espérer, pour Intel, un retour dans la course à la finesse de gravure.

Le communiqué désigne explicitement les produits finaux qui sont concernés. Les premiers étant les « SoC mobiles », comprendre ici les puces de nos smartphones et tablettes (et PC, avec les Mac et les Chromebook). Avec, en seconde déclinaison, la production de processeurs « pour l’automobile, l’IoT (Internet of Things), l’aérospatiale et les applications gouvernementales », une manière pudique de nommer, entre autres, les applications militaires !

À lire aussi : Intel fait sa révolution, et ouvre ses usines et technos pour concurrencer TSMC… et ARM (mars 2021)

« La numérisation de notre monde implique une demande croissante de la puissance de calcul, mais jusqu’à présent, les clients sans usines n’ont que des options limitées pour concevoir (des puces) avec les technologies mobiles les plus avancées », déclare dans le communiqué le PDG d’Intel, Pat Gelsinger. Déclaration à laquelle il ajoute que « la collaboration d’Intel avec Arm élargira les opportunités de marché pour IFS (le service de fabrication pour les tiers d’Intel, NDLR) et ouvrira de nouvelles options et approches pour toutes les entreprises sans usines qui souhaitent accéder à la meilleure IP CPU de sa catégorie et à la puissance d’une fonderie de systèmes ouverts avec une technologie de fabrication de pointe. »

Loin d’être (uniquement) un gloubi-boulga marketing, les déclarations d’Intel sont la marque d’un (vrai) changement de mentalité. D’un côté, on sent la volonté d’être un acteur industriel au service de clients externes – alors que jusqu’à récemment, Intel développait et produisait pour Intel. De l’autre côté, le fait de souligner les qualités des CPU d’ARM est une minirévolution pour une entreprise qui évitait, jusqu’à il y a peu, de trop parler de l’architecture concurrente.

Intel a perdu la bataille mobile, mais connaît bien ARM

Le XScale PXA255 d'Intel était une puce ARM lancée en 2002 à destination des téléphones mobiles, alors en plein boom. © Raimond Spekking / CC BY-SA 4.0 (via Wikimedia Commons)
Le XScale PXA255, d’Intel, était une puce ARM lancée en 2002 à destination des téléphones mobiles, alors en plein boom. © Raimond Spekking / CC BY-SA 4.0 (via Wikimedia Commons)

Si vous avez suivi la « vie » des jeux d’instructions processeurs, vous savez sans doute qu’à moins d’avoir un Mac postérieur à novembre 2020, votre ordinateur fonctionne avec une puce dite « x86 » (CISC). Et vos smartphones et tablettes, sur la base de jeux d’instructions ARM (RISC). En remontant dans le temps, il faut se souvenir des vaines tentatives d’Intel d’imposer ses instructions x86 dans le monde, alors balbutiant, des terminaux mobiles.

Malgré les efforts du géant, ce sont les puces à instructions ARM des autres (Qualcomm, Samsung, Apple, MediaTek) qui se sont rapidement imposées dans tous nos appareils du quotidien. Au détriment du x86, cantonné aux PC et autres serveurs. Pourtant, Intel aurait pu lui aussi avoir son mot à dire dans le domaine mobile. Non pas avec son architecture maison x86, mais bel et bien avec ARM. Après avoir récupéré un bout de DEC en 1997 et ses puces StrongARM, Intel avait développé toute une ligne de puces appelées XScale. Des puces qui visaient le marché de la téléphonie pré-smartphone et qui étaient donc déjà des SoC. Malheureusement pour lui, en « grand visionnaire », Intel a cédé ses XScale à son concurrent Marvell en 2006. Soit un an avant l’avènement de l’iPhone. Et du raz de marée qu’allaient représenter les smartphones. Mélange de fierté autour du x86 et d’un manque de vista sur le futur de la tech, cet abandon a éloigné le géant des puces du plus gros marché tech mondial.

Mais l’entreprise a bel et bien un passé et un savoir-faire de conception de puces ARM. Ainsi que dans la conception des SoC puisque, modem et partie réseau mise à part, un « processeur » Intel Core est déjà un System on a Chip. Outre la partie CPU proprement dite, une puce moderne intègre aussi les entrées sorties, les connexions directes aux différents types de mémoire, un GPU, un DSP, etc. Intel va donc revenir dans le « game » des puces ARM. Pas aux commandes de la conception de la puce, mais à celle de sa production. Non pour lui, mais pour des tiers.

Produire des puces pour Apple : Intel est sérieux

Intel n’a jamais réellement cessé d’utiliser ARM, mais pour l’heure la mention de cette « architecture » était à la marge, en douce. Ce sont ainsi des cœurs ARM qui sont intégrés aux puces programmables FPGA d’Intel. Il y a aussi des cœurs ARM dans les cartes réseaux de l’entreprise, qu’elles soient grand public ou professionnelles. Mais le retour d’ARM dans le vocabulaire officiel d’Intel s’inscrit ici donc dans le service qu’Intel veut offrir aux autres. Un service qui marque un changement de business model : après avoir été le seul IDM du marché (Integrated Direct Manufacturing, capacité de produire soi-même ses propres puces), Intel a, par la voix de son PDG, Pat Gelsinger, décidé de réinventer son modèle économique.

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Avec comme ambition assumée à plusieurs reprises d’être prêt à « avoir Apple à nouveau comme client ». Le passage d’Apple à ARM a en effet été un coup dur pour l’image d’Intel. Tant du point de vue marché, que technologique, la gravure en 5 nm de TSMC et l’architecture ARM parfaitement maîtrisée par Apple ayant mis Intel face à ses retards. Alors que de nombreux investisseurs souhaitaient voir Intel découper ses activités et revendre ses usines, Pat Gelsinger a fait l’inverse. Il a décidé de recentrer sa stratégie « IDM 2.0 » vers des investissements massifs dans de nouveaux outils de production pour créer l’IFS : l’Intel Foundry Service. Une branche dédiée à accompagner des clients dans la production de puces. Une décision qui pourrait être, avec le contexte actuel de tensions autour des usines asiatiques, un atout majeur pour Intel.

L’incertitude du retour au leadership technologique

Le scanner de pointe High-NA d'ASML qu'Intel est en train de tenter de dompter, est un bijou qui coûte 300 millions de dollars pièce. Et la seule machine à être capable de graver des puces en dessous de 2 nm...
Le scanner de pointe High-NA d’ASML qu’Intel est en train de tenter de dompter, est un bijou qui coûte 300 millions de dollars pièce. Et la seule machine à être capable de graver des puces en dessous de 2 nm… © ASML

Pour produire des SoC ARM de pointe, il va falloir qu’Intel réalise un petit exploit : surpasser ou tout du moins égaler TSMC. Alors qu’Intel fut pendant des décennies le champion de la finesse de gravure, il a fini par se faire détrôner par le Taïwanais. Le géant asiatique a travaillé sans relâche avec tous les concepteurs de puces du monde, d’Apple à AMD, de Qualcomm à Nvidia, en passant par MediaTek, Marvell, Broadcomm ou NXP, la terre entière fait fabriquer ses puces dans les usines de TSMC. Des puces essentiellement basées sur l’architecture ARM.

Intel compte donc à la fois sur ses nouvelles usines, sur la qualité de sa R&D et sur les incroyables volumes que représente le marché des SoC ARM pour devenir compétitif non seulement face à TSMC, mais aussi face à Samsung. Et c’est l’exemple de ce dernier qui nous inquiète un peu pour Intel – ou tout du moins, qui nous force à avoir des doutes. Car bien que le Coréen fût le premier sur la gravure de dernière génération (EUV pour ultraviolets extrêmes), bien qu’il produise et fasse produire des puces ARM depuis des lustres, bien qu’il ait investi des dizaines de milliards (et en promet encore plus) dans des usines de pointe, il n’arrive toujours pas à égaler TSMC. Un Taïwanais toujours très loin devant en matière de qualité de production (rendements, fréquences, chauffe, etc.). La question est donc de savoir si Intel, qui produit peu de puces par rapport à TSMC, qui jusqu’ici ne produisait que pour lui, qui a pris du retard dans l’intégration des machines EUV et qui a peu développé de puces ARM récemment, va pouvoir rapidement devenir compétitif.

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Il ne s’agit pas pour Intel de venir égaler le TSMC ou le Samsung d’aujourd’hui, mais bel et bien de se préparer à être au niveau avec les procédés de demain. C’est ce qu’exprime clairement le communiqué de presse d’Intel et d’ARM, avec pour objectif le procédé 18A, qui devrait arriver un peu avant la fin de la décennie – autour de 2027. Si Pat Gelsinger a insisté sur la qualité de l’exécution et le respect des feuilles de routes, il n’empêche que les ingénieurs de l’entreprise ont du pain sur la planche. Il reste cependant une incertitude géopolitique : l’attitude de la Chine vis-à-vis de Taïwan. Avec 95% du volume de puces de pointes produites dans ce petit État d’Asie du Sud-Est, tout mouvement miliaire pourrait précipiter des transformations radicales du marché. Et propulser Intel sur le devant de la scène.

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Source : Intel


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