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Les secrets des pirates

Logiciels, musique, films, jeux : les pirates mettent tout à disposition sur Internet. Certains pour la gloire, d’autres pour l’argent. Qui sont-ils ? Comment travaillent-ils ?

Nous les avons rencontrés : ils nous ont révélé leurs méthodes.Nous sommes le 14 mars 2005. En catastrophe, le nouvel album des Daft Punk, un groupe de musique français en vogue, sort chez tous les disquaires de France. Avec une semaine d’avance sur la date prévue par la maison de disques du
groupe, EMI. L’objectif : contrer le piratage de l’album, qui ‘ circule ‘ depuis plus d’un mois sur les réseaux peer-to-peer. Et ce n’est pas le seul. Depuis un an environ, on trouve absolument
tout sur Internet : des logiciels du commerce parfois accompagnés d’un crack (un programme pour désactiver leur protection), des films et des albums de musique avant leur sortie officielle, des jeux vidéo pour PC et consoles.

80 % des films français diffusés sur internet avant leur sortie en DVD

Selon une étude du Centre national de la cinématographie, 80 % des films français ont ainsi été diffusés sur Internet avant leur sortie en DVD ! ‘ Les albums et films disponibles ” en avant
première ” sur Internet sont souvent des versions destinées à la presse, ou en cours de montage, et qui ont été détournées ou volées afin d’être mises à disposition. C’est ce qui explique que ces copies ne correspondent parfois pas au
mixage définitif d’un album ou au montage de la version diffusée en salles pour un film ‘
, explique Didier Wang, responsable de RetSpan, association qui lutte, pour le compte des maisons de disques, contre la diffusion
d’?”uvres protégées sur le Net. Plus rien n’échappe aux pirates, ou plutôt, aux équipes de pirates. Car les flibustiers du Net ne travaillent pas seuls, ils sont organisés en équipes, aussi appelées
‘ teams ‘. Et chaque membre de l’équipe a sa spécialité : le ‘ supplier ‘ va fournir le logiciel ou l’album de musique auquel il a eu accès (il est
salarié d’une maison de disques, employé d’une usine de duplication, etc.) ; le ‘ cracker ‘ va faire sauter les protections des logiciels ou les systèmes anti-copie des CD de musique (lire
Comment ils font sauter les protections) ; le ‘ packager ‘ compresse et diffuse le tout sur des ‘ boards ‘, des forums de
discussion plus ou moins confidentiels. Le fordisme revu à la sauce pirate.

L’argent n’est pas le but premier

Ensuite, comme une traînée de poudre, le fichier se répand : d’abord auprès des ‘ amis ‘de l’équipe des pirates, ensuite sur les réseaux peer-to-peer et les serveurs IRC (Internet
Relay Chat), un système de tchate réservé aux initiés. Quelle est la motivation des pirates ? ‘ La plupart du temps, ces groupes veulent réaliser une prouesse, être les premiers à casser la protection d’un logiciel connu.
Ils mettent ensuite le fruit de leur ” exploit ” sur Internet ‘
, explique Bertrand Salord, porte-parole du BSA, organisme qui lutte contre le piratage des logiciels. Le plus souvent, donc, les pirates
à l’origine de la diffusion d’une ?”uvre ou du piratage d’un logiciel, ne touchent pas d’argent. Mais derrière, des petits malins s’emparent de leur ‘ travail ‘ pour se rémunérer.
‘ Si le site Suprnova.org, qui proposait des liens pour télécharger des films et de la musique avec le logiciel BitTorrent, était gratuit, son responsable encaissait des milliers d’euros grâce à la publicité affichée sur
chaque page ‘
, décrypte Didier Wang. D’autres sites proposent aujourd’hui des liens BitTorrent contre l’envoi de SMS surtaxés. Certains escrocs font même de la publicité par spam (message non sollicité) interposé pour des
sites proposant des logiciels à des prix défiants toute concurrence. Et pour cause, il s’agit de versions piratées que l’on télécharge directement sous forme de fichiers ou que l’on reçoit sur CD par la poste, après avoir payé par carte bancaire.
‘ Il n’y a aucune raison de trouver un logiciel dix fois moins cher sur Internet que dans le commerce. Il s’agit de versions piratées et les acquérir en donnant son numéro de carte bancaire aux propriétaires de ces sites n’est
pas sans risque ‘
, s’agace Bertrand Salord. ‘ Beaucoup sont implantés en Russie ou dans les pays d’Europe centrale et orientale, les procédures pour faire fermer des sites situés dans ces états étant
assez longues. Derrière de nombreuses supérettes à logiciels piratés, on trouve un petit groupe d’individus, très souvent liés aux mafias nationales ‘
, poursuit-il. Au-delà des risques d’amende pour avoir téléchargé un
fichier piraté, on s’expose aussi à de multiples dangers. Les réseaux peer-to-peer ont été massivement infestés de virus. Pire, les sites Internet qui proposent de télécharger des ‘ cracks ‘ installent
aussi au passage des logiciels espions sur la machine.‘ Depuis quelques mois, on voit même apparaître des cracks qui semblent fonctionner, mais dont la finalité est d’ouvrir une brèche dans l’ordinateur de l’utilisateur afin
d’y pénétrer plus tard ‘
, indique Bertrand Salord. Vu l’ampleur du phénomène, la ‘ scène ‘pirate est aussi plus surveillée.

Les fournisseurs d’accès à Internet se retranchent derrière la loi

Au début du mois de mai, quarante-six personnes ont été arrêtées en France ; elles étaient soupçonnées de pirater des logiciels à très grande échelle, mais aussi de s’introduire dans les serveurs de grosses entreprises ou
d’universités pour y stocker des fichiers contrefaits et, in fine, s’en servir comme relais de téléchargement. Ces pirates auraient ensuite échangé les adresses et les mots de passe nécessaires pour accéder à ces
‘ cachettes ‘, sur des boards contre d’autres adresses, elles aussi remplies de données piratées.Les fournisseurs d’accès à Internet, eux, se retranchent derrière la loi : ‘ Les législations françaises et européennes sont très claires à ce sujet, nos entreprises ne sont pas tenues de surveiller les
réseaux, mais doivent réagir aussitôt qu’on leur signale la présence d’un contenu illicite, que ce soit du matériel pédopornographique, de l’incitation à la haine raciale, ou encore des fichiers piratés, et le signaler ensuite à la
police ‘
, explique Stéphane Marcovitch, délégué général de l’Afa, l’association des fournisseurs d’accès et de services Internet.

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Benjamin Cherrière, avec Alain Steinmann