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A quoi pensent les robots ?

Rodney Brooks, l’inventeur du robot aspirateur Roomba, compare la perception que les robots ont de leur environnement à celle des insectes. Mais elle pourrait bientôt échapper à notre entendement, selon lui.

On ne présente plus l’Australien Rodney Brooks, un mathématicien qui a dirigé le laboratoire en intelligence artificielle du MIT, avant d’inventer le robot aspirateur Roomba, puis le robot industriel humanoïde Baxter. Il signe aujourd’hui un billet stimulant sur la façon dont les robots appréhendent leur environnement, premier chapitre d’une série d’articles sur l’état de l’art en intelligence artificielle.

Sa démarche emprunte aussi bien à la philosophie qu’à l’éthologie, de nombreux scientifiques ayant essayé de décrire le rapport au monde d’une chauve-souris ou d’un chien, par exemple. Il a décidé de faire la même chose… mais pour les robots ! S’ils ne disposent pas (encore) d’une conscience, ils possèdent comme les êtres vivants une Merkwelt. Ce concept emprunté au biologiste allemand Jakob von Uexküll désigne la somme des stimuli perceptibles.

Rodney Brooks avec ses derniers robots Sawyer et Baxter.
Rodney Brooks/Rethink Robotics – Rodney Brooks avec ses derniers robots Sawyer et Baxter.

Pour Rodney Brooks, le niveau de perception de la première génération des robots aspirateurs Roomba a longtemps été analogue à celui des insectes. Toutes sortes de capteurs leur fournissaient des informations aboutissant à une action mécanique, sans qu’ils soient pour autant capables tirer des leçons de leur expérience. « Ils n’avaient aucune conscience d’eux-mêmes, aucune conscience qu’ils étaient en train de nettoyer (..) pas de sens ou de représentation interne de leur action », détaille l’ingénieur.

Aujourd’hui, ces aspirateurs sont en mesure de cartographier leur environnement et d’apprendre à le reconnaître via une caméra et surtout une sacrée dose de logiciel. Le résultat de 30 ans de recherches sur le SLAM (Simultaneous Localization And Mapping) qui a également profité aux voitures autonomes. Le Roomba utilise la carte qu’il crée pour vérifier les zones dans lesquelles il a passé du temps afin qu’il soit capable de répartir son nettoyage dans un temps limité. C’est grâce à cela également qu’il réussit à évoluer en ligne droite avec des tas d’aller-retour étranges pour un humain qui progresse dans son ménage au gré de son inspiration.

Le Roomba 880.
01net.com – Le Roomba 880.

Malgré cette énorme progression, l’ouverture du robot Roomba sur le monde est « beaucoup plus faible que celle des oiseaux ou de mammifères comme des poulpes », conclut Rodney Brooks. Il ne garde en mémoire que des incidents ou des choses en relation avec la carte de son environnement. Et ne sait rien du reste.

Les futurs robots sauront tout de nous

Un nouveau pas devrait cependant être franchi avec la prochaine génération de robots, qui va bénéficier des progrès technologiques matériels des smartphones et logiciels de l’intelligence artificielle. Des capteurs performants et de puissantes unités de calcul existent désormais à une échelle miniaturisée et pour un prix modique. Une structure qui équipe déjà les smartphones et va profiter maintenant aux robots. Dotées de caméras, de micros et d’antennes radio, les machines vont non seulement capter différents réseaux mais aussi tous les appareils qui y seront connectés.

Le robot pourra savoir si une personne approche de la maison grâce à sa signature Bluetooth. Il aura aussi la possibilité d’écouter le contenu de nos communications, de compter le nombre de pauses que nous nous accordons, les mots que nous tapons sur notre ordinateur ou les mails transportés par le WiFi dans notre maison.

Rodney Brooks cite également en exemple les travaux de Dina Katabi et de ses étudiants du MIT. Ils ont prouvé que la présence physique d’une personne avait une influence sur un signal Wi-Fi. Ils ont même réussi à détecter les émotions des gens et savoir s’ils étaient heureux, excités, tristes ou en colère… tout simplement en observant le comportant du signal qui trahissait l’accélération ou le ralentissement du rythme cardiaque et de la respiration. Ces mêmes signaux seront une aide pour comprendre comment est construit l’environnement, si les murs sont en bois ou en béton, par exemple. Ou si des objets métalliques – des véhicules – passent à proximité.

Doté d’un GPS, le robot connaîtra approximativement ses coordonnées. Et il aura accès aux services que les smartphones possèdent déjà : l’heure, la date, la météo, les prévisions. Il saura d’emblée s’il fait sombre dehors en raison de l’heure du jour et de l’année sans avoir eu besoin de l’expérimenter.

Les caméras supporteront l’ultraviolet et l’infrarouge. Dans ce cas, les machines sauront où vous avez posé votre postérieur sur le canapé, et  quel chemin vous venez d’emprunter. Mais elles profiteront aussi de tous les appareils domestiques qui nous regardent et nous écoutent déjà en permanence : détecteurs de fumée, caméras de surveillance, Amazon Echo ou Google Home, et  les téléviseurs intelligents. 

« Nos futurs robots domestiques liront en nous directement comme jamais personne n’a été capable de le faire », souligne le scientifique. Le fait que cela soit considéré comme une expérience subjective dépendra de la façon dont l’information sera transmise et traitée.

Faut-il doter les machines d’une conscience ?

Une fois le constat posé avec brio, Rodney Brooks s’aventure dans le terrain beaucoup plus glissant de la prospective. Car il existe un danger, selon lui : le manque d’« empathie » à venir des robots. « Si nos robots contournent la façon dont nous appréhendons le monde en ayant un accès direct à l’information, il leur sera difficile de comprendre nos limites », écrit-il.  Les premières générations seraient ainsi beaucoup plus insensibles que les mammifères dans leur comportement et leurs échanges avec nous.

Nos robots domestiques auront une Merkwelt différente de la nôtre, alors que nous partagerons un même espace domestique. « Mieux nous comprendrons le Merkwelt de nos robots assistants, plus nos attentes seront réalistes sur ce qu’ils sont capables de faire et ce que nous pouvons leur déléguer ou leur confier, sachant à quels aspects de notre vie privée nous renonçons en les ayant à nos côtés », prévient le pape de la robotique.

D’où la proposition de Brooks d’imprégner les robots avec des expériences subjectives et des expériences conscientes. Seule solution, selon lui, pour que nous commencions à avoir de l’empathie les uns avec les autres. Sinon, nous risquons forts de rester dans la position du « poulpe et du plongeur». Tous les deux conscients l’un de l’autre, mais pas vraiment en interaction.

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Amélie Charnay