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Assistance interplanétaire, j’écoute

A bord des sondes planétaires lancées par l’Agence spatiale européenne, un pilote extrêmement fiable : un ordinateur dont la santé est étroitement surveillée.

Trois sondes ont été envoyées à la découverte de l’espace par l’Agence spatiale européenne (ESA) : Mars Express tourne autour de la planète rouge à la recherche de traces d’eau ; Rosetta voyage vers la comète Churyumov-Gerasimenko pour larguer en 2014 un module d’exploration à sa surface ; Venus Express orbite autour de l’étoile du berger pour observation. Chacune embarque un laboratoire scientifique composé d’une douzaine d’instruments savants, du spectromètre ultraviolet à l’analyseur de masse ionique, complétés par une pléiade de composants sophistiqués entassés dans quelques mètres cubes : système de positionnement, centrale solaire, antennes orientables, propulseurs…Le technicien à bord ? Un ordinateur pas comme les nôtres. Ses composants sont spécialement adaptés à un fonctionnement dans l’espace et sa fiabilité est exceptionnelle : il plante rarement plus d’une fois par an. Pour fabriquer de tels ordinateurs, l’ESA a dû surmonter plusieurs obstacles. D’abord les rayons solaires. Filtrés par l’atmosphère terrestre, ils ne le sont pas dans l’espace : très puissants, ils feraient planter un PC du commerce. L’ESA répond par trois astuces : un blindage électromagnétique protège les composants ; les circuits électroniques sont gravés avec des pistes très larges, moins sensibles aux perturbations ; les systèmes travaillent à une fréquence très lente (80 MHz).Deuxième ennemi : les températures. Elles grimpent à plus de 50?’C près du soleil et dégringolent sous 0?’C quand on s’en éloigne. Pour refroidir les composants, la sonde est orientée de telle sorte qu’ils ne sont jamais exposés au soleil sous un angle de plus de 10?’. Pour les réchauffer, des caloducs acheminent la chaleur depuis la face ensoleillée du satellite.

Les défaillances sous contrôle

En dépit de ces précautions, il arrive qu’un calculateur tombe en panne. Catastrophe ? Non, car un autre processeur prend aussitôt le relais. Chaque sonde est en effet dotée de quatre calculateurs. Le premier contrôle l’orientation du satellite, le deuxième s’occupe des autres commandes. Le troisième et le quatrième sont ‘ redondants ‘ : ils sommeillent, prêts à prendre le relais en cas de défaillance. Tous les composants importants sont ainsi doublés, faisceaux de câbles compris, à l’exception de la mémoire de stockage, composée de 1,5 Go de mémoire vive constamment sous tension. Quid du code informatique ? Chaque instruction est codée sur 16 bits suivis de 6 bits de ‘ redondance ‘ servant à détecter et à corriger les erreurs de transmission.Bien que la fiabilité soit une obsession, l’ordinateur de bord plante occasionnellement, souvent par la faute des logiciels embarqués. Impossible d’envoyer un dépanneur dans l’espace : l’assistance technique intervient à distance, depuis Darmstadt en Allemagne, siège du Centre européen des opérations spatiales (Esoc). Problème : en fonction de la distance, la communication radio met parfois une heure à faire le voyage Terre-sonde.Les sondes peuvent heureusement survivre pendant ce laps de temps, voire plus : leur autonomie frise les deux semaines. Comment ? Les composants non essentiels à leur survie sont débranchés, puis les sondes passent en ‘ safe mode ‘, le mode ‘ sans échec ‘ qui garantit un fonctionnement minimal correct. Seules trois commandes vitales sont préservées : la trajectoire, l’alimentation électrique, l’orientation des antennes. La sonde se place donc en demi-sommeil pendant que les ingénieurs de l’Esoc planchent sur le problème. Ces derniers téléchargent la ‘ télémétrie ‘ du satellite : 32 000 mesures prises par les capteurs embarqués. Dans ce formidable casse-tête, ils traquent les bugs, parfois pendant plusieurs semaines, pour en isoler la source. Michel Denis, responsable des opérations de Mars Express, se souvient d’un plantage qui a donné du fil à retordre à son équipe. ‘ Mars Express s’est retrouvée en safe mode plusieurs fois. Impossible de savoir pourquoi. Après plusieurs plantages, un ingénieur a remarqué que ces problèmes survenaient à intervalles réguliers. Tous les six mois, la mémoire de stockage devenait sourde et muette pendant 256 secondes. Le satellite diagnostiquait une panne et passait en safe mode. ‘ La solution ? ‘ Tous les six mois, nous isolons manuellement la mémoire de stockage. ‘

Silence radio pendant six jours

Paolo Ferri, chef des missions planétaires, rapporte une autre opération de sauvetage. ‘ La sonde était assez près du soleil, les vents solaires étaient particulièrement actifs. Le traqueur d’étoiles, qui cartographie la position des astres pour en déduire l’orientation du satellite, chauffait trop. En deux heures, il a planté 64 fois. La 65e fois, le logiciel de contrôle a planté aussi. Au redémarrage, le logiciel ignorait que le traqueur d’étoiles était désactivé. Il a omis de lui donner l’ordre de redémarrer : pendant six jours, le traqueur d’étoiles a cessé de fournir des informations sur l’orientation de la sonde. Elle aurait pu dériver, ce qui aurait été très grave ; certains composants auraient pu surchauffer, l’orientation de l’antenne aurait pu dévier au point de perdre le contact avec la Terre. ‘Cette fois-là, il a fallu corriger le logiciel de bord en envoyant une mise à jour du programme. Une opération périlleuse : la Nasa a perdu la sonde Mars Global Surveyor en corrigeant ses programmes à distance. Pour éviter pareille déconvenue, les ingénieurs de l’ESA disposent d’un simulateur reproduisant les réactions du satellite à la nouvelle version du logiciel. Pour Rosetta, ils disposent d’une copie conforme de la sonde. Elle permet de tester les nouveaux programmes avec un grand réalisme, parfois pendant plusieurs semaines.La surveillance des sondes spatiales est un métier excitant. ‘ C’est une vraie drogue, confie Paolo Ferri. On passe des heures dans la salle de contrôle, perdant toute notion du temps. Ce n’est qu’après seize heures d’excitation que l’on finit par sécrouler physiquement. ‘

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Nicolas Six