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Aux sources du mouvement du logiciel libre

Les années récentes ont vu l’apparition d’un vaste mouvement de mise à disposition gratuite du code source des logiciels par des informaticiens qui collaborent à leur développement.

Des logiciels ainsi produits ont pris des parts de marché importantes, tel le serveur Apache ou la plateforme Linux. International Data Corporation estime, par exemple, que le programme Linux a déjà de 7 à 21 millions d’utilisateurs, avec un taux annuel de croissance de 200 %, et de nombreux observateurs estiment qu’il s’agit d’un concurrent sérieux pour le système d’exploitation Windows, de Microsoft. Ce mouvement du logiciel libre a de nombreuses caractéristiques passionnantes, mais nous voudrions, ici, en discuter un seul aspect, qui interpelle les économistes.Tout d’abord, il faut observer qu’un logiciel a des caractéristiques proches d’un bien public pur. Comme son coût de reproduction est quasiment nul, une fois produit, le logiciel peut être utilisé par un consommateur, sans que cela nuise aux possibilités d’usage des autres. Autrement dit, comme pour de nombreux biens informationnels, tels un programme de radio ou une émission télévision il n’y a pas de destruction par l’usage. Il y a parfois des coûts d’accès pour bénéficier de ce bien public (il disposer d’un ordinateur, un poste de radio, etc.), mais nous négligerons, ici, cette dimension, qui devient importante lorsque l’on s’intéresse à l’accès universel à ces biens publics.C’est cet aspect bien public qui choque ceux qui ne comprennent pas que les logiciels ne puissent pas être copiés librement. Mais, en amont, il faut bien sûr créer les incitations à développer les logiciels, si on ne veut pas voir se tarir la source de ces produits. C’est ici que se trouve la justification habituelle des brevets et autres formes de protection de la propriété intellectuelle. Le système des brevets, en assurant un monopole momentané d’utilisation d’une découverte, permet à l’inventeur d’être rémunéré pour son ?”uvre. C’est ce qui motive un inventeur à dépenser temps et ressources pour poursuivre ses recherches. Le monde de la recherche privée fonctionne ainsi.Comment, alors, expliquer que des informaticiens, contrairement aux autres chercheurs, décident de distribuer gratuitement les produits de leur recherche ? C’est cette question que deux économistes ?” Josh Lerner, de la Harvard Business School, et Jean Tirole, de l’Institut d’économie industrielle de Toulouse ?” ont explorée à partir d’études de cas et des apports de l’économie des contrats.On peut faire appel à une certaine forme d’altruisme, qui est peut-être la véritable justification dans certains cas. Mais alors, pourquoi cet altruisme n’existerait-il pas dans les autres industries ? Une autre source d’explication est la complémentarité des logiciels avec d’autres produits qui, eux, sont vendus. C’est le cas, par exemple, de tous les services liés à l’utilisation des logiciels. Une entreprise peut avoir intérêt à sous-tarifer un produit pour accroître la demande d’un complémentaire. La gratuité d’un produit serait un cas extrême de ce phénomène. De façon plus intrigante, des programmeurs individuels réalisent des améliorations de logiciels libres (ils sont obligés de les redistribuer gratuitement), et ne vendent donc pas simultanément un autre produit.C’est vers d’autres explications que s’orientent les auteurs précités. Ils montrent comment les incitations procurées par les perspectives de carrière peuvent conduire des chercheurs à s’intégrer au mouvement du logiciel libre, pour signaler leur qualité de programmeur au marché. Les administrateurs de systèmes informatiques apprécient de posséder le code source pour adapter le logiciel à leurs besoins spécifiques.* Jean-Jacques Laffont est professeur à l’université des sciences sociales de Toulouse, au sein de laquelle il dirige l’Institut déconomie industrielle.

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Jean-Jacques Laffont*