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La Chine veut sauver l’Internet de l’apocalypse quantique avec des satellites 

Des chercheurs chinois ont créé un système qui permet de chiffrer des communications de manière quantique sur des milliers de kilomètres. Une exploit technique et stratégique de premier plan.

Parmi les dates qui auront marqué l’histoire de l’Internet, il faudra peut-être retenir le 29 septembre 2017 comme le début d’un nouvel Internet, un « Internet quantique » où les flux de données sont inviolables et ne peuvent plus être espionnés. Ce jour-là, des chercheurs chinois et autrichiens ont réussi pour la première fois à établir une communication intercontinentale, chiffrée de manière quantique, au travers d’un satellite en orbite basse. Des scientifiques basés à Graz et Xinglong se sont échangés des images et se sont entretenus en vidéoconférence pendant 75 minutes, tout en étant séparés de… 7600 km. En juin 2017, les chercheurs chinois avaient déjà atteint une distance de 1200 km. En l’espace de quelques mois, la distance a donc été multipliée par 6.

Un antidote au terrible ordinateur quantique

C’est du jamais vu dans le domaine de la cryptographie quantique, une technologie de pointe qui permet à des interlocuteurs de s’échanger des clés de chiffrement de manière totalement sécurisée grâce aux lois de la physique. 

Les systèmes de cryptographie quantique existent depuis plus de dix ans. Ils sont surtout utilisés par les grandes entreprises telles que les banques pour s’échanger des clés de chiffrement par fibres optiques. Malheureusement, dans une fibre optique, le signal se dégrade de manière exponentielle en fonction de la distance s’il n’est pas amplifié à intervalles réguliers (ce qui n’est pas faisable ici). La portée de ces systèmes terrestres reste donc limitée à quelques centaines de kilomètres. En réussissant une communication quantique de plusieurs milliers de kilomètres, les chercheurs chinois et autrichiens ouvrent la voie à une utilisation globale du chiffrement quantique, et donc à un « Internet quantique », comme ils le disent dans leur étude.

Un tel Internet pourrait être la solution au chaos destructeur qui nous pend au nez : l’apocalypse quantique. Nous n’avons plus que quelques années avant qu’apparaisse le premier véritable ordinateur quantique. Une telle machine sera capable de casser toute la cryptographie à clé publique, tels que l’algorithme d’échange de clés Diffie-Hellman sur lequel s’appuie la sécurité de l’Internet. Celui qui disposera de cet outil pourra lire tous les échanges réseaux, qu’ils soient protégés en HTTPS ou par un VPN.

La Chine dispose d’une avance considérable

Les espions américains de la NSA dépensent des fortunes pour être parmi les premiers à disposer d’un tel outil. Le seul vrai remède connu à ce jour est la cryptographie quantique qui reste insensible aux capacités d’un ordinateur quantique. On comprend mieux pourquoi la Chine mène des recherches tambour battant dans ce domaine. Car il faut souligner que ce projet est avant tout porté par l’Empire du milieu. Il est piloté par le professeur chinois Jian-Wei Pan, qui était lui-même un élève du professeur autrichien Anton Zeilinger, une sommité internationale dans la physique quantique.

Ce lien académique explique pourquoi les chercheurs chinois ont collaboré avec leurs homologues de Vienne pour réaliser cette transmission. Toutefois, le satellite – qui est au cœur de cette technique – est entièrement réalisé côté chinois. Aucun autre pays ne possède à ce jour une telle infrastructure, en tous les cas pas de manière publique. « C’est le seul satellite qui dispose d’un protocole de communication quantique complet. De ce point de vue, la Chine a une avance considérable », nous explique le Dr. Thomas Scheidl, qui fait partie de l’équipe de chercheurs d’Anton Zeilinger. Celle-ci veut désormais s’associer à d’autres instituts européens pour mettre sur pied un projet de recherche d’envergure similaire dans le cadre de l’appel à projets  « Quantum Technologies Flagship », un programme que la commission européenne lancera en 2018 avec un budget d’un milliard d’euros. « Nous sommes en train de finaliser notre dossier de candidature », nous précise Thomas Scheidl.

Faible débit et grande latence

Pour autant, même si ce type de technologie va se développer, il faudra encore des années avant qu’elle ne soit opérationnelle à grande échelle, en raison de sa complexité. L’échange de clés réalisé en septembre dernier a nécessité plusieurs étapes. Le satellite – baptisé Micius d’après le philosophe de l’antiquité chinoise – a d’abord envoyé un rayon laser vers Graz pour générer une première clé (MG). Puis il a envoyé un rayon laser vers Xinglong pour convenir d’une seconde clé (MX). Ce qui a ensuite permis de transmettre à Xinglong la première clé chiffrée avec la seconde. Au final, les deux équipes de chercheurs disposent bien d’une même clé pour chiffrer leurs communications, à savoir MG.

Tout ceci est bien beau, mais il y a plusieurs bémols. Cet échange de clé prend un certain temps car le satellite doit d’abord survoler la première base terrestre (Graz), puis la seconde (Xinglong). Et pour le prochain échange de clé, il faut attendre le jour suivant, le temps de refaire un tour autour de la terre. Par ailleurs, les flux laser du satellite ne permettent de générer les clés qu’avec un débit de quelques kilobits par seconde. A chaque survol, le satellite peut donc créer qu’entre 400 et 833 kilobits de clés.

Sachant que la vidéoconférence était chiffrée en AES 128 bits avec un renouvellement de clé chaque seconde, la session de communication est forcément limitée à quelques heures. Pour obtenir une infrastructure sans latence qui réponde aux besoins de communication actuels, il faudrait donc disposer de tout un réseau de satellites quantiques. « L’avantage, néanmoins, c’est que l’on puisse créer les clés au fur et à mesure des différents survols et les stocker pour une utilisation ultérieure », tempère Thomas Scheidl.

Enfin, il y a quand même un talon d’Achille dans ce type d’architecture, c’est le satellite. L’attaquant qui arrive à en prendre le contrôle détient les clés du royaume. Quoi qu’il en soit, cette technologie est quand même très prometteuse et il faut espérer que les chercheurs européens vont sérieusement se pencher dessus.

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Gilbert KALLENBORN