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« Client à problèmes, mari avocat, maître chanteur »

Voici quelques exemples de commentaires trouvés dans les fichiers nominatifs contrôlés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés, livrés à l’occasion de son bilan 2008.

Rien que pour l’année 2008, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a enregistré près de 72 000 nouveaux fichiers de personnes. Cabinets de recrutement, commerces, professionnels médicaux, études d’huissiers, pour ne citer que ceux-là, y ont recours pour conserver des informations sur leurs clients ou sur leurs patients. Le vote définitif, mercredi 13 mai, de la loi Création et Internet promet, lui, l’ouverture d’un fichier des pirates sanctionnés par une coupure de leur connexion à Internet. En effet, comme il sera interdit à ces derniers de se réabonner chez un autre FAI, il faudra nécessairement que les opérateurs se passent l’information.

C’est ce genre de fichiers que la Cnil peut contrôler. Mais sait-on exactement ce qu’on y trouve ? Outre les noms et les coordonnées de personnes, la Cnil tombe parfois sur des commentaires « abusifs » qui peuvent nuire aux personnes. D’après son bilan 2008 présenté hier, sur l’ensemble des manquements constatés, 23 % concernent la pertinence et la mise à jour de données. C’est le deuxième cas de problème, derrière la collecte déloyale (27 %) et devant l’information et le non-respect du droit d’accès ou d’opposition des personnes fichées (19 %).

Des exemples ? Le fichier client d’un centre auto des Yvelines, avec ces commentaires du genre « mari avocat, maître chanteur, voir monsieur R. avant intervention » ou « attention ne plus intervenir sur le véhicule, client de mauvaise foi, problème crédit », qui sous-entend en plus que le centre a récupéré des informations bancaires.

Un défouloir

Le secteur commercial est loin d’être le seul à procéder à de telles pratiques. Dans le recrutement et l’intérim, on se lâche aussi. Comme ça : « a l’air un peu chiant, du genre “M. Réponse-à-tout” !! » ou carrément « gros connard de merde qui a fait 1 journée sur les 5 prévues ». Version courte : « gros boulet » et « gros chieur ». Sobre, mais explicite.

L’agacement de l’interlocuteur est perceptible quand il écrit « gros baratineur qui n’y connaît absolument rien en info !!!!! ». L’agacement, mais aussi le racisme, « petit accent rebeu », et le commentaire politique dans « a l’air d’être un gros facho ». Toutes ces annotations semblent en fait servir de défouloir et s’appuient parfois sur une perception subjective, comme en témoigne l’expression « a l’air ».

La Cnil a fait des constats similaires dans les fichiers clients d’une clinique vétérinaire. Au choix : « se fout du monde », « chieuse mal élevée », « maître con (sclérose en plaque), épouse gentille ». Ou ce commentaire, dont on se demande bien le rapport avec le soin des animaux, « l’épouse vient d’apprendre un cancer de l’utérus très avancé ». Quant aux études d’huissiers, on imagine bien l’usage qui peut être fait d’annotations comme « avait des problèmes de drogue et de justice», « déb. malade cancer du sein, ne peut pas payer », « grave dépression nerveuse, ne touche que le RMI ».

Plus dérangeants encore, les fichiers de l’aide sociale à domicile, où s’accumulent les commentaires sur les foyers, entre violation de l’intimité, secret médical bafoué et accusations très graves relevant de la justice pénale. Cela va de « gros soucis familiaux, grands-parents ont un cancer et son frère fait une dépression » à « divorce des parents, le papa était alcoolique et abusait sexuellement de la maman devant sa fille », en passant par « attention récemment attouchement sexuel » et « commission rogatoire à Lyon pour risque de pédophilie ».

Vraies ou pas, toutes ces remarques ont un point commun : leurs auteurs n’avaient pas à les écrire, encore moins à en permettre la lecture par d’autres. Il reste que toute personne enregistrée dans un fichier a le droit de consulter sa fiche et de demander des modifications. Un refus de la part du détenteur du fichier peut conduire à une mise en demeure et à une sanction de la Cnil.

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Arnaud Devillard