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Pourquoi la 5G est une mauvaise nouvelle pour l’environnement

Le débat sur la consommation énergétique de la 5G n’est pas encore tranché. Mais ce nouveau standard va nous inciter immanquablement à renouveler prématurément nos smartphones et à solliciter davantage le réseau mobile.

Jamais un standard de téléphonie mobile n’aura été autant décrié. La 5G ne suscite pas que des craintes, et parfois des fantasmes, concernant la santé. Un vent de protestation s’élève maintenant pour interroger son impact sur l’environnement. Le journal Le Monde a publié en ce début d’année une tribune contre la 5G signée par deux membres du think tank The Shift Project, qui milite pour une économie libérée de la contrainte carbone. Et l’année dernière, l’astrophysicien Aurélien Barreau avait poussé un coup de gueule contre la 5G depuis son compte Facebook.

Quelles conséquences environnementales pourrait avoir la 5G ? Il faudrait connaître exactement l’ampleur de son déploiement dans le monde, afin d’établir des projections. L’idéal serait également de réaliser une analyse du cycle de vie multicritère de la 5G et de la comparer à la 4G. Or, ces informations n’existent pas, tant au niveau national que mondial. Il est toutefois possible d’avancer des scénarios.

De nouveaux équipements du côté des opérateurs

La 5G va nécessiter dès cette année d’installer de nouvelles antennes dans la bande de fréquence 3,5 GHz en France. Elles seront ajoutées dans un premier temps sur les stations de base déjà existantes, avec un coeur de réseau 4G  (5G dite non standalone). Lorsque viendra le moment d’utiliser les fréquences millimétriques, à l’horizon 2022/2023, un nouveau type d’antennes, les small cell, sera déployé. Comme elles auront une portée réduite, il faudra en mettre davantage que celles que nous connaissons actuellement pour obtenir la même couverture. A peu près au même moment, les opérateurs changeront les équipements de leur coeur de réseau pour se conformer à la deuxième spécification de la 5G (5G standalone) et basculer sur un vrai cœur de réseau 5G.

Une small cell, une petite antenne qui pourrait venir compléter les réseaux macro déjà existants.
01net.com – Une small cell, une petite antenne qui pourrait venir compléter les réseaux macro déjà existants.

Pour ce qui est de la France, l’Arcep a fixé comme objectif aux opérateurs d’équiper 3000 sites en 2022, 8000 en 2024, 10 500 en 2025. Mais on ignore si le territoire français est voué un jour à être jour couvert intégralement en 5G. Il est probable que cela dépendra aussi en partie de la stratégie de chaque opérateur et qu’elle n’est probablement pas arrêtée à cette heure, d’autant que seule la bande de fréquence 3,5 GHz sera attribuée cette année. De même, l’incertitude demeure sur le maintien total ou partiel des autres générations de réseau en parallèle.

Ce que l’on peut dire, c’est que le passage à ce standard nécessite de produire assurément quantité de nouveaux équipements réseau. Avec de nombreuses conséquences négatives pour l’environnement. « Cette étape de fabrication va contribuer à l’épuisement des ressources non renouvelables comme l’eau et les énergies fossiles, à polluer l’eau mais aussi détruire les sols en extrayant des minerais. Cela va enfin produire des émissions de gaz à effet et donc aggraver le réchauffement global », nous explique Frédéric Bordage, fondateur du site Green IT.fr.

Une consommation incertaine des réseaux 5G

En attendant d’en savoir plus sur l’ampleur des déploiements, le débat se focalise sur la consommation énergétique de la 5G. Or, il n’y a pas de consensus scientifique sur la question. Les opérateurs français communiquent souvent sur le fait que la 5G sera plus efficace énergétiquement que la génération précédente. « Les nouvelles antennes 5G seront plus performantes mais surtout n’émettront qu’à la demande. C’est-à-dire seulement aux moments où les terminaux en auront besoin afin de permettre une utilisation plus efficace de l’énergie », nous a résumé un porte-parole d’Orange.  On peut ainsi espérer que les antennes se mettront en veille une bonne partie de la nuit.

Mais ce bénéfice va-t-il être contre-balancé par la multiplication du nombre d’antennes nécessaires aux fréquences millimétriques ? Il semblerait bien que oui.  C’est le sens,  en tous cas, de ce que le patron d’Orange Stéphane Richard nous a déclaré, lors de ses vœux à la presse. « A usage constant, la 5G ne consommera pas plus d’énergie que la 4G ».

Les équipes de l’opérateur historique ont tout de même tenu à nous rappeler que l’équation était bien plus complexe qu’il n’y paraît. Le nombre d’antennes est loin d’être le seul paramètre à prendre en compte. « Les gains énergétiques vont dépendre de l’optimisation du réseau, de l’efficacité des transmetteurs, de la montée en charge du nombre d’utilisateurs, du partage des infrastructures, de l’activation des modes veille sur nos matériels. Comme dans tout nouveau réseau mobile, les gains énergétiques seront aussi graduels du fait des progrès au fil du déploiement et de l’amélioration des équipements », nous a expliqué un porte-parole.

Orange a enfin tenu à souligner qu’il prévoit bien une augmentation dans les années à venir des dépenses énergétiques de son réseau mobile mais que cela serait dû principalement à la 4G. Il doit déployer de nouveaux sites prévus dans le cadre du New Deal mobile et visant à couvrir les zones blanches. Et il compte augmenter ses capacités dans les zones denses pour répondre à l’augmentation du trafic mobile. Pour compenser cette tendance, il s’attachera à rationaliser, par exemple, ses centres de données ou encore à préparer l’arrêt de la 2G et de la 3G.

Des réseaux mobiles davantage sollicités

Ce qui fait l’unanimité, en revanche, c’est que la 5G va entraîner un effet rebond sur le comportement des utilisateurs. S’ils disposent de plus de débit, de moins de latence et de plus de capacité réseau, ils vont consommer davantage de data et se tourner vers des applications très gourmandes en bande passante comme le streaming vidéo, les jeux vidéo ou la réalité virtuelle et augmentée. C’est déjà le cas en Corée du Sud où la 5G est disponible depuis le printemps 2019 chez les trois grands opérateurs nationaux. L’équipementier Ericsson prévoit même qu’un utilisateur sur cinq dans le monde absorbera 200 Go d’internet mobile par mois d’ici 2025 sous l’effet de la 5G.

Il se pourrait enfin que les utilisateurs finissent par bouder les réseaux fixes et se reportent constamment sur le réseau mobile via des antennes et des box 5G. C’est une tendance que l’on observe déjà avec la 4G dans les centres urbains bénéficiant d’une bonne couverture mobile indoor. Or, se connecter en mobile plutôt qu’en fixe, c’est solliciter davantage les antennes relais qui sont bien plus énergivores que les infrastructures filaires. Cela aura pour effet d’alourdir encore la facture énergétique des opérateurs.

Le renouvellement prématuré des smartphones

Cette cristallisation sur la consommation des appareils et des réseaux a le don d’agacer Frédéric Bordage. « On passe de cette manière à côté de l’essentiel : le renouvellement du matériel grand public. C’est cela qui aura le plus d’impact sur l’environnement », martèle-t-il. Car il faut savoir que 80% de la dépense énergétique d’un smartphone se produit au moment de sa fabrication. Une fois qu’il est conçu, il déjà trop tard en quelque sorte puisqu’il a contribué activement au réchauffement global. Enfin, comme pour les équipements réseau des opérateurs, la production des terminaux grand public contribue aussi à l’épuisement des ressources non renouvelables, à la pollution de l’eau et à la destruction des sol. Mais à une échelle bien plus grande.

La 5G dans une boutique de Sunrise à Zurich.
01net.com – La 5G dans une boutique de Sunrise à Zurich.

Des millions d’appareils 4G vont être mis au rebus prématurément, au bénéfice d’appareils flambants neufs et compatibles 5G. Smartphones, tablettes et même Always Connected PC sont concernés. D’après un autre rapport d’Ericsson, on comptait déjà 13 millions d’abonnés à des offres commerciales 5G fin décembre et le milliard devrait être atteint d’ici 2023. A tel point que le cabinet d’études IDC prévoit que la 5G redonne des couleurs au marché pourtant mature du smartphone. Les appareils compatibles devrait représenter 9% du total des ventes dès cette année et passer à 30% en 2023. De quoi franchir à nouveau la barre record des 1,4 milliards de smartphones écoulés en une année. A cela, devrait s’ajouter l’augmentation du nombre d’objets connectés de type montres intelligentes. Car les gens vont être incités à s’équiper encore et toujours plus avec la 5G.

Une course folle à la technologie

Vous l’aurez compris, la 5G est forcément une mauvaise nouvelle pour l’environnement. Dans une sorte de course folle à la technologie, l’industrie des télécoms est prisonnière d’un éternel cycle de renouvellement des standards et du matériel, même quand ces derniers continuent de fonctionner parfaitement bien. Les ingénieurs savourent les performances accrues de chaque nouvelle génération qui chasse la précédente. Mais pourquoi faire ? Les acteurs des télécoms reconnaissent volontiers aujourd’hui qu’ils ne savent pas encore quelles seront exactement les applications de la 5G pour le grand public. Tout juste concèdent-ils qu’elle va permettre dans les premiers temps de décongestionner la 4G. Il n’est même pas sûr que les opérateurs y gagnent financièrement, compte tenu de la hauteur de leurs investissements et du fait qu’ils ne vont pas augmenter sensiblement les tarifs. La question se pose donc de savoir s’il était vraiment utile de déployer la 5G pour tous. « Est-ce qu’on prend tous ces risques pour regarder des vidéos en streaming 4K à 300/km dans un TGV ? C’est ça le progrès de la 5G ? », s’interroge encore Frédéric Bordage.

Aurait-il fallu réserver la 5G aux entreprises puisque ce sont elles qui vont en tirer le plus d’applications ? Grâce au network slicing, cette capacité de découper le réseau en tranches logicielles, il sera possible de prioriser des usages critiques et de développer des innovations vraiment bénéfiques comme les opérations chirurgicales à distance à bord des ambulances ou encore la voiture autonome. Mais difficile pour la France de refuser la 5G pour le grand public, alors que le monde entier y passe. La réponse ne peut donc être que mondiale. Or, la danse est menée par quelques pays et entreprises qui jouent solo, espérant à chaque standard récupérer le maximum de parts de marché et de royalties en brevets.

Une question de régulation ou de liberté individuelle ?

Lorsque nous lançons le débat auprès du président de l’Arcep Sébastien Soriano, sa réponse est nuancée. « N’attendez-pas de moi que je critique la 5G, ce n’est pas ma mission et je dois rester neutre », prévient-il d’abord. « Toutefois, il est temps pour l’Arcep de sortir de sa posture techno-enthousiaste. Nous envisageons, par exemple, de pouvoir collecter des informations auprès des opérateurs qui permettront de fournir une sorte de baromètre vert aux consommateurs lié à des usages », ajoute-t-il. Mais pour ce qui est de l’incessant renouvellement des standards, Sébastien Soriano confesse son impuissance. « Cela dépasse largement le cadre de l’Arcep et c’est une question plus générale que les télécoms. Ce sont les consortiums qui animent les agendas de manière informelle. Il est peut-être temps que le politique ait son mot à dire », suggère-t-il.

Sébastien Soriano.
Arcep – Le président de l’Arcep Sébastien Soriano.

Une perspective que n’envisage même pas Stéphane Richard, même s’il se montre sensible au concept de sobriété numérique. Le patron d’Orange estime que c’est aux consommateurs de trancher. « C’est presque un débat philosophique et en tous cas une question de liberté individuelle. La 5G représente un progrès qui n’est pas mauvais en lui-même. Tout dépend de la consommation que vous en ferez. Après, chacun est libre de ne pas participer à la surconsommation numérique ».

Et si une partie de la solution venait des réseaux eux-mêmes ? Imaginons que l’on change de standard par le biais de simples mises à jour logicielles, le tout sans avoir à renouveler les équipements des opérateurs, ni les terminaux des utilisateurs. On réduirait alors considérablement l’impact environnemental de chaque technologie. Une perspective peut-être pas si folle. C’est ce vers quoi tend en partie actuellement la virtualisation des réseaux, qui n’est toutefois pas capable aujourd’hui de s’affranchir du hardware. Peut-être y parviendrons-nous un jour ?

Sources citées : Le Monde, étude d’Ericsson sur le nombre d’abonnés 5G

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Amélie Charnay