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Cafards, araignées, pizzas livrées 24h/24… comment des responsables d’eBay ont harcelé des inconnus

Alors que la justice américaine a ouvert une enquête sur ce que le New York Times qualifie de « scandale le plus sinistre de l’histoire de la Silicon Valley », une des six accusés a accepté de témoigner dans les colonnes du journal. Récit d’un « conte sauvage ».

Le 15 juin 2020, le ministère de la Justice des États-Unis a accusé six anciens employés d’eBay, tous appartenant à l’équipe dédiée à la sécurité globale et à la résilience de la société, d’avoir comploté en vue de commettre des cyber-attaques. « Leurs cibles présumées étaient presque drôlement obscures », écrit le journaliste David Streitfeld dans le New York Times (NYT), « un duo de blogueurs de la banlieue de Boston et un empêcheur de tourner en rond actif sur Twitter ».

Des méthodes « grotesques »

Selon le gouvernement américain, leurs méthodes étaient infantiles et grotesques. Ils utilisaient des cafards, de la pornographie, des menaces de violence et de mort à peine voilées, une surveillance physique et l’arsenalisation de la commande de pizzas.

« Il s’agissait d’un effort déterminé et systématique de la part des cadres supérieurs d’une grande entreprise pour détruire la vie d’un couple », a déclaré le procureur des États-Unis à Boston, Andrew Lelling, lors d’une conférence de presse retranscrite par le NYT. « Tout cela parce qu’ils ont publié du contenu que les dirigeants de l’entreprise n’aimaient pas. »

« On aurait dit une secte »

Chaque accusation est passible d’une peine maximale de cinq ans de prison. Sur les six accusés, seule Veronica Zea, entrée dans l’entreprise en 2017 et aujourd’hui âgée de 26 ans, a accepté de répondre aux sollicitations du NYT. La jeune femme déclare qu’elle plaidera coupable et qu’elle regrette d’avoir participé à de tels actes, même en tant que subordonnée. Elle raconte des méthodes de management stressantes, isolantes et déstabilisantes. Un ancien consultant pour le compte d’eBay se confie lui-aussi au journal : « On aurait dit une secte ».  

Basé sur des documents judiciaires et des dizaines d’entretiens avec des personnes proches du dossier, le schéma décrit était à la fois « complètement malveillant et remarquablement ineptenourri par des hypothèses stupides émises par eBay sur un complot qui n’existait pas », écrit encore le journaliste du NYT. Au-delà du caractère exagéré des pratiques « sécuritaires » du pionnier du commerce en ligne, cette affaire montre comment certaines grandes entreprises de la Tech peuvent être complètement déconnectées de la réalité. 

« Nous allons écraser cette dame »

Le couple ciblé par le harcèlement orchestré par eBay, Ina et David Steiner, ont crée le site AuctionBytes, un blog de conseils aux acheteurs sur Internet en 1999 – soit quatre ans après la création du mastodonte du retail. Ils l’ont ensuite renommé EcommerceBytes, le site se présente comme le « leader de l’information et des ressources sur le e-commerce ».
Chez eBay, ils étaient détestés à cause des posts qu’ils écrivaient sur l’entreprise. « Nous allons écraser cette dame », a écrit le CEO, Devin Wenig, à propos d’Ina Steiner, autrice d’un post sur la rémunération de celui-ci, en avril 2019.

L’autre personne la plus détestée par le département de la sécurité d’eBay est l’utilisateur de Twitter inscrit sous le pseudonyme de « Fidomaster ». Jugeant que les conditions de vente sur eBay étaient injustes pour les vendeurs, il post sur Twitter. Alors que les messages ne récoltent pas plus d’une douzaine de j’aime sur le réseau, les analystes du département de sécurité ont un dossier garni contre lui. 

Une stratégie « alambiquée et improbable »

Une des méthodes hallucinantes déployées par l’équipe d’eBay était la création d’un compte Twitter sous le nom de « Marissa » pour faire admettre à Fidomaster qu’il était de mèche avec les Steiner. Se présentant comme ex-employée d’eBay, elle assurait avoir des informations compromettantes à lui fournir. Des informations qui auraient donc nourri le complot contre eBay. Lui, déclinait toutes les propositions les plus saugrenues. Selon Veronica Zea, Marissa était une de ses collègues analystes. 

Loin de décourager les équipes, la résistance de Fidomaster a alimenté leur paranoïa. Convaincus que le but de leurs entreprises étaient de « [les] détruire », les équipes d’eBay ont élaboré une stratégie « alambiquée et improbable » selon les mots du procureur.
Il s’agissait de « harceler secrètement les Steiner, et ensuite leur offrir l’aide d’eBay pour arrêter cela, afin de créer un lien de confiance avec eux et enfin les manipuler pour qu’il écrivent des chroniques favorables à la société ». 

« Chevalier blanc »

Inspirée de plusieurs films comme « Johnny be good » ou encore « Body of Lies », ils ont appelé cette méthode « la stratégie du Chevalier blanc ». Et sa panoplie était aussi dégoutante que surprenante : un masque de porc ensanglanté au seuil de leur porte, des colis remplis de cafards, des livres aux allures de menaces de morts comme « Carnets de deuil : Survivre à la perte d’un conjoint », une couronne funéraire, des araignées vivantes, des pizzas à toute heure du jour et de la nuit, des tweets menaçants…  Pendant tout le mois d’août 2019, les attaques affluent sans discontinuer. 

Après les livraisons glaçantes et les menaces sur Twitter, la troisième phase de la campagne d’eBay contre les Steiners a commencé : la surveillance physique. Comment ? En plaçant un dispositif GPS sur la voiture du couple, puis en les suivant dans tous leurs déplacements… jusqu’à ce que la police, prévenue par le couple, les repère. Mais, il y avait aussi les annonces postées sur Craigslist : des soirées échangistes à leur domicile (« Venez frapper à la porte ou sonner à la porte à tout moment du jour ou de la nuit ») ou d’un vide-grenier (« Tout doit s’en aller ! ») avec leur véritable adresse. Au total, les équipes d’eBay se sont rendues quatre fois sur place. 

« Si je pouvais remonter le temps… »

En recoupant les tickets de caisse, les chambres d’hôtels et les voitures louées, la police locale découvre petit à petit l’entreprise machiavélique des équipes d’eBay. Le FBI et les avocats de l’entreprise ont été également impliqués dans l’enquête. Au pied du mur, la section Sécurité d’eBay a tenté de camoufler l’opération et d’obstruer l’enquête. Le dossier est encore ouvert.

En septembre, Veronica Zea a été congédiée sans délais ni indemnités. Aujourd’hui elle se porte « plutôt mal », décrit le NYT, et se repent : « Si je pouvais remonter le temps et empêcher les Steiner de vivre cela de quelque manière que ce soit, je le ferais en un clin d’œil. »

Source : The New York Times 

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Marion SIMON-RAINAUD