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« Qu’on arrête de diaboliser ceux qui téléchargent »

Condamné par la justice française pour des faits de téléchargement illégal, James Climent a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Pour mettre la question du droit d’auteur sur la table. Entretien.

James Climent fait partie des rares internautes jugés pour téléchargement illicite en France. La justice l’a condamné à payer 20 000 euros de dommages et intérêts à la Sacem et à la SDRM (1) pour des faits remontant à 2005. Il a décidé de déposer un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) après avoir été débouté par la Cour de cassation.

Soutenu financièrement par des donateurs, dont Jean-Luc Godard, il explique sa démarche par une volonté de mettre sur la place publique la question de la rémunération des artistes, de la licence globale et de lois comme Hadopi, qu’il juge inutile et dangereuse. Entretien avec un homme engagé et convaincu.

01net. : pour quels motifs déposez-vous un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme ?
James Climent :
d’abord, parce que j’ai été condamné deux fois pour la même chose dans deux procédures différentes (affaires Sacem et SDRM). C’est illégal. Ensuite, concernant les 13 788 fichiers qui étaient en partage sur le P2P depuis mon disque dur, la Sacem et la SDRM réclament 50 centimes par fichier. Or, il faut savoir que sur ce total, il y en a beaucoup qui n’appartiennent pas à leur répertoire, comme les morceaux des Bérurier noir. Les sociétés demandent de l’argent pour les groupes qu’elles ne représentent pas !
Enfin, troisième point : lorsque j’ai été jugé, il n’y avait aucune législation sur le téléchargement illégal. Le premier jugement sur le téléchargement illégal et le P2P date de 2006, avec un arrêt de la Cour de cassation. J’ai été condamné pour contrefaçon, comme si j’avais revendu de faux sacs Vuitton sur un marché…

Est-ce vraiment un dossier qui est en rapport avec les droits de l’homme, pour vous ? N’est-ce pas aller trop loin ?
Ce que je regrette, c’est qu’il n’y ait pas une Cour mondiale des droits de l’homme ! J’aime à défendre quand j’estime être dans mon bon droit. Je me suis beaucoup documenté et j’ai pu constater qu’il y avait de graves dysfonctionnements au niveau du droit d’auteur, de la répartition des revenus. J’estime qu’en téléchargeant et en partageant, je ne fais qu’être un consommateur de plus, je ne suis pas un pirate. Nombre d’études disent la même chose : les internautes qui téléchargent font gagner du fric aux majors parce que ce sont aussi de gros acheteurs de musique.
Les sociétés d’ayants droit ratent le rendez-vous numérique, donc elles se retournent contre des pseudo-pirates. Si je m’étais dit « je lèse des artistes », je n’aurai jamais mené ce combat. L’acte de télécharger et de partager favorise la création artistique. Les derniers chiffres du cinéma, par exemple, sont les meilleurs depuis les années 1960.

« Trouver des solutions respectueuses des artistes et des internautes »

N’est-ce pas là une vision un peu angélique et facile du téléchargement illégal ?
Il faut surtout regarder la répartition du droit d’auteur. Sur un CD à 13 euros, grosso modo, 3 euros reviennent aux auteurs, compositeurs et interprètes et 10 euros vont à la maison de disques. N’est-ce pas un problème ? Dès lors que les maisons de disques font mal vivre leurs artistes – sans lesquels elles ne sont rien –, le système est à remettre en question.
Le fait d’aller devant la CEDH vise à en parler un maximum, j’espère que d’autres citoyens iront devant les tribunaux des Etats où ils vivent, et si besoin devant la Cour européenne. Je veux les inviter à se révolter devant des industries aveugles et stupides qui s’attaquent à de simples internautes. Plutôt que d’écrire des lois répressives comme la Hadopi et la Loppsi – qui sont du véritable flicage –, il aurait été plus intelligent de mettre en place la licence globale, pour rémunérer les auteurs plus correctement. Le débat doit être ouvert pour trouver des solutions respectueuses des artistes et des internautes. Les maisons de disques ont leur place, mais elles doivent revoir leur mode de fonctionnement.

Les internautes se sont mobilisés pour vous aider à réunir la somme destinée à couvrir les frais d’avocat ?
Outre le coup de main de 1 000 euros de Jean-Luc Godard – geste qui m’a donné une visibilité assez forte –, j’ai reçu un don d’un forum de téléchargement de 300 euros, un autre de 330 euros d’un particulier et j’ai aussi reçu des aides qui allaient de 1 à 15 euros… J’ai réussi à réunir la somme de 5 000 euros, il ne manque que 400 euros que je vais mettre de ma propre poche. Car il est hors de question que je paye ces 20 000 euros.

Ne craignez-vous pas les conséquences ?
Cela me met de fait dans une certaine marginalité. Je dépanne des ordinateurs, je fais des photos. Je vis « au black » en laissant mon compte à zéro ou presque. Ils peuvent juste me saisir mon matériel photo et mon ordinateur. Avec le peu que je possède, ça n’atteindra pas 20 000 euros ! J’ai cette épée de Damoclès, mais je continue à vivre, sans m’en faire.

« Mon action est citoyenne »

Vous téléchargez encore, aujourd’hui ?
Oui, plus que jamais, surtout du cinéma, et je continue de partager sur les réseaux P2P. C’est devenu une forme de militantisme. A côté de ça, je continue d’acheter des CD, d’aller au cinéma chez moi, à Barjac, d’acheter des DVD. Comme je gagne un peu mieux ma vie, je peux m’accorder un budget culture. J’ai pris le statut d’auto-entrepreneur mais je travaille au noir pour vivre correctement, je le dis sans masque : je ne tiens pas à payer l’amende, je déclare donc très peu de revenus, le minimum. J’assume. C’est l’injustice de ma situation qui me pousse à ça. Si je suis contrôlé et que je ne peux plus vivre où je vis, je retournerai en squat à Bruxelles ou ailleurs et je continuerai à vivre.
Je ne tiens pas à être spécialement un rebelle, je vais juste au bout de ma démarche. Si ma situation se régularise, je suis prêt à jouer le jeu. Aussi étrange que cela paraisse, si demain mon abonnement à Internet augmente de cinq euros pour mieux rémunérer les créateurs, ça ne me posera aucun problème, au contraire ! Mais je ne veux pas payer de dommages et intérêts à des sociétés dépassées. Je ne suis pas contre les lois, je suis un citoyen et mon action est citoyenne. Je veux juste plus de respect entre les uns et les autres, et qu’on arrête de diaboliser les internautes qui téléchargent.

Que vous inspire la loi Hadopi ? Pensez-vous qu’elle aura des effets sur le téléchargement illégal ?
Quand je pense à la Hadopi, je pense aux livres qu’on brûlait il y a soixante ans… C’est une comparaison extrême, certes, mais la démarche de limiter l’accès à la culture me fait penser à ça. Ce qui est lâche, avec Hadopi, c’est que les gens calés en informatique ou qui ont les moyens d’y passer du temps, sauront comment la contourner. Ce sont les plus fragiles qui vont morfler. On sait déjà que la loi Hadopi n’a aucun impact sur les habitudes, le téléchargement continue de plus belle.
Cette loi va durcir les mœurs : certains vont encore plus se rebeller et trouveront des moyens durs pour répliquer, en lançant des attaques par déni de services. Plutôt que de créer un débat large et ouvert, on vote des lois « dures » qui créent l’escalade.

(1) La Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique (SDRM) gère les droits de reproduction des œuvres des auteurs, compositeurs et éditeurs.

A consulter : le dossier de presse de James Climent

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Guillaume Deleurence