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Un supercalculateur mime nos cellules grises

La première étape vers la simulation du fonctionnement du cerveau a été franchie avec l’aide de Blue Gene, l’un des ordinateurs les plus puissants de la planète.

A projet titanesque, ordinateur exceptionnel ! Le projet Blue Brain, mené par Henry Markram, biologiste israélien et chercheur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, a pour objectif de modéliser le cerveau humain, c’est-à-dire de simuler le fonctionnement de la centaine de milliards de neurones qui le compose. Pour l’instant, les expériences sont menées sur des cerveaux de rats : si Blue Brain réussit, elles pourront être simulées par informatique de manière plus rapide, plus rigoureuse et moins coûteuse, et épargner la vie de souris.Pour relever le défi, l’équipe du chercheur s’appuie sur l’un des ordinateurs les plus puissants au monde : un supercalculateur Blue Gene d’IBM qui affiche, grâce à ses 8 192 processeurs et à sa mémoire vive de 256 Go, une faramineuse puissance de calcul de 22,4 téraflops (soit 22 400 2007 milliards d’opérations EPFL/par seconde !). Un monstre informatique parfaitement adapté à sa tâche : ‘ Nous avions besoin d’un très grand nombre de processeurs, juste assez puissants pour que chacun d’entre eux puisse modéliser un neurone ‘, commente Henri Markram.

Fabriquer un modèle évolutif

Mais faire accepter l’idée d’utiliser un supercalculateur pour des recherches en biologie n’a pas été facile. ‘ Mon idée était simple : appliquer au domaine de la biologie humaine une pratique désormais banale en ingénierie, la simulation sur ordinateur. ‘ Tout comme une simulation virtuelle de la navette spatiale est aujourd’hui le moyen le moins coûteux de comprendre les raisons d’une avarie survenue en vol, pourquoi ne pas procéder de la même façon avec le cerveau humain ? ‘ Ce type de simulation n’existait pas en sciences de la vie, d’abord parce que nous ne disposions pas suffisamment de données expérimentales, mais aussi parce que la biologie est très gourmande en termes de puissance de calcul. La plupart de mes collègues considéraient mon idée comme irréalisable ‘, se souvient le chercheur. Les ingénieurs d’IBM, eux, sont séduits.La puissance de calcul trouvée, reste alors à réunir les données disponibles sur le fonctionnement du cerveau : ‘ Près de 35 000 articles scientifiques sont publiés chaque année sur le sujet, il est impossible pour un chercheur de tout savoir, explique Henry Markram. Mon objectif est de fabriquer un modèle évolutif qui intégrera au fur et à mesure les nouvelles données, et que chacun pourra utiliser à sa guise. ‘ Il s’agira à partir de la modélisation informatique de représenter la structure neuronale du cerveau en 3D afin de visualiser l’agencement spatial et la localisation des cellules. Une bibliothèque de modèles 3D pourrait ainsi être accessible par Internet.En décembre 2006, et après seulement dix-huit mois de travail avec Blue Gene, une étape majeure pour les neurosciences a été franchie : la modélisation d’une colonne de néocortex* de rat, soit un ensemble de 10 000 neurones représentant l’unité fonctionnelle du cerveau chez les mammifères : ‘ Une fois qu’on aura compris comment cela fonctionne, on aura tout compris… ‘, considère le professeur Markram. Avec ses 334 types de neurones différents et ses 30 millions de synapses**, la colonne de néocortex de rat représentait certes un sacré challenge. Rien cependant en comparaison du chemin qui reste à parcourir. Il faut d’abord passer du rat à l’homme ?” il y a en moyenne 60 000 neurones dans une colonne de néocortex humain ?”, puis modéliser l’ensemble du cerveau humain, ce dernier contenant environ un million de colonnes de néocortex.Les avancées du projet Blue Brain permettent néanmoins d’ores et déjà d’envisager de simuler certaines expériences. Plus le modèle gagnera en précision, plus les expériences possibles seront nombreuses. On pourra alors répondre à des questions précises comme : Que se passe-t-il si l’on diminue la quantité d’un certain type de neurones dans telle région du cerveau ? Quel est l’effet de tel médicament sur le nombre de contacts synaptiques dans une colonne de néocortex ? ‘ Pour l’instant, la façon dont on teste les médicaments psychotropes est très empirique. On essaie et l’on observe ce qui se passe, explique Henry Markram. Nous, nous voulons savoir précisément comment ça marche à l’échelle moléculaire. ‘ C’est d’ailleurs la prochaine étape du projet : passer de l’échelle de la simple activité électrique des cellules à celle des échanges moléculaires déclenchés par cette activité. La solution passe alors par l’abandon des processeurs pour des circuits logiques programmables, plus rapides et dont on peut changer facilement la tâche à accomplir. ‘ A terme, notre coopération avec IBM devrait déboucher sur la construction du premier supercalculateur dédié à la résolution d’équations biologiques ‘, espère le professeur Markram. De quoi permettre aux chercheurs du monde entier de réaliser de nombreuses expériences dans le monde virtuel plutôt que sur des animaux de laboratoire. Une bonne nouvelle pour les rats…* Néocortex : couche la plus externe des hémisphères cérébraux, où sont gérés les perceptions sensorielles, les commandes motrices et le langage chez l’homme. La colonne de néocortex est un ensemble de neurones qui constitue l’unité fonctionnelle du néocortex.
** Synapse : zone de jonction et de communication entre deux neurones par lequel le message chimique passe d’un neurone à l’autre.

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Anselme Kieffer