Passer au contenu

Les guérisseurs branchés du Sénégal

A Dakar, des guérisseurs traditionnels, envoûtés par les nouvelles technologies, s’initient à Internet et à l’informatique. Objectif : fortifier un art ancestral reconnu d’utilité publique.

Dans le frais clair-obscur de la salle d’informatique du centre Blaise-Senghor de Dakar, une douzaine d’étudiants de tous âges sont penchés sur les écrans de gros Compaq au look démodé. Au centre de la pièce réfrigérée par un climatiseur vrombissant, Ousmane, 22 ans, commente les manipulations sur son rétroprojecteur. ‘ Pour créer un en-tête, vous cliquez dans le menu Insertion, maintenez le bouton de la souris enfoncé et choisissez un emplacement…
A ses côtés, Khady, 23 ans, vêtue d’une longue robe colorée, traduit ses explications en wolof, la deuxième langue nationale du Sénégal.Arborant une djellaba blanche, foulard rouge sur les épaules et chèche crânement enfoncé sur les oreilles, l’aîné du groupe, Ibrahima, contemple sa souris avec perplexité. ‘ Je connais mieux les plantes médicinales que les machines. Mais les deux doivent aujourd’hui travailler ensemble. ‘‘ On démarre de zéro en informatique, sourit Ousmane. Nous sommes patients, car ce ne sont pas des étudiants comme les autres : leur savoir est grand. ‘ Dans la salle, Abdoulaye, Adia, Ibrahima et Solokane sont des guérisseurs traditionnels. En trois sessions de dix jours, ces ‘ tradipraticiens ‘ vont découvrir l’art de communiquer par Internet, et apprendre à manipuler Word, Excel et PowerPoint.

Une médecine de proximité

Costume noir et sourire avenant, Abdoulaye Ndaw est le leader du groupe. Initié par son grand-père, ce ‘ pédiatre ‘ herboriste, venu de Yeumbeul, en grande banlieue de Dakar, est le fondateur de l’Amphot, l’association des guérisseurs traditionnels du Sénégal, qui compte une centaine de membres. ‘ Au Sénégal, 80 % des gens consultent les guérisseurs. La médecine moderne coûte trop cher, et les tradipraticiens sont efficaces dans un grand nombre de cas ‘, explique AbdoulayeGuérison des plaies superficielles, maux de ventre, de tête, diarrhées, stérilité et même obésité et paludisme : la pharmacopée traditionnelle dispose d’un arsenal infini de décoctions pour remédier à toutes sortes d’affections. Pas question ici de poudre de perlimpinpin : ‘ Nous travaillons avec les scientifiques de l’Université de Dakar et le ministère de la Santé pour valider notre savoir-faire et chasser les rebouteux hors de notre confrérie. ‘Tout a commencé il y a trois ans, à Yeumbeul. L’ONG panafricaine Enda-Tiers-Monde a choisi ce quartier pauvre à la sortie de Dakar pour y implanter un ‘ cyber-pop ‘, une sorte de cybercafé communautaire ouvert aux habitants et associations. La rencontre avec l’association des guérisseurs crée l’étincelle :on va donner à ces médecins du peuple les moyens de formaliser leur savoir pour mieux l’intégrer aux politiques de santé publique. Car loin de rejeter la médecine traditionnelle, les médecins modernes ont appris à la respecter : ‘ l’hôpital fait les diagnostics et m’envoie les malades ‘, raconte Aliou, guérisseur et cultivateur à Ndioum, près de Saint-Louis.‘ Grâce à Internet, je vais pouvoir commander des plantes à mes confrères d’une autre région, échanger mes recettes ‘, explique Solokane, une jolie guérisseuse en boubou bleu et blanc qui vient de Tambacounda, dans le sud du pays. Un cyberpop devrait bientôt ouvrir ses portes à Tamba et dans une dizaine de villes du Sénégal.

Apprendre puis transmettre

A leur tour, les guérisseurs du centre Blaise-Senghor formeront de nouveaux praticiens pas si traditionnels que ça. Ils seront aussi chargés d’enrichir la base de données médicinale créée par Abdoulaye. Elle répertorie aujourd’hui plus de 80 plantes et compose un florilège vivant de la biodiversité menacée du Sahel, bientôt accessible via le site Web d’Enda.Sur le plan scientifique, le laboratoire de Yeumbeul travaille sur le conditionnement des recettes traditionnelles. Résultat : une dizaine de médicaments à base de plantes seront bientôt mis sur le marché. A des prix défiant toute concurrence. ‘ Une plante coûte 60 francs CFA sur le marché, soit 10 centimes d’euro, calcule Abdoulaye. Et chacun de nos arbres est une pharmacie à lui tout seul. ‘ Certes, les guérisseurs des villages sont loin de disposer tous d’un accès à Internet et des connaissances pour l’utiliser. Mais la graine est plantée. Elle ne demande qu’à pousserwww.enda.sn

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


André Mora