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Mythes et mystères des mondes virtuels

Les univers virtuels captivent de plus en plus d’internautes. Entre épanouissement, fascination ou perdition, voici quelques clés pour mieux comprendre ces nouveaux comportements.

Les mondes virtuels sont comme les océans, insondables, immenses, méconnus et peuplés de créatures étranges et séduisantes. Certains s’y immergent totalement, quitte à couper les amarres avec la vie réelle. D’autres les parcourent pour le plaisir de la découverte et des rencontres, revenant à quai plus riches d’expériences. Les adeptes de ces aventures virtuelles sont de plus en plus nombreux. Que recherchent-ils ? Qu’ont-ils à gagner ? Où vont-ils se perdre ? Rien de tel qu’une plongée dans Second Life et Habbo pour répondre à ces questions…Rassemblant actuellement plus de 16,5 millions de membres dans le monde, Second Life (‘ deuxième vie ‘, en français) a été lancé en 2003 par la société américaine Linden Lab. Première plate-forme mondiale de réseau social en 3D, ce n’est pas un jeu vidéo (il n’y a pas de score ou d’objectif à atteindre) à l’instar de World of Warcraft, mais un univers virtuel copié sur le réel dans lequel évoluent des personnages ou avatars créés par les internautes. ‘ C’est vraiment un espace qu’a produit notre culture, où les hommes ont greffé leur sociabilité ‘, souligne le psychologue Yann Leroux, qui s’intéresse au phénomène des mondes numériques. L’avatar est l’image virtuelle de lui-même que le résident de Second Life présente aux autres membres du réseau. ‘ C’est le véhicule qui me permet de me transporter dans ces espaces virtuels ‘, explique Nicolas Barrial, l’un des premiers Français à avoir expérimenté Second Life. L’apparence que les utilisateurs donnent à leur avatar est la plupart du temps flatteuse car chacun y transpose le reflet de ses fantasmes. ‘ On se rêve soi-même un personnage, que l’on modèle selon l’image qu’on veut donner de soi. Un homme peut entrer dans la peau d’un personnage féminin, et le contraire est également possible. Cela arrive assez souvent, il n’y a pas de tabou ‘, développe Yann Leroux. Dans ce monde rêvé de la jeunesse éternelle, il n’y a pas de laids, de gros, ni de vieux. De sexy et athlétiques avatars y organisent leur vie, font connaissance de manière directe et naturelle, ont des activités variées : shopping, distractions, achat d’une maison, créations, réunions. Ils reproduisent une vie d’être humain tout en abolissant les genres, les distances et les conventions. Vécue dans l’anonymat, cette existence est basée sur la spontanéité et la liberté des relations et des échanges.‘ Il y a deux manières d’aborder ces mondes virtuels. La première consiste à se construire un univers autour d’un thème spécifique – le Moyen ?’ge, la science-fiction, par exemple – ou de se représenter sous une forme particulière ?” animal, inversion homme/femme. C’est ce qu’on appelle les role players. La deuxième est de garder sa personnalité ?” son personnage n’étant qu’une extension de soi-même ?” et de s’y investir par le biais de la créativité ‘, distingue Nicolas Barrial. Dans Second Life, tout est réalisable, pourvu qu’on ait du temps à y passer. Fonder des communautés, propager des idées, acquérir des biens, explorer des espaces, fabriquer des objets, proposer des services et les vendre, toute une vie économique et sociale s’est développée dans ce monde en perpétuelle évolution. La monnaie factice qui a cours est le Linden dollar, que l’on obtient grâce à une transaction ?” bien réelle ?” avec sa carte bancaire. De l’argent qui se dépense facilement dans les casinos, restaurants, boîtes de nuit, centres commerciaux, etc. Revers de la médaille, et comme dans la vraie vie, l’argent est omniprésent et à l’origine de délits plus ou moins graves ?” vols, fraudes ?” qui perturbent le fonctionnement du site et peuvent même avoir des répercussions dans le monde réel. À l’instar de ces deux jeunes Hollandais coupables de vol d’items et condamnés par un tribunal de leur pays à 200 heures de travaux d’intérêt général. Les aventures sentimentales vécues sur le Web sont également nombreuses et trouvent parfois un écho dans la réalité. Depuis de vraies rencontres aux ruptures consommées. Un couple d’Américains a ainsi entamé une procédure de divorce pour cause d’adultère avéré via avatars interposés. Le virtuel a dépassé la réalité, pour venir s’y confronter brutalement.

Pas de limites ni de contraintes

Liberté des comportements, pratique de nouvelles expériences, Second Life est la porte ouverte sur un monde sans limites ni contraintes, exceptée l’impossibilité de tuer. On peut y gagner de l’argent, initier des rencontres, laisser libre cours à sa vraie personnalité. ‘ C’est le moyen de mieux se connaître soi-même et dans sa relation aux autres, une sorte de thérapie qui permettrait d’explorer des parties de son inconscient et d’asseoir son identité ‘, analyse Yann Leroux. S’ouvrir aux autres, découvrir ses capacités, une nouvelle voie pour acquérir une reconnaissance sociale et prendre confiance en soi. Pour Nicolas Barrial, ‘ Second Life est un outil de création fabuleux qui permet d’exprimer sa personnalité et ses aspirations sous toutes ses formes ‘.

Des millionnaires virtuels

Artistes et créateurs d’entreprises ont trouvé là un espace privilégié d’élaboration et d’expérimentation de nouvelles tendances. Les secteurs de la mode, des arts, de l’architecture et des services ont vu fleurir de nouveaux talents vite repérés par les résidents qui investissent dans leurs créations. La Chinoise Anshe Chung est devenue la première millionnaire virtuelle en vendant des terrains et des immeubles (virtuels) dans Second Life, tout en restant chez elle à élever ses enfants. L’aspect éducatif n’est pas négligeable non plus. 80 % des universités américaines ont leur antenne sur le site grâce à la participation active des chercheurs et des étudiants. La Nasa y organise même des conférences. Les entreprises y sont également présentes, testant de nouveaux usages, à l’instar de L’Oréal ou Michelin qui y organisent des sessions de formation interne, ou encore Air France, le Crédit agricole et Orange qui bénéficient ainsi d’une ouverture vers une nouvelle communauté.La facilité d’accès et les nombreuses sollicitations auxquelles les résidents sont confrontés risquent cependant d’être un facteur perturbateur pour les personnes vulnérables ou fragilisées par des difficultés temporaires. ‘ C’est un palliatif quand la société vous rejette, on oublie ses soucis, le temps ne compte plus ‘, relativise Yann Leroux. Chômeurs, retraités, jeunes dés?”uvrés viennent combler les manques de leur vie réelle dans des activités virtuelles qui les occuperont un temps ou pourront leur faire gagner un peu d’argent. ‘ Ce peut être aussi un facteur déclencheur pour les timides ou les introvertis. Le principe même du site les oblige à aller vers les autres, à dialoguer, à partager, mais à travers une identité virtuelle qui ne les engage pas, dans un environnement rassurant ‘, ajoute le psychologue. Une forme de thérapie, mais aussi un danger si l’utilisateur tombe dans des comportements extrêmes jusqu’à négliger sa vie personnelle, perdre ses repères et se mettre en rupture avec la société. Aussi vaut-il mieux avoir à l’esprit quelques règles essentielles avant de s’y aventurer. ‘ Une phase d’apprentissage et d’observation est nécessaire, le temps de connaître le fonctionnement du site et de s’intégrer à des groupes. Il ne faut pas en faire une utilisation trop intensive, avec le ris-que de se désocialiser. Les problèmes privés ne disparaissent pas dans le virtuel ‘, prévient Nicolas Barrial.

Les ados décomplexés

Les adolescents ont droit eux aussi à leur monde virtuel. Habbo leur a concocté un univers sur mesure dans lequel ils communiquent entre eux et se font des amis. Leur avatar, un Habbo, évolue dans un hôtel virtuel, installe son appartement privé, s’investit dans des clans, organise ou participe à des fêtes. Avec 7,5 millions de comptes créés en France et 500 000 utilisateurs actifs par mois, les jeunes adhèrent, même s’ils n’y restent qu’un temps, six mois en moyenne. ‘ Dans le Habbo Hôtel, les jeunes ont pour seul objectif d’exister au sein d’une communauté. Ici, pas d’enjeu, pas de score, seul compte le plaisir des activités et des tchats entre amis ‘, précise Isabelle Layer, directrice de Sulake France, la maison éditrice de Habbo.fr. Comme son grand frère Second Life, Habbo Hôtel offre aux adolescents un espace d’expression et de liberté totalement décomplexant, à un âge souvent difficile. Plus perverses sont les consommations excessives de temps de connexion et les dépenses liées à l’organisation de cette existence virtuelle (achat de vêtements, de meubles, etc. ). À cela s’ajoute le risque que des prédateurs sexuels viennent s’immiscer dans les discussions. Concernant Habbo, la direction certifie que des modérateurs professionnels assurent une surveillance de tous les instants. Ce n’est pas le cas pour tous les sites semblables qui ont fait leur apparition sur le Net. La vigilance des parents doit être permanente.Au-delà du miroir, comme Alice au pays des merveilles, vivre une autre vie dans des mondes virtuels, ne serait-ce pas tout simplement laisser vagabonder son imagination ? Ou mieux encore, aller à la découverte de soi et des autres. Si tant est que l’on n’y perde ni son temps ni son libre-arbitre, l’expérience vaut par la qualité des rencontres et des échanges qu’elle génère. Un peu comme dans la vraie vie, en somme…

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Frédérique Crépin