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Internet 2030, une chance pour la France de reprendre la main mais aussi un défi

Quel Internet en 2030 ? Quelle industrie pour cet Internet ? Quelle place pour l’Europe et la France ? Quels changements seront nécessaires. Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective dresse les grandes lignes des révolutions à venir.

2,5 milliards de personnes connectées à Internet régulièrement. 1,1 milliard de comptes sur Facebook, dont 26 millions en France… Et demain, à l’horizon 2025/2030, entre 50 et 70 milliards d’objets connectés, reliés en permanence à des bases et des plates-formes de services. « Nous sommes au début du développement des services sur Internet. Les objets connectés qui vont arriver vont avoir d’énormes conséquences », déclarait Laurent Gille, un des auteurs de l’étude intitulée La dynamique d’Internet – Prospective 2030 publiée par le Commissariat Général à la stratégie et à la prospective (CGSP), ancien Centre d’analyse stratégique lors de sa présentation.

Une place difficile à prendre

D’énormes conséquences, à commencer par tout un ensemble de technologies et de services à inventer. « Il y a une place pour un retour de l’industrie européenne », continuait-il. Une place à reprendre dès « le début de la révolution des services sur Internet ». Car, et c’est là un des six points mis en avant par ce rapport, tout l’enjeu de ce nouvel élan d’Internet est d’y inclure, la France et plus largement l’Europe.

Le Vieux continent, hors Russie, qui ne représente que 2% de la valeur des 64 entreprises Internet « dont la capitalisation boursière [était] supérieure à 1,5 milliard de dollars », au 31 décembre dernier. Deux pourcents quand les Etats-Unis comptaient pour 83%, la Chine 9% et le Japon 4%. La France atteignait péniblement les 0,14% grâce à la société Vente-privée.com. Le problème étant que les entreprises américaines ont atteint une telle masse critique que même si elles n’innovent plus, elles ont les moyens d’acheter les sociétés innovantes et d’ainsi maintenir leur oligopole.

Saisir la balle au bond

Pour autant, le développement de la téléphonie et d’Internet prouve que les choses peuvent évoluer rapidement. Laurent Gille, également enseignant-chercheur à TELECOM ParisTech, rappelait ainsi que les débits offerts par la fibre optique en 2013 sont « 3 000 fois plus rapides que ce que proposait le Minitel ou le RNIS », il n’y a pas si longtemps. La montée en puissance des réseaux est donc essentielle à l’épanouissement d’un nouveau Net et on comprend mieux que la Commission européenne en face un enjeu de première importance.

Selon Daniel Kofman, professeur à TELECOM ParisTech, le déploiement de « la 5G permettra à la France et à l’Europe de revenir dans le train de tête ». Après avoir (partiellement) raté les deux trains précédents, celui du Web 1.0 puis 2.0, de l’Internet mobile et des services dits over the top (Google, Facebook, etc.) et du Cloud, il faut monter dans celui de l’Internet des objets et de la 5G. Un Internet qui impliquera une refonte complète de pans entiers de l’industrie, de l’économie mais aussi des infrastructures.

Refonte lourde

Cette « réorchestration passera par une création jointe de valeur, qui permettra à l’Europe de se repositionner », avance optimiste Daniel Kofman. Mais cette réorchestration ne se fera pas sans douleur. « Les années qui viennent vont être le théâtre d’un affrontement de plus en plus vif entre les acteurs [des réseaux de télécommunications traditionnels] et [les services dits OTT], pour le contrôle du trafic, mais aussi, et peut-être surtout, pour le contrôle des services et applications », explique la note d’analyse du CGSP. Une guerre qui existe déjà, comme l’expliquait fort bien l’Idate en mai 2012.

Jusqu'à 70 milliards d'objets connectés en 2030
Jusqu’à 70 milliards d’objets connectés en 2030 – Jusqu’à 70 milliards d’objets connectés en 2030

Réglementation et rôle du politique

Dès lors qu’il y a guerre, il y a besoin de normalisation et d’un minimum de régulation. Le Commissariat général à la stratégie et à la prospective recommande ainsi de « traduire sur Internet les principes généraux du droit ». Longtemps considéré comme une zone « hors la loi, voire hors le monde », Internet doit être ancré dans le monde réel et donc soumis à ses règles. Le CGSP aborde là un autre terrain miné, celui du contrôle officieux des instances de normalisation et de gouvernance du Net par l’administration américaine.

Une situation résumée en une phrase dans la note d’analyse : « Né aux Etats-Unis, Internet a fréquemment placé ses instances sous tutelle du gouvernement américain, suscitant ainsi dans les Etats du reste du monde des interrogations quant à la souveraineté comparée qu’ils exercent sur Internet ». Soit tout le débat qui a agité le dernier sommet de l’Union Internationale des Télécommunications, en décembre dernier à Dubaï.

Mise à plat fiscale

Mais le CGSP s’attaque aussi à un point qui a agité nos dirigeants et le Web récemment, la fiscalité des acteurs d’Internet. Le Commissariat général propose d’établir « des principes généraux de partage de la valeur dans les transactions numériques » et de « redéfinir les règles fiscales applicables sur la base de ces transactions ». Si on s’interroge sur les risques pour la vie privée qu’implique le suivi des transactions, les auteurs du rapport nous renvoient au suivi actuel des achats effectués par carte bancaire. L’élargissement de ce suivi à toutes les transactions « numériques » pourrait, donc, ne pas poser problème, au moins d’un point de vue technique.

Bouleversement sociétal

Finalement, ce sont les trois dernières propositions du rapport qui semblent être les plus complexes à mettre en place. L’une implique « d’anticiper les mutations industrielles et les nouvelles organisations du travail » pour aboutir notamment à la révision de certains pans entiers de fiscalité et du droit, y compris le droit du travail car « le numérique va également entraîner une profonde modification de nombreux secteurs de l’économie ». Les changements ont d’ailleurs déjà commencé.

Le CGSP recommande également une mise en œuvre volontariste du « numérique dans la santé et l’éducation ». Ce sont là deux bouleversements lourds et profonds, qui touchent à des axes capitaux de la construction de la société. L’équilibre étant à trouver pour assurer un meilleur suivi médical mais pas un fichage et un enseignement plus riche et adapté, via les MOOC, par exemple, les Massive Open Online Couses, ces cours de grandes écoles et universités accessibles gratuitement en ligne en vidéo, le plus souvent.

Mais avant de faire basculer la santé et l’éducation dans le numérique, il faudra s’assurer que les fractures numériques sont fermées. C’est d’ailleurs la sixième et dernière proposition du rapport sur La dynamique d’Internet – Prospective 2030. Le Commissariat général recommande  « de construire une politique d’e-Inclusion et de cohésion sociale numérique ».
Sur ce dernier point, les auteurs du rapport s’entendent sur le fait que le numérique n’est pas la solution miracle à tous les problèmes de la société, contrairement à ce qu’une certaine « mythologie américaine laissait entendre » : « Les outils numériques peuvent contribuer à renforcer les liens sociaux, l’accès à la connaissance et à l’emploi, ou peuvent ajouter de la difficulté aux difficultés. »

Internet au cœur d’un monde changé

L’Internet de 2030 aura davantage changé le monde, avance prudemment ce rapport : « L’emprise irréversible sur l’économie et la société d’Internet s’impose à la puissance publique ». Un chantier en forme de solution de la dernière chance, pour que la France et l’Europe reprennent la main dans une nouvelle forme d’industrie et de nouveaux services. Mais l’enjeu est également social, humain et légal. « Il y aura un équilibre à trouver », expliquait Laurent Gille. A commencer par le fait que les « politiques ne tiennent pas le numérique comme quelque chose de central » dans notre société, ce qui devient pourtant de plus en plus le cas.
Face à cette lente prise en compte de la réalité, ce rapport du CGSP ne se veut pas une suite de scénarios futuristes forcément erronés mais plutôt « une aide à penser le numérique ».
Au vu de la dernière campagne présidentielle et les dernières positions du gouvernement, la tâche ne sera pas aisée, mais n’en est pas moins vitale.

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Source :
Etude – La dynamique d’Internet – Prospective 2030

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Pierre Fontaine