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Le Nasdaq chute, les analystes trin quent

Taxés d’excès d’optimisme aux plus belles heures de la net économie, les analystes financiers voient leur indépendance mise en doute outre-Atlantique.

La courbe commence par monter, avant que la hausse ne s’accélère, pour atteindre un sommet vertigineux. Puis elle s’effondre. “Vous avez deviné ?“, demande Henry Blodget aux participants de la conférence internet organisée, ce jour-là à New York, par la banque d’affaires Merrill Lynch. “C’est effectivement la courbe du ti-tre Yahoo, depuis trois ans. ” Il sourit. “Mais c’est aussi un graphe sur la pertinence des analystes internet.

Une notoriété mise à mal

Il y a du mérite à conserver son sens de l’humour dans de telles circonstances. Henry Blodget est l’analyste internet le plus influent de Wall Street, si l’on en croit le dernier classement du magazine Institutional Investor. Il y détrône Mary Meeker, de Morgan Stanley Dean Witter. Mais le jeune homme de 35 ans est en train de payer ce succès au prix fort. On lui reproche de ne pas avoir vu venir l’explosion de la bulle internet, d’avoir maintenu trop longtemps des recom- mandations d’achat alors que des fleurons de la nouvelle économie, tels que Yahoo ou Amazon, voyaient 90 % de leur capitalisation boursière partir en fumée en l’espace d’une année.D’une certaine façon, Henry Blodget doit sa carrière à Amazon. Le 16 décembre 1998, il n’est encore qu’un obscur analyste chez CIBC Oppenheimer quand ses prévisions sur la start-up font l’effet d’une bombe. Il estime qu’au regard de la croissance d’Amazon, l’action passera de 243 à 400 dollars (261 à 430 euros). Un mois plus tard c’est fait. Henry Blodget est aussitôt débauché à prix d’or par Merrill Lynch, la première maison de titres des États-Unis (son salaire se compte alors en millions de dollars). Beaucoup plus sceptique, son prédécesseur Jonathan Cohen quitte Merrill pour aller s’installer chez Wit Capital. Il déclare alors : “Toute la question était de savoir si vous pensiez qu’Amazon allait changer le monde ou simplement vendre des livres. J’étais clairement dans le deuxième camp.”Depuis le sommet d’un peu plus de 5048 points atteint par le Nasdaq le 10 mars 2000, les investisseurs américains ont perdu l’équivalent de 30 % du PIB des États-Unis, calculait récemment un économiste de Moody’s. Alors, forcément, ils cherchent des coupables. Un gestionnaire de patrimoine écrit au Wall Street Journal pour dire le “dégoût ” que lui inspire Henry Blodget. Un autre dépose un recours devant le New York Stock Exchange. L’analyste vedette de Merrill Lynch a maintenu une recommandation d’achat sur la société Infospace parce que Merrill était sa banque d’affaires. Depuis, le titre s’est effondré de 96 % et l’investisseur floué affirme avoir perdu des centaines de milliers de dollars. La star de Morgan Stanley est, elle aussi, clairement sur la défensive : “Où est passée Mary Meeker ?“, s’interrogeait récemment le Wall Street Journal, mettant perfidement en exergue les prévisions les plus optimistes de l’ancienne star.

Des experts indépendants ?

Que les analystes internet vedettes de Wall Street se soient trompés est un fait ?” Henry Blodget et Mary Meeker sont les premiers à admettre leurs erreurs. La question est de savoir pourquoi. La réponse des cyniques : parce que des ratings (classements) optimistes sont bons pour les affaires. Selon Thomson Financial Securities, les entrées en Bourse de valeurs internet ont rapporté à une banque d’affaires comme Morgan Stanley près de 500 millions de dollars entre 1998 et 2000. Pouvait-on imaginer au même moment que Mary Meeker encouragerait les investisseurs à vendre les actions de ces entreprises ? De telles accusations sont rejetées avec fermeté par toutes les grandes banques d’affaires de Wall Street, qui jurent que leurs analystes opèrent en toute indépendance.Il n’empêche, Byron Wien, stratégiste senior chez Morgan Stanley, vient de prendre la plume pour consacrer une longue note à “ la question de l’intégrité“. “Les banquiers d’affaires imaginent peut-être qu’ils auront de meilleures relations avec leurs clients si les analystes écrivent des choses sympathiques sur les entreprises qu’ils couvrent“, observe Byron Wien, avant de prévenir : “Ils doivent comprendre que les opinions ont peu de valeur si ceux qui les délivrent n’ont aucune crédibilité. Les analystes doivent s’exprimer honnêtement et ouvertement, faute de quoi, ils n’auront pas plus d’utilité pour les banquiers que pour les investisseurs“.”Très souvent, les analystes couvrent des entreprises qu’ils choisissent, donc qu’ils aiment bien“, observe pour sa part Jonathan Cohen. Et ce biais optimiste est renforcé par la volonté d’attirer l’attention des clients qui sont en quête d’opportunités : “Ce qu’ils attendent de nous, c’est que nous leur proposions simplement des actions à acheter“. Henry Blodget, l’expert contesté, souligne de son côté : “ Je n’écris pas pour la presse ou pour le public . J’écris pour les clients de Merrill Lynch, et chacun d’entre eux dispose d’un de nos 17000 consultants financiers, qui savent exactement de quoi je parle et dans quel contexte. Ils écoutent mes “conference calls” tous les matins. Mais le marché des actions est devenu si populaire qu’il a attiré des gens qui n’ont aucune notion de risque et de diversification. On oublie, ainsi, que chacune de nos recommandations est assortie d’un “rating” de risque. Nous passons notre temps à répéter que les trois quarts de ces entreprises vont disparaître, et qu’elles ne doivent pas constituer plus de 5 % d’un portefeuille, ce qui est déjà une position très agressive.” Désormais, plus personne n’en doute.

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Thomas Maurice, A New York