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StopCovid : pourquoi le gouvernement a choisi de ne pas imposer l’installation de son appli

Le Conseil scientifique, la Cnil, l’Union européenne… Toutes les institutions se disent convaincues de l’utilité d’une telle application. Faisons un point sur les contours législatifs du dispositif. 

Tracer les contacts des personnes infectées par le Covid-19 est jugé utile pour sortir de la crise. Les institutions en conviennent. Mais pour que l’appli soit efficace, il faudrait qu’au moins 60 % de la population la télécharge. Les experts sont formels. Alors que l’arsenal juridique européen permettrait de le rendre obligatoire, télécharger StopCovid sera toutefois un acte volontaire.

Une « appli de confort » ?

« Le gouvernement aurait tout à fait pu choisir de rendre obligatoire l’installation de l’application », pointe Annie Blandin, professeure de droit à IMT Atlantique et membre du Conseil national du numérique (CNnum). « Le RGPD mentionne une exception au consentement, celle de “l’intérêt général” dans l’article 9 du texte européen. »
Néanmoins, « le chef de l’État a été clair et on comprend aisément pourquoi », affirme-t-elle. « Il est donc moins question de savoir si l’appli est conforme juridiquement mais plutôt de savoir comment susciter l’adhésion de la population. »

En choisissant comme base légale « le consentement », le gouvernement fait appel au libre arbitre de chaque citoyen. Une formule qui lui permet de se conformer aux directives communautaires récemment établies par la Commission européenne et surtout de ne pas modifier la loi française… impliquant néanmoins d’autres contraintes.
En vertu du RGPD, pour qu’un consentement ait une valeur juridique, « il doit être libre, spécifique, éclairé et univoque », rappelle Me Cullaffroz-Jover, avocate spécialisée dans les nouvelles technologies chez PwC.

Liberté d’installer et de désinstaller

La liberté du consentement s’illustre principalement par l’acte volontaire de téléchargement de StopCovid. Pour être totalement libre, le consentement du citoyen doit « pouvoir être retiré à tout moment », ajoute Me Cullaffroz-Jover.
Cela signifie aussi que le fait de ne pas la télécharger ne doit pas exposer l’individu à des conséquences négatives – par exemple, le contraindre dans sa liberté d’aller et venir.
Comme l’a rappelé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), aucune société ne pourra exiger à ses employés de télécharger Stop Covid pour retourner sur leur lieu de travail.

« En clair, l’utilisation de l’application ou sa non-utilisation ne doivent pas pouvoir être retournées contre les citoyens », résume l’avocate.

Une fois libre, le consentement doit encore être « spécifique ». Autrement dit, il « doit correspondre à un seul traitement, pour une finalité déterminée », précise la Cnil.
En l’état du chantier, les contours de StopCovid sont encore extrêmement flous…  

« Il s’agirait par exemple de savoir si l’application est utile au corps médical. Et si oui, l’outil présenterait un intérêt s’il est mis au centre d’un plan sanitaire global et non une simple “annexe” », explique la professeure de droit Annie Blandin.

Une analyse qui va dans le sens de l’avis du CNnum, institution dans laquelle elle siège, mais aussi celui du Conseil scientifique, de la Cnil et de l’Académie de médecine. Le cas échéant, la professeure de droit ironise : « Ce ne serait alors plus qu’une appli de confort ».

Un besoin urgent d’éclairage 

Cette spécificité du consentement va de paire avec l’« éclairage » des citoyens. Pour consentir de manière éclairée, les citoyens doivent avoir accès à une information claire, complète et transparente. 

« Le responsable du traitement devrait fournir les informations suivantes […] : l’identité du responsable du traitement ; les finalités poursuivies ; les catégories de données collectées ; l’existence d’un droit de retrait du consentement ; et […] si les données dans le cadre de décisions individuelles automatisées ou [dans] un transfert vers un pays hors Union européenne », explicite la Cnil.

En résumé, le citoyen doit être en mesure de tout savoir avant de signer. Là encore, on en est loin… 

À l’heure actuelle, les nuages s’amoncellent au-dessus de StopCovid. Plusieurs points restent en suspens. Qui va traiter les données : le ministère de la Santé et des Solidarités ? Le consortium d’entreprises privées dont Orange et Withings ? Santé publique France ? Et pour quelle finalité : l’aide à la veille sanitaire ? Le bon déroulé du déconfinement ?…

Le débat parlementaire des 28 et 29 avril devrait aider à y voir plus clair – même si la question StopCovid risque d’être noyée dans l’ensemble des mesures prévues pour sortir du confinement en place depuis le 17 mars ont fait l’objet le débat. 

Des incertitudes techniques pesantes

Enfin, un consentement est valide s’il est « univoque ». Plus simplement oui c’est oui, mais non c’est non. Pas d’espace pour s’y méprendre. 

« L’utilisateur exprime son contentement après avoir reçu une information complète et compréhensible. Par ailleurs, les questions de “privacy by design” doivent être réglées par une architecture technique garante des droits et libertés et une ergonomie claire et facile », insiste l’avocate spécialiste Me Cullaffroz-Jover.

Sur ce point technique, la question n’est pas tranchée et des problèmes pourraient se poser. Les débats sont encore balbutiants et les obstacles nombreux.

On l’aura compris le consentement, ce n’est pas juste être volontaire. Les conditions de ce consentement sont aussi importantes que l’acte de consentir en lui-même. Et ce n’est pas fini…
Dans l’hypothèse où toutes ces conditions sont réunies, il resterait encore au gouvernement de respecter le « principe d’égalité » consacré par la Constitution.

En vertu de ce principe, « des équipements pour les personnes devront être mis a disposition de ceux qui n’en disposent pas et qui souhaiteraient télécharger l’application de manière volontaire afin d’en assurer une adoption large, gage d’efficacité », complète l’avocate Me Cullaffroz-Jover.

En ce sens, l’initiative « des ordinateurs pour nos enfants » incitant les entreprises à donner des machines aux enfants qui n’en possèdent pas constitue une piste. 

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Marion SIMON-RAINAUD