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L’e-ducation, c’est 24 heures sur 24

A Carcassonne, une équipe de profs passionnés expérimente le lycée de demain. Emploi du temps, notes, absences : tout est consultable sur Internet en permanence.

Le réveil sonne… il est huit heures. Je tape l’adresse Internet du lycée dans mon navigateur (www.lyceejulesfil.com) et je m’identifie :mon emploi du temps s’affiche en ligne. Quelle bourde : le cours de biologie a été déplacé ! Je vais le rater !Départ en catastrophe. J’arrive dans le hall du lycée à 9 h, et je scrute l’écran plasma. Il n’indique aucune absence de prof. Dommage. J’arrive à temps pour le cours de maths. Mme Vile-Prun a apporté son portable et un projecteur vidéo. Elle diffuse la suite mathématique Verhulst qu’elle a programmée. Puis elle change les variables, et on voit se former le figuier de Feigenbaum sur l’écran géant.10 h, c’est la pause. Mon père m’appelle. Il a reçu un SMS de l’école, signalant mon absence de ce matin. ‘ Le jour du conseil de classe ‘, grogne-t-il. ‘ En plus, j’ai consulté le site du Lycée, tu as séché plusieurs cours de biologie. Tes notes s’en ressentent ‘, poursuit-il avant de raccrocher.Pas le temps de réfléchir à une excuse, c’est l’heure de l’interrogation de physique. Le devoir est difficile : je n’ai rien compris à l’exo numéro 3. J’irai voir sur Internet, la prof a publié les corrigés sur son site. En attendant, j’enchaîne avec le cours d’anglais. A la fin de la leçon, le prof nous lance : ‘ J’ai mis une émission de la BBC en ligne en MP3. Pour la semaine prochaine, vous la téléchargerez sur votre iPod, et vous la résumerez. ‘

Un superbe projet pédagogique

Ouf, ça sonne… c’est midi, direction la cantine. Je tape mon code, je glisse ma main dans le lecteur biométrique. Me voici identifié. Le surveillant m’autorise à remplir mon plateau. Pas de surprise, le menu était annoncé sur le plasma du hall. A table, je médite sur le conseil de classe, prévu pour 16 h 30. La journée va être longue à imaginer ce que les profs vont dire. Un camarade délégué de classe m’explique : ‘ Ils seront assis en rond devant l’écran géant. Le proviseur diffusera tes notes. Il affichera d’abord un schéma en forme de toile d’araignée, qui permet de voir rapidement les matières où tu es faible. Il affichera ensuite une synthèse de tes notes et de tes absences, sur trois années. Et, pour finir, un histogramme comparant tes résultats à ceux de ta classe, puis à ceux du lycée. En deux minutes, les profs auront tout pigé. ‘ La suite, je la connais bien. A 18 h, un prof imprimera mon bulletin et le donnera à ma mère… sans se priver de faire quelques commentaires. Et, quand ma mère rentrera, je l’entends déjà : ‘ Ton prof de biologie dit que tes notes sont en baisse. Il a déposé des cours de méthodologie sur son site Internet. Monte dans ta chambre et révise ! ‘Soyons franc. Au lycée Jules-Fil, aucun élève n’a jamais vécu pareille journée mais tous les lycéens connaissent les SMS d’absence, le conseil de classe informatisé, la biométrie à la cantine, l’emploi du temps sur Internet…Pourtant, ils sont rares encore ceux qui ont vu la couleur d’un corrigé en ligne ou écouté des émissions de la BBC sur leur iPod, car tout le monde ne joue pas le jeu. Et surtout les profs…

Ce sont les profs les plus rétifs

A peine 10 % des 250 professeurs déposent des documents sur le site du lycée. Deux ou trois documents seulement y font leur apparition chaque mois. C’est peu. Les élèves ne se connectent pas au site quotidiennement. Un quart seulement utilise son espace de stockage. Il faut dire que les rubriques du site ne sont pas toujours très claires. On est loin du lycée utopique qu’on pourrait plutôt imaginer ainsi : chaque classe disposerait d’un écran géant tactile, en guise de tableau. Tous les schémas dessinés par le prof sur cet écran, tous les textes écrits, resteraient consultables après le cours depuis n’importe quel ordinateur connecté à Internet. Les élèves rendraient leurs devoirs par e-mail, téléchargeraient les corrigés sur la page Web du prof. Ils y trouveraient également des compléments de cours (vidéos, sons, textes). Les élèves resteraient en relation avec le professeur grâce au tchate et au forum. Les lycéens en difficulté se verraient distribuer des logiciels de rattrapage leur permettant de travailler spécifiquement leurs faiblesses. Un superbe projet pédagogique, mais hors de portée des lycées français !

Des moyens pas à la hauteur

Le prix du matériel n’est pas seul en cause. Le problème est plus profond. L’Education nationale ne crée pas suffisamment de postes pour faire fonctionner le système. Surtout, elle n’encourage presque jamais les professeurs qui mettent en ligne des contenus. et ne leur offre que rarement les formations qui leur permettraient de maîtriser les outils logiciels. Et elle n’a pas encore mené les expérimentations pour répondre à la question : ‘ Comment utiliser intelligemment les outils numériques ? ‘ Personne ne sait donc précisément ce qu’on peut tirer d’un tableau numérique ou d’un espace collaboratif sur Internet, etc.Dans ces conditions, le lycée numérique est bâti par des pionniers. Des profs passionnés, qui improvisent sur leur temps libre. Comme Mme Vile-Prun, qui passe des dizaines d’heures chaque mois sur divers projets ?” pour cela, on ne lui a retiré que quatre heures de cours par semaine. Ou M. Souque, professeur d’informatique remplaçant, formidable touche-à-tout qui supervise le réseau et les logiciels, installe les serveurs, développe le site Internet, forme les profs… Jusqu’à 50 heures par semaine.Sans oublier le proviseur, qui n’a pas son pareil pour arracher du matériel ou des formations à l’Education nationale, ou aux collectivités locales. C’est lui qui a imposé aux profs de rentrer les notes des élèves dans un PC ! Sans ces pionniers, rien, sans doute, naurait été possible au lycée Jules-Fil.

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Nicolas Six