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Comment une blogueuse a enflammé le Web pour une critique de restaurant

La condamnation d’une blogueuse qui avait critiqué un restaurant du Cap Ferret entraîne une réaction en chaîne sur internet. Retour sur un « effet Streisand » en trois actes.

Si vous ne savez pas encore ce qu’est l’effet Streisand, il peut être résumé ainsi : vouloir empêcher de divulguer une information déclenche souvent le résultat inverse.
Depuis dix jours, un restaurant du Cap Ferret en fait les frais et enchaîne les critiques assassines sur internet. En cause, la condamnation d’une blogueuse à 1.500 euros de dommages et intérêts. Le 24 août 2013, Caroline Doudet – la blogueuse en question – publiait un article relatant sa (très) mauvaise expérience dans l’établissement. Très rapidement, les réseaux sociaux se solidarisent avec la blogueuse en invoquant la liberté d’expression. A mesure que les internautes se passent le mot, la presse s’empare de l’affaire, y compris la BBC. À l’heure actuelle, l’article a été supprimé (disponible en cache), et le restaurant totalise une moyenne de 1,2/5 dans les avis Google. Une véritable pièce de théatre 2.0.

Acte I : une montée dans les résultats de Google

Si l’on regarde de plus près le jugement, deux informations attirent l’attention. Tout d’abord, l’article en lui-même n’a pas été condamné puisqu’il entre selon le Tribunal dans le champ de la liberté d’expression. Le titre, « L’endroit à éviter au Cap-Ferret » a en revanche été considéré comme une « volonté de nuire ».
Mais un second motif de condamnation est plus étonnant. La justice reproche à la blogueuse le positionnement de son article qui se plaçait alors 4ème des résultats Google (en tapant le nom de l’établissement dans la barre de recherche). Or, pour Caroline Doudet (contactée par 01net), on lui a alors reproché quelque chose qu’elle ne contrôlait pas. « Il y a eu du référencement en termes de mots-clés et de lectures, mais je n’ai absolument rien fait de spécial pour faire remonter mon billet » affirme-t-elle, avant de préciser « de toute façon, je ne m’y connais pas assez pour ça ». 

Acte II : Maître Eolas, Arrêt sur images, et les autres

En recevant l’assignation, la blogueuse contacte l’avocat-blogueur Maître Eolas. Une volonté de médiatisation ? Pas du tout, selon elle, qui affirme « je l’ai contacté car l’était le seul avocat que je connaissais. Je ne pensais pas que cela pourrait intéresser les médias ». Le 8 juillet, c’est au tour du site Arrêt sur images de reprendre l’info, puis celui de la presse française. Les réseaux sociaux s’enflamment et crient à l’injustice. La propriétaire du restaurant (également contactée par 01net) réfute : « en aucun cas nous ne tenons à bafouer la liberté d’expression, que nous défendons. Nous estimons simplement qu’il y a eu une volonté de nuire, en nous basant sur son comportement durant le dîner. Il est normal et souhaitable que les gens puissent librement critiquer les restaurants, et tous les blogueurs sont les bienvenus chez nous. Il faut faire la différence entre la critique et l’insulte. »
De son côté, Caroline Doudet récolte de nombreux messages de soutien. Le Web semble choisir son camp.

Acte III : déferlante sur Google et TripAdvisor

Au bout de quelques jours, l’affaire passe la Manche et l’Atlantique. La réaction des anglo-saxons n’est pas plus tendre avec le restaurant. Pour Kadhim Shubber (journaliste anglais indépendant ayant publié un article sur le sujet), la blogueuse a « été punie pour avoir été populaire ». Il observe : « si vous faites une recherche Google concernant ce restaurant, tout ce que vous trouverez est un torrent d’avis négatifs. Cette affaire s’est retourné contre l’établissement ».
Effectivement, la plupart des commentaires Google sont assassins, bien que les internautes admettent ne pas avoir mis un pied dans l’établissement. Le phénomène a été le même sur TripAdvisor, à la différence que les modérateurs sont passés par là. Tous les avis postérieurs au début de l’affaire ont été supprimés. Une peine que ne s’est pas donnée Google. Caroline Doudet est dubitative, et déplore la situation : « on est actuellement dans le lynchage pur et simpleJe soupçonne Google d’être un peu trop laxiste. Avec l’histoire du droit à l’oubli, Google sent qu’il vaut mieux ne pas contrarier les défenseurs de la liberté d’expression. ».

La blogueuse confesse avoir été maladroite dans son titre et affirme avoir été dépassée par les événements. La propriétaire du restaurant affirme quant à elle trouver de nombreux soutiens : « beaucoup de gens en ont marre d’internet et apprécient mon restaurant. Sauf qu’ils ne vont pas l’écrire sur des sites ». 

À lire aussi : 

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Raphaël Grably