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Brevet : comment Google essaye de privatiser une technologie du domaine public

Le géant informatique a déposé un brevet sur une technique de compression d’images et de vidéos. Le problème, c’est qu’elle a été créée par un universitaire polonais qui avait tout publié de manière ouverte.  

Google s’est-il approprié le travail d’un chercheur ? C’est ce que laisse entendre le Dr Jaroslaw Duda. Ce scientifique polonais, docteur en physique théorique et en informatique, est l’auteur d’une technique de codage révolutionnaire, l’Asymmetric Numeral System (ANS), particulièrement utile pour la compression de vidéos et d’images.

Créée entre 2006 et 2013, ANS fait partie de la famille des techniques de codage entropique. Avant elle, on ne comptait essentiellement que deux méthodes : le codage Huffman, qui était rapide mais peu efficace, et le codage arithmétique, efficace mais peu rapide. ANS propose le meilleur des deux mondes, à savoir rapidité et efficacité. Les géants de la high-tech vont donc vite l’adopter. La technique est actuellement utilisée dans plus d’une douzaine de moteurs de compression, dont Facebook Zstandard, Apple LZFSE ou Google Draco 3D.

Le chercheur porte plainte

Partisan des technologies ouvertes, Dr Jaroslaw Duda a publié toutes ses recherches dans le domaine public. On peut imaginer sa colère quand il s’est aperçu que Google avait déposé en douce un brevet pour l’ANS aux Etats-Unis et dans plus d’une centaine d’autres pays. D’autant plus qu’il collaborait depuis plusieurs années de manière informelle avec Google sur l’intégration d’ANS dans leurs propres moteurs de compression ! Dans une lettre  officielle envoyée à l’office des brevets américain, le docteur estime que le brevet de Google n’apporte rien de nouveau dans ce domaine et que les prétendues innovations proviennent en réalité de lui.

En outre, ce brevet serait dangereux. Il représenterait, en raison de sa formulation générale, « un risque légal pour les moteurs existants de compression d’image basés sur ANS et pour les autres acteurs qui souhaitent utiliser ANS dans de futurs moteurs de compression d’image et de vidéos ». Il précise également que Google « ne m’a pas consulté pour ce brevet, ne m’a pas informé de son dépôt et ne m’a pas mentionné comme co-auteur, ce qui pose de sérieux problèmes éthiques au regard de cette tentative injustifiée de monopolisation ».

Cette « folie des brevets ridicules »

Avant d’envoyer sa lettre, le chercheur a tenté de trouver une solution à l’amiable. Il a livré son désaccord dans le groupe de discussion Google auquel il participait jusque-là en donnant des conseils d’implémentation sur ANS. Il a exhorté Google d’arrêter cette « folie des brevets ridicules » pour continuer à réfléchir conjointement à des problématiques pouvant déboucher sur un vrai brevet. Mais ses messages sont restés sans réponse. Google fait le mort depuis le mois de février. « Il y a eu un moment où ils m’ont fait miroiter une collaboration formelle avec mon Université, ce qui m’aurait permis de mettre sur pied une équipe, mais après ça été silence radio… probablement en raison de ce dépôt de brevet. Actuellement, Google ne répond pas. Sans doute sont-ils en train de réécrire le brevet, pour montrer leur détermination à obtenir ce monopole », explique le chercheur, interrogé par Bleeping Computer.  

Google n’est pas le premier à essayer de faire main basse sur la technologie ANS. La société StoreLeap a également déposé un brevet pour ANS. Le chercheur a réussi à le bloquer au Royaume-Uni. Cette-fois, la demande est sur le point de réussir aux Etats-Unis.

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Gilbert KALLENBORN