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Reportage : découvrez l’usine où on assemble les derniers smartphones Made in Europe

Au nord de Düsseldorf, en Allemagne, nous avons visité l’usine de Gigaset qui produit les seuls smartphones fabriqués en Europe. Dans cet antre de la construction de vieux téléphones DECT, on y voit la fin d’une histoire… et un potentiel renouveau.

« Bocholt salue Cupertino ! » : on doit reconnaître aux Allemands de Gigaset qu’ils ont de l’humour. Dans son fief du nord de Düsseldorf, Gigaset a invité quelques journalistes français à visiter « la seule usine de smartphones d’Europe ». Après vérification, force est de constater que nos voisins germaniques n’ont pas tort, nous n’avons trouvé aucune autre usine qui assemble de tels terminaux au sein de l’Union Européenne.

Un petit clin d’œil à Apple qui vend environ 1200 fois plus de smartphone par an que Gigaset ! / © Adrian BRANCO – 01net.com

Exfiltré en 2008 du géant Siemens (désormais concentré sur les marchés B2B), Gigaset est le plus gros employeur de la région. C’est aussi un acteur de la téléphonie à l’ancienne puisqu’il est le dernier géant européen à produire des DECT, ces téléphones sans-fil qui reposent sur des bases de recharge. Un marché que Gigaset domine en Europe (EU-6), avec 37% de parts de marché (volume, 2020). Le souci étant que ce marché, qui résiste mieux que prévu, est tout de même voué à s’éteindre. Et contre toute attente, Gigaset entend bien transformer son gros appareil industriel voué à la téléphonie « classique » en des lignes de production de smartphones made in Germany.

Une production vraiment allemande

C’est dans un étage de cette usine que les lignes de production de smartphones sont déployées. / © Adrian BRANCO – 01net.com

Si les années 2000 sont celles d’une délocalisation massive des industries européennes, Gigaset est loin de ce modèle. « 95% de notre production de smartphones sort de Bocholt, ici en Allemagne, et seul 5% de produits d’entrée de gamme sont encore fabriqués en Asie. Pour les téléphones pros, c’est 60% qui est produit en Allemagne. Et le centre d’appel qui était localisé en Serbie sera bientôt rapatrié en Allemagne », explique le patron, Andreas Tourneur.

Ce qui ne veut pas dire que Gigaset n’est pas une entreprise globalisée comme les autres. « Nos circuits imprimés de téléphones DECT arrivent de Chine parce qu’on ne peut pas trouver de tels volumes à de tels prix en Europe », nous explique-t-on lors de la visite. Et c’est le même son de cloche quand on pose des questions sur les composants électroniques des smartphones mais aussi des téléphones classiques. En visitant le laboratoire dédié aux tests de qualification matérielle, le constat est sans appel : « Par le passé, Siemens développait certains de ses composants, mais petit à petit, les géants des semi-conducteurs ont tout intégré dans les puces », nous confie-t-on.

En regardant les puces des anciennes versions des DECT de Siemens/Gigaset, on voit que les puces maisons de l’époque ont toutes été absorbées par les SoC actuels. Une perte de savoir-faire pour Gigaset. / © Adrian BRANCO – 01net.com

Un constat que valide M. Tourneur qui reconnaît volontiers que « les microcontrôleurs que nous utilisons sont fabriqués par TSMC ». Mais en bonne entreprise d’ingénieurs allemands qui, comme nous allons le voir, a des ambitions, cette production asiatique n’est pas une fatalité. Quand on l’interroge sur la future usine d’Intel de Magdeburg, M. Tourneur réagit très positivement. « Oui, ce serait une option, mais il y a aussi la nouvelle usine de Bosch à Dresde (et celle de GlobalFoundries, ndlr). Nous construisons et développons petit à petit la division smartphone et pour l’heure nous faisons appel aux composants asiatiques et notre R&D est bien plus limitée. Mais nous y travaillons ».

Face aux méga-usines de composants ou d’assemblage, l’Europe peut-elle tenir le coup ?

Les atouts d’une entreprise basée en Europe

Gigaset peut livrer n’importe où en Europe en moins de 72h, ce que ne peuvent pas faire les entreprises asiatiques. / © Adrian BRANCO – 01net.com

Le site de Bocholt est important : 95 000 m² (dont 54 000 de bâtiments) regroupant 900 personnes de 54 nationalités différentes. « Le smartphone est pour l’heure la plus petite de nos activités puisque qu’elle ne représente que 5 % de la production contre 95 % pour les téléphones DECT qui représente encore 7 millions d’unités annuelles », décrit M. Tourneur. « Nous produisons environ 200 000 téléphones par an et ambitionnons de porter ce volume à 400.000 d’ici à deux ans. Nous sommes des industriels et nous pourrons rapidement mettre en place de nouvelles lignes de production », promet-il.

Mais comment diable être compétitif face aux Chinois et aux Vietnamiens ? « Si nous recevons une commande, nous pouvons livrer en Allemagne en 24h et en Europe en 72h. Il vous faudra attendre au moins 70 jours si vous commandez à un groupe asiatique », se félicite M. Tourneur. « Ensuite, ce que nous n’avons pas en variété de terminaux, nous l’avons en personnalisation puisque nous pouvons proposer des gravures et impressions personnalisées aux dos des appareils, même dans de petites quantités ».

N’ayant pas encore de capacités de développement matériel ou logiciel, Gigaset utilise les armes à sa disposition pour séduire, notamment la personnalisation des coques arrière. Si le gros de ses clients sont des entreprises, n’importe quel consommateur peut personnaliser son terminal… en Allemagne uniquement pour l’heure. / © Adrian BRANCO – 01net.com

La distance des usines asiatiques, de nombreux business Européen l’ont bien mesurée avec l’explosion des prix du fret maritime. Une problématique qui a aussi mis en lumière le besoin de disposer de chaînes de production locale, non seulement d’un point de vue environnemental, mais aussi stratégique. « Nous avons développé des emballages 100% en papier recyclé, nos terminaux sont facilement réparables. Toute notre énergie est certifiée verte, nous limitons énormément nos déchets, etc. Et nous sommes fiers de nous maintenir en Allemagne, et de faire face aux marques asiatiques ».

Une ligne de production assistée par des robots

Le soutien des robots permet de retirer des tâches pénibles ou répétitives. © Adrian BRANCO – 01net.com

Nous avons pu nous rendre directement au cœur de la ligne de production de smartphones de Gigaset. Bien plus calme et modeste que le gros mastodonte des DECT où résonnent les grondements des machines de plasturgie et autres assemblages de composants sur des cartes mères, la ligne de production de smartphones offre une ambiance feutrée.

Moins adaptables que les humains, les robots peuvent cependant automatiser des opérations pénibles. © Adrian BRANCO – 01net.com

« Notre ligne de production ainsi que notre flux de travail sont uniques », nous explique le responsable de chaîne. « Chaque employé gère l’assemblage des terminaux de A à Z et nous faisons appel à des robots pour les tâches usantes et répétitives comme la sélection de composants ou la partie des tests du système », explique l’ingénieur.

© Adrian BRANCO – 01net.com

Au côté de chaque employée – à part le directeur de la ligne, uniquement des femmes ce jour là – différents robots les assistent de différentes manières à chaque paillasse : prendre les modules caméra, ajuster la visserie, exécuter les tests de mire photographique, etc. Et dès qu’un terminal ne passe pas un test, il est immédiatement écarté et scruté. « Nous faisons les tests pendant l’assemblage et non pas au dernier moment comme c’est le cas en Asie. Cela nous permet de corriger plus rapidement le tir », détaille-t-il.

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Même son de cloche du côté de l’emballage et de la mise en boîte où une opération assez physique – la mise en forme de la boîte – est opérée par une machine avant que la mise en boîte, préparation des accessoires et préparation des cartons de commande ne soit effectuée par des humains. On est loin des grandes lignes de production de l’Asie, mais l’assistance des robots permet de réduire les coûts de main d’œuvre et la pénibilité.

« Nous n’allons pas concurrencer Samsung »

La fiche technique des smartphones lancés par Gigaset n’a pas de quoi faire frémir l’âme des geeks. Le dernier GS5 Lite est propulsé par la puce Mediatek Helio G85, un SoC octacore qui anime des terminaux d’entrée de gamme comme le Redmi Note 9. Une puce gravée en 12 nm que nous trouvions molle du genou… en juillet 2020. Avantage de la plate-forme : elle est désormais bien maîtrisée, stable et peu chère. « Tout est une histoire de rapport qualité/prix. Nous sommes trop petits pour que Qualcomm nous parle et nous avons eu des soucis pas le passé. Nous entretenons de bons rapports avec Mediatek et profitons d’un bon soutien puisque nous garantissons trois ans de mises à jour de sécurité », nous explique-t-on du côté des chaînes d’assemblage.

© Adrian BRANCO – 01net.com

« Nous n’allons évidemment pas concurrencer Samsung », admet tout de go M. Tourneur. « Si nous captions déjà 3% du marché Européen, cela nous suffirait déjà amplement. » Et pour cela, Gigaset compte d’abord s’attaquer non pas aux individus, aux consommateur, mais aux entreprises, grands comptes et autres marchés publics. « Nous avons déjà livré plusieurs milliers de terminaux à la Deutsche Bahn pour les contrôleurs de train, nous avons des commandes personnalisées d’entreprises avec leur logo, etc. Notre contrôle qualité est excellent et cela plaît au client », continue-t-il.

Gigaset a produit plus de 17 000 terminaux siglés pour les contrôleurs de la Deutsche Bahn. / © Adrian BRANCO – 01net.com

Et des terminaux plus « souverains » axés sur la sécurité pour équiper, par exemple, les forces de sécurité, la police, etc. ? « C’est une bonne idée, mais dans ce domaine, nous devrions lutter contre Google lui-même et c’est dur », s’amuse le sexagénaire. Ce qui ne veut pas dire que l’entreprise se contente de ce qu’elle a. Outre la montée en volume, Gigaset veut aussi monter en gamme et en compétences. « Nous ne sommes pas où nous voulons être. Nous voulons développer beaucoup de choses, comme notre propre service de mises à jour. Nous voulons aussi avoir des accès plus directs et plus privilégiés aux semi-conducteurs. Mais cela prendra du temps ».

© Adrian BRANCO – 01net.com

De manière surprenante, c’est moins le volet industriel ou la puissance des marques asiatiques qui inquiète M. Tourneur. « Le prix de l’énergie est à la hausse, celui des composants aussi et nous avons parfois du mal à mettre la main dessus. Par-dessus cela, il faut dénicher des talents et c’est presque le plus dur : il nous faut trouver des profils très courtisés comme les développeurs », ajoute M. Tourneur. Qui sait que la route est longue, mais qui a déjà prouvé qu’une entreprise européenne peut gagner de l’argent en vendant des smartphones made in Europe. Difficile de dire si Gigaset arrivera à remplir son objectif de transformer ses milliers de mètres de carré de production de téléphone fixe en lignes de production de smartphones. Mais l’envie est là.

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