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Après une période de rémission, Novell de nouveau dans la tourmente

Le recul de Netware, produit phare de Novell, n’est pas compensé par les services d’annuaire et de gestion de contenu. Le cours de l’action – au plus bas – attise les rumeurs de rachat.

Eric Schmidt, le patron de Novell depuis 1997, est-il sur un siège éjectable ? Depuis mai, l’action flirte avec la dizaine de dollars, soit une chute de 65 % depuis le début de l’année. Rappelons qu’en 1996 son prédécesseur, Bob Frankenberg, successeur de Ray Norda, avait été remercié par les actionnaires alors que l’action était à 14 dollars. Pour faire face à cette baisse, Novell annonce neuf cents licenciements (16 % de ses effectifs) et la cession d’actifs – entre 40 et 50 millions de dollars. La société espère ainsi réduire de 25 millions de dollars les dépenses de fonctionnement au premier trimestre 2001 (fin 2000 en année calendaire).
Une situation consécutive aux mauvais résultats des deuxième et troisième trimestres 2000, qui tranchent avec une excellente année 1999. Celle-ci avait pu faire croire au renouveau de l’éditeur de Provo. “L’année 1999 a été très bonne. Notamment avec le phénomène an 2000, qui a accéléré le mouvement de renouvellement de Netware. Novell s’est laissé griser”, explique Eric Soares, le nouveau directeur général de Novell France.

La baisse des ventes touche tous les marchés

Le réveil a été brutal. En mai 2000, le chiffre d’affaires trimestriel décroche, tout comme les bénéfices. Au mois d’août, Eric Schmidt annonce une nouvelle chute des bénéfices, encore plus sévère. Au chapitre des explications, le PDG de Novell met en avant l’arrivée de Windows 2000 et la montée en puissance de Linux, qui ont mobilisé les revendeurs. Il bat également sa coulpe en avouant que la sortie de nombreux nouveaux produits et l’attaque de nouveaux marchés ont également perturbé ces pauvres distributeurs, qui ne savaient plus où donner de la tête. Il affirme aussi que Windows 2000 ne mord pas sur les parts de Netware, tout en avouant un déclin de 32 % du système d’exploitation. Enfin, la baisse des ventes touche tous les marchés, plus brutale toutefois en Europe qu’ailleurs (- 20 % au deuxième trimestre et – 30 % au troisième). Bref, pas de cause nettement identifiée de cette érosion des résultats ; plutôt une sorte de lassitude du marché à l’égard de Novell. Et Eric Schmidt de prévenir : “Il nous faut neuf mois pour redresser la situation.”


“Dans le secteur de l’e-business, sur lequel Novell se place désormais, les cycles de décision sont beaucoup plus longs, avance le directeur général de Novell France. Tous les grands projets engagés autour de l’annuaire e-directory ne verront leurs conclusions que beaucoup plus tard. En outre, les recettes ne proviennent pas des quelques dollars que coûte la licence de l’annuaire NDS, mais des services associés au déploiement de ces projets, comme l’audit, le conseil et la formation.”

Les produits traditionnels font bouillir la marmite

Et c’est bien là le drame : Novell fonde désormais son avenir sur l’annuaire NDS et ses produits de gestion de contenu (Content Services, notamment avec son système de cache ICS). Mais ce sont les Net Manager Services, tels Netware et les produits traditionnels comme Border Manager (gestion de la frontière avec internet) ou Groupwise (logiciel de groupware), qui font encore bouillir la marmite : de 60 à 70 % du chiffre d’affaires. Pas moyen de tirer un trait sur Netware. A telle enseigne qu’il a déjà annoncé qu’un Netware 6 verrait le jour.
Ce grand écart permanent entre les intentions et la réalité du marché laisse perplexe quant à l’équilibre de l’édifice. Un peu comme si, tout à coup, Cisco décidait de ne plus faire du routage son fonds de commerce et que l’avenir était dans la conception de sites marchands.
Pour sortir de l’impasse, Novell annonce des réductions d’effectif, des cessions d’actifs, et des restructurations à tour de bras. Mais cela tient surtout de la mesure d’urgence, du replâtrage. La solution à long terme consisterait, comme pour nombre de sociétés mal en point, à être racheté. Régulièrement, renaît la rumeur d’une acquisition par IBM : les relations avec Big Blue sont en effet fort anciennes, et elles ont même été assez proches au début des années quatre-vingt-dix. Mais les souvenirs ne commandent pas les affaires, et le mariage ne s’est jamais réalisé. Pourquoi aurait-il plus de chances cette année ? D’autant que les synergies entre les deux sociétés sont moins évidentes que jamais (voir l’avis de l’expert).
En tout cas, les candidats au rachat ne se bousculent pas au portillon. Il est vrai qu’aujourd’hui Novell fait peur : un gisement technologique immense, dans lequel on a pioché un peu partout. Résultat, une vaste gamme de produits un peu éclectiques, dans laquelle l’éditeur essaie de mettre un peu d’ordre à coup d’architecture savante : Denim (Directory-Enabled Net Infrastructure Model). Combien se sentent capables d’avaler un tel morceau ? Bien peu. Outre celui d’IBM, d’autres noms circulent, comme celui de Red Hat. Son concurrent, Caldera, ayant racheté l’activité Unixware de SCO, il se doit d’acquérir lui aussi, estiment certains, une société capable de le renforcer – notamment dans les services. Argument spécieux dans la mesure où les techniciens de Novell sont surtout spécialisés… dans Netware, et sans doute de peu d’aide pour Linux. D’autres évoquent plutôt Computer Associated (CA).

Reste à scinder la société en plusieurs entités

Pour rendre le morceau plus digeste, il faudrait tailler dans les activités, comme Bob Frankenberg l’a fait à son arrivée. Sans résultat durable, il est vrai. Par exemple, est-il utile de garder Groupwise, qui perd du terrain face à Lotus et Exchange tant en termes de parts de marché que d’avancée vers la gestion de la connaissance (knowledge management) ? “Ce n’est pas à l’ordre du jour, rétorque ric Soares. Nous avons treize millions de clients satisfaits, que nous ne pouvons abandonner. En outre, la gestion de la connaissance dans l’entreprise tient de l’usine à gaz, et les utilisateurs veulent des réponses simples et immédiates. Dans 90 % des cas, Groupwise répond à leurs besoins.” Soit ! Mais alors, pourquoi ces fameux utilisateurs ne se jettent-ils pas dessus ?
Reste la solution de scinder la société en plusieurs entités, chacune centrée sur une activité, et de laisser à chacune sa chance. “La capitalisation boursière totale de Novell ne reflète pas la valeur potentielle de l’entreprise : les activités traditionnelles pèsent sur celles en plein essor, comme les services d’annuaire ou de gestion de contenu”, s’insurge le directeur général de Novell France. Mais c’est sans aucun doute la piste la plus sérieuse. D’autres industriels y sont déjà passés, comme Lucent, 3Com, ou Cabletron, qui a créé quatre nouvelles sociétés indépendantes. Maintenant, le tout est de savoir comment se fera le découpage.
En 1998-1999, on avait cru que Novell pouvait rebondir après la terrible épreuve des années 1994 à 1997. La nouvelle politique orientée autour de l’annuaire de l’internet menée par Eric Schmidt semblait donner de l’air à une société menacée d’asphyxie. L’embellie n’aura duré qu’un an, et la voici de nouveau confrontée aux pires difficultés. Avec, hélas en vue, une issue fatale.

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Jean-Pierre Soulès