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E3 2012, dernier salon du jeu vidéo avant la fin du monde

Pas spectaculaire, l’E3 2012 a été néanmoins l’un des salons des plus passionnants, pour qui s’intéresse au marché du jeu vidéo. Il résume une année 2012 charnière et stratégique, dans un contexte où les éditeurs traditionnels s’accrochent aux branches sans savoir de quoi demain sera fait.

Le marché du jeu vidéo va peut-être bientôt évolué. « Les confrères ont le sentiment de voir la fin d’une époque et le début d’une nouvelle », résume pudiquement Anne-Marie Baufine-Ducrocq, directrice marketing de Nintendo France. Le jeu sur smartphone, sur tablette, les jeux sociaux, les MMO et les jeux en modèle freemium, autre nom du free to play, tous ont largement contribué à émietter le marché, et si le jeu social et mobile s’essouffle en ce moment, d’autres supports émergent avec les opérateurs Internet et les fournisseurs de jeu en nuage. « Ce qui est en train de se passer, résume David Dufour, directeur marketing Xbox France, c’est que le jeu n’a jamais été si populaire, si médiatisé, et il n’y a jamais eu autant d’alternatives pour jouer, et donc de concurrence.  Le champs s’est complètement élargi, ce n’est plus seulement Microsoft, Nintendo et Sony. » Et d’évoquer une édition qui pourrait se résumer, pour lui, à « un échiquier », à l’image de SmartGlass, qui replace complètement la Xbox 360 dans l’écosystème des appareils connectés.

Le cloud à l’horizon 2014

En creux, les grands vainqueurs de cet E3 sont peut-être ceux qu’on n’a pas vus, mais qui pesaient de leur ombre sur le salon : Apple, Google, Facebook, mais aussi Samsung, Lenovo ou LG, autant d’acteurs qui attendent la maturité du marché du cloud gaming, attendue à l’horizon 2014-2015, pour s’inviter à la table du jeu vidéo. « C’est logique, le marché du jeu vidéo, même en période de crise, reste attractif. Il va y avoir de plus en plus d’acteurs, c’est une certitude, analyse calmement Patrick Vernuccio, de Sony France. Mais pour le maîtriser, il faut une expertise impérative. Il y aura des acteurs qui seront bons dans le cloud gaming, et d’autres qui se casseront les dents. Pour l’instant, nuance-t-il, on reste sur une concurrence tripartite. »


Onlive est un des pionniers du jeu vidéo dans le Cloud.

Cette multiplication des supports et des acteurs, les fabricants peuvent la voir venir, grâce à des convergences industrielles fortes : Sony est un géant de la télévision et des contenus multimédias, Microsoft des services informatiques. Mais ce n’est pas forcément le cas pour les éditeurs-tiers : « Traditionnellement, il y a une bataille pour s’approprier un pourcentage de ce que les gens consacrent au jeu, observe David Dufour. Mais aujourd’hui, la vraie bataille se situe sur le temps que les gens passent à jouer, et ce temps n’est pas extensible. »
La DS et la Wii l’ont pris dans la figure, mais aussi les éditeurs secondaires comme THQ, Capcom ou Sega, qui sont tous engagés dans de lourds plans de restructuration après de grosses pertes.

Les éditeurs ont peur

L’industrie du jeu vidéo se retrouve ainsi dans une situation où les joueurs demandent de nouvelles licences, donc des investissements massifs en recherche et développement, alors même que le gâteau n’a jamais été aussi ingrat. Il s’agit d’une impasse délicate, avec pour résultat, un E3 où l’audace a rarement été à l’affiche.
A court terme, ceux-ci optent pour une tactique du moindre risque. « C’est vrai qu’il y a, en ce moment, chez les éditeurs traditionnels une certaine frilosité, une certaine inquiétude », note plus globalement David Dufour. Tout d’abord, ils expriment une méfiance pour les consoles tout juste sorties ou à venir, comme la Wii U. Chez Nintendo, on tente évidemment de séduire : « Ce qui plaît à un développeur, glisse Anne-Marie Baufine-Ducrocq, c’est de se faire plaisir. La Wii U propose justement de faire marcher son imagination autrement. »
Mais dans une période de doutes sur le secteur, qui a envie d’investir des millions dans une console aussi atypique, alors que Nintendo va encore cannibaliser 80 % des ventes, répondent en off certains industriels ? En dehors d’Ubisoft et de Warner Games, les éditeurs-tiers semblaient bien discrets, et l’écart entre le nombre de jeux PS3/360 et jeux Wii U présentés s’avérait considérable. Quant à la 3DS, elle était encore plus discrète, malgré un Castlevania et un Epic Mickey de qualité. Sony, lui, était quasiment seul à soutenir sa PS Vita. L’avenir leur donnera peut-être tort, comme à l’époque de la Wii. Mais pour l’instant, la prudence est le maître mot.

En attendant la nouvelle génération

Plutôt que de se lancer sur les jeunes consoles encore fébriles, les éditeurs préfèrent jouer la carte de la suite. Objectif ? Profiter du parc installé sans équivalent du duo standard Xbox 360/PS3 et rentabiliser les outils de développement et les univers déjà développés. En un mot, tous aux abris ! « L’attentisme est de rigueur, on est dans un contexte économique global qui est difficile, et le jeu vidéo n’est pas épargné, analyse Patrick Vernuccio, chef de produit hardware chez Sony France. Forcément, quand on voit les coûts de développement, il y a des réflexions qui sont faites. Les éditeurs doivent aussi penser à leur rentabilité, ils ne travaillent pas que pour la gloire uniquement, mêmes s’ils y mettent de la passion. »

Le nombre de jeux en 4 même chez les constructeurs – Halo 4, le quatrième Gears of War – ou le retour de licences classiques comme Resident Evil, Splinter Cell ou Tomb Raider sont ainsi très symptomatiques d’une génération qui dure plus longtemps que prévue. « C’est vrai qu’on est en fin de cycle. Ce n’est jamais le bon moment pour qu’un éditeur lance une nouvelle IP, concède David Dufour, non sans regarder devant lui. Ubisoft, on l’a vu, se positionne déjà sur la génération suivante. Ils ont fait un show formidable. C’est le seul éditeur qui ait pris ce risque, à un moment où le marché souffre un peu sur ses bases traditionnelles. » Le seul sous la forme d’un jeu, en tout cas. Car Square Enix et Epic Games ont, quant à eux, fait la présentation de leur ambitieux moteur 3D pour… la prochaine génération. Une manière, là aussi, de placer ses pions.


Watch Dogs, une des rares nouvelles licences annoncées lors de l’E3 2012.

Rendez-vous en 2013

Si la déception l’emporte aujourd’hui chez les observateurs de l’E3, c’est donc bien parce que l’industrie semble vouloir faire le dos rond cette année, pour mieux sortir le grand jeu l’an prochain. Bien sûr, personne ne le dira officiellement, même si l’existence des futures consoles Sony et Microsoft n’est plus qu’un secret de polichinelle. « Rendez-vous… prochainement ! », esquive dans un grand sourire le porte-parole de Sony. « Rendez-vous de toute façon en 2013, pour je ne sais pas quoi, mais il y aura forcément des choses à annoncer ! », plaisante David Dufour.

Par effet de contraste, 2012 restera donc comme une année creuse, malgré d’importantes annonces stratégiques. « L’E3, on en attend chaque fois énormément, fait remarquer Patrick Vernuccio, et dès qu’il n’y a pas de nouvelle console ou une nouvelle avancée technologique majeure, tout le monde est déçu. C’est le charme de l’E3, on est à Los Angeles ! » Pour autant, pas de quoi jeter cette édition aux orties. « Il y a quand même eu quelques très belles annonces, et ce sont les jeux qui font vivre les consoles, fait très sagement remarquer le représentant de Sony. Même les technologies ont avancé, ce qu’on arrive aujourd’hui à faire en termes de motion capture dans Beyond, c’est énorme ! »
David Dufour, dont la Xbox 360 présentait comme la PS3 un catalogue très riche pour 2012-2013, va encore plus loin : « Les dix mois qui viennent vont être très riches, sûrement les plus riches. » Ce que l’histoire ne dit pas, ou du moins pas encore, c’est à qui cette année profitera.

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William Audureau