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TikTok bientôt interdit ? On vous explique comment on en est arrivé là

Prenez un fonds de rivalité éco-politique, ajoutez-y des soupçons de surveillance et une affaire d’écoute de journalistes, et vous aurez le cocktail explosif qui a mené à ce que le réseau social le plus puissant du monde soit devenu… la plateforme la plus sanctionnée au monde.

Une véritable descente aux enfers : ces trois derniers mois, TikTok est passé par les pires semaines de son existence : interrogatoire musclé de son PDG devant une commission d’enquête du Sénat aux États-Unis, menace de l’interdiction ou de vente forcée, « mesures » ou lois visant à exclure le réseau social des téléphones d’agents publics occidentaux.

Celui qui est accusé d’être « un cheval de Troie du parti communiste chinois » a assisté, impuissant, à ces interdictions tombées les unes après les autres, comme une rangée de dominos. Après les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la France, la Belgique et la Commission européenne ont interdit à leurs fonctionnaires d’utiliser ce réseau social sur leurs téléphones professionnels. Mais qu’a donc fait TikTok pour être à ce point conspué ? À l’heure où le Congrès américain semble galvanisé pour pousser la plateforme chinoise hors des États-Unis, il est temps de revenir aux origines de la disgrâce de TikTok. 

La rivalité sino-américaine

Les choses ne seraient certainement pas allées aussi loin si TikTok n’avait pas été… chinois. Car si la rivalité technologique et politique entre les États-Unis et la Chine a couvé pendant des années, elle finit par éclater à la fin des années 2010. En 2019, Pékin affiche clairement ses ambitions. Son message : le pays remplacera les États-Unis à la première place du leadership mondial. Son plan “Fabriqué en Chine 2025”, destiné à dominer la tech de demain, convainc Donald Trump de lancer les hostilités. L’impulsif président des États-Unis augmente les droits de douane sur les produits chinois exportés dans le pays, met des fleurons chinois comme Huawei sur liste noire, et lâche cette phrase, « nous interdirons TikTok » dans l’Air Force One en août 2020… à la surprise générale.

Trois ans plus tôt, le réseau social avait été propulsé aux États-Unis, fruit de la volonté de ByteDance, une start-up chinoise, de se lancer dans les réseaux sociaux. Cette dernière avait créé pour le marché chinois « Douyin », avant de développer son jumeau pour l’occident : TikTok. Et pour faciliter son entrée sur le marché américain, elle avait racheté Musical.ly, une appli déjà disponible outre Atlantique avec qui TikTok va fusionner. Dès les premiers mois, le succès est fulgurant. Il est si flamboyant qu’il attire l’attention du CFIUS, le comité des investissements étrangers aux États-Unis.

Les risques d’espionnage

En 2019, cette institution décide d’ouvrir une enquête. Car TikTok, comme tous les réseaux sociaux, collecte les données personnelles de ses utilisateurs pour les monétiser. Potentiellement, l’appli a accès au micro, à la caméra, aux contacts, ou encore aux données de géolocalisation de chaque utilisateur. Les données recueillies sont-elles envoyées en Chine et transmises au gouvernement chinois, qui pourrait se servir de ce levier pour espionner des personnalités ? Le CFIUS se pose déjà la question, évoquant la menace pour la sécurité nationale du pays. 

Car en ligne de mire, ce comité pointe une loi chinoise de 2017 qui oblige les entreprises locales à « soutenir, aider et coopérer en secret avec les services de renseignement de l’État », s’ils en font la demande. Cette collaboration est aussi valable pour les sociétés qui n’opèrent pas sur le sol chinois, ce qui pourrait de fait s’appliquer à TikTok. Dans le doute, fin 2019, l’appli est interdite sur les smartphones de l’armée et de la marine.

Et durant l’été 2020, ce qui n’était encore qu’une enquête administrative va prendre un tournant plus musclé avec Donald Trump, qui vient de déclencher une guerre commerciale avec la Chine. Le Président accuse le réseau d’être à la solde de Pékin – allégation que ne cessera de réfuter TikTok. Après l’interdiction, l’option de la vente forcée est mise sur la table. Les choses iront loin puisque Oracle se positionnera même pour racheter le réseau social. 

Mais finalement, lorsque Joe Biden arrive au pouvoir en 2021, les décrets pris par Donald Trump sont annulés. Le nouveau Président demande au département du Commerce de s’occuper du traitement des données de TikTok. Et pendant plusieurs mois, le réseau social respire… en s’efforçant de montrer patte blanche. Il présente en août 2022 son « project Texas », un plan qui permettrait, selon la plateforme, de mettre fin aux inquiétudes des Américains. Concrètement, les activités américaines de TikTok seraient regroupées dans une nouvelle filiale, TikTok U.S. Data Security. Ses dirigeants seraient contrôlés par le gouvernement américain. Et plus aucun lien n’existerait avec la Chine. 

Le répit du réseau social ne va pas durer très longtemps. Car si, jusqu’à présent, aucun cas d’espionnage n’avait fini sur la place publique, un épisode va venir ruiner fin 2022 tous les efforts de TikTok… et relancer l’étau réglementaire. 

L’épisode de l’espionnage des journalistes 

La séquence a lieu en décembre 2022. Elle est révélée par des journalistes de Forbes, qui publient une enquête fracassante. Le média américain explique que des employés de ByteDance, travaillant en Chine, auraient essayé d’identifier les sources de journalistes anglo-saxons de BuzzFeed, du Financial Times et du New York Times. La maison mère de TikTok aurait cherché à identifier des « taupes », des employés de la plateforme qui auraient communiqué plusieurs informations sensibles à ces journalistes. Pour ce faire, elle aurait comparé les données de localisation des reporters, récupérées grâce à TikTok, avec celles des salariés soupçonnés d’être à l’origine des fuites. 

À Washington, l’affaire a l’effet d’une bombe. Voilà la preuve que TikTok espionne bien des utilisateurs américains, estime la Maison Blanche. Dès la fin décembre, le processus d’interdiction est relancé. Une loi qui prévoyait de supprimer l’application des téléphones des fonctionnaires est votée. Et la mesure va faire boule de neige en Occident. Elle va être adoptée dans de nombreux pays, dont la France. Notre pays vient ainsi de décider d’exclure le réseau social de tous les téléphones professionnels de ses agents publics – avec d’autres applications.

Début mars, la Maison Blanche affiche par ailleurs pour la première fois son soutien, très officiel, à un projet de loi visant à interdire totalement le réseau social du sol américain. 

De son côté, TikTok tente d’éteindre l’incendie : oui, il reconnaît que des employés de ByteDance ont bien utilisé l’application pour localiser, grâce à leur adresse IP, les journalistes qui faisaient des reportages sur l’entreprise. Mais il s’agissait d’une « initiative malencontreuse » prise par des salariés qui ont tous été licenciés, et qui était contraire au code de bonne conduite de l’entreprise, a expliqué la société à l’AFP. Le mea culpa n’a aucun effet : le FBI a non seulement ouvert une enquête sur cette affaire, selon Forbes. Mais le PDG de TikTok est convoqué devant une commission d’enquête du Congrès américain. Et sa prestation du jeudi 23 mars ne calmera en rien la fureur des députés américains. 

À côté des risques d’espionnage, d’autres éléments sont venus accentuer l’étau réglementaire des États-Unis et de leurs alliés. Outre des cas de censure sur la plateforme, évoqués par le chercheur de l’IRSEM Paul Charon le 20 mars dernier lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat français sur TikTok, le réseau est aussi accusé de nuire à la santé mentale des adolescents. En ligne de mire : son algorithme qui rend le réseau très addictif et qui aurait tendance à mettre en avant des contenus problématiques comme des vidéos prônant l’anorexie ou des jeux dangereux.

À lire aussi : Comment les réseaux sociaux détruisent la santé mentale des enfants et des adolescents

Et si les critiques sont aussi vives, c’est aussi parce que le réseau social est surtout un très (et trop) puissant instrument de soft power, utilisé par 1,7 milliard de personnes dans le monde. Aux États-Unis, la plateforme aux 150 millions d’utilisateurs locaux serait regardée presque autant que Netflix, selon une récente étude. Laissez entre les mains d’un rival un instrument aussi puissant n’est décidément pas envisageable, estiment en filigrane les autorités américaines. Ces dernières finiront-elles réellement par interdire le réseau social aux États-Unis, et la mesure sera-t-elle suivie par le reste de l’Occident ? Réponse dans les prochains mois.

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Stéphanie Bascou
Votre opinion
  1. J’espère que ça sera banni partout. Même pas au nom de la sécurité nationale, mais plutôt dans un soucis de protection des jeunes, cette appli les rend complètement zinzin. On en est à un point assez grave, les autres Facebook, Twitter et consorts n’étaient déjà pas terrible mais passaient encore, mais là c’est trop… Bref on s’en passera volontiers.

    1. Raisonnement boiteux quand on considère les autres réseaux sociaux tels que Instagram ou Snapchat.

      La solution serait de promulguer une loi qui protégerait les plus jeunes mais là ça toucherait les américains donc impensable…

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