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Zéro papier, le retour

La dématérialisation du courrier entrant, ça fonctionne et ça rapporte. Le fantasme laisse place à la réalité, enfin. Les outils sont en gros progrès, leurs emplois plus réalistes. Témoignages chiffrés
de trois pionniers.

En vingt ans, le travail sur écran est devenu la norme au bureau. Et pourtant, jamais les services du courrier n’ont autant reçu de papier. Factures, bons de commande, règlements, les piles se forment au rythme de mille à dix mille
documents par jour. Le paradoxe est frappant : le courrier papier est devenu le talon d’Achille du système d’information. Un maillon faible qui doit être ‘ dématérialisé ‘ (c’est-à-dire dissocié de
son support physique) afin de gagner en efficacité de traitement.Le gisement de productivité est gigantesque. ‘ Aux Etats-Unis, observe Daniel Vaniche, directeur du développement de l’éditeur SWT, l’idée est en train de s’imposer dans le courrier :
ce qui coûte cher, c’est ce qui est fait à la main. Les outils traditionnels de LAD (lecture automatique de documents) et de RAD (reconnaissance) sont remplacés par des systèmes de RID (reconnaissance intelligente) ?” internes ou
sous-traités ?” avec un nouveau but : traiter de façon automatique la totalité du courrier entrant. ‘
Certaines très grandes entreprises françaises emblématiques, généralement des compagnies d’assurances ou des grandes enseignes comme Axa, GMF ou Casino ont franchi le pas. D’autres pionniers, moins connus mais tout aussi pragmatiques,
sont déjà bien avancés sur cette voie. Trois d’entre eux nous ont fait part de leur expérience, chiffres en main. Impressionnant !

Il ne s’agit plus seulement de lire

Premier pionnier : Bernard Fournié, directeur des projets et moyens techniques de Pro-BTP.Depuis fin 2002, cet organisme français du secteur prévoyance/santé du BTP (trois mille sept cents salariés et cinq milliards d’euros collectés par an) distribue numériquement le courrier reçu sur onze sites différents. Il traite plus
de trois cent mille formulaires par trimestre en LAD et se prépare à passer à la vitesse supérieure en indexant automatiquement des documents hétérogènes avec un nouveau système de RID. Le changement va au-delà du sigle. Il ne s’agit plus seulement
de lire un document, mais bien d’identifier et de trier, automatiquement, tous les courriers entrants, quel que soit leur point d’entrée physique, et de les router sous forme numérique vers la personne ou le service adéquat.C’est vers ce stade ultime de la dématérialisation que tend également France Loisirs, second défricheur.Christophe Flahaut, directeur informatique et responsable de la numérisation de Socprest ?” qui assure le traitement du courrier du grand libraire ?” explique que son entreprise reçoit en moyenne cinq mille bons
de commande par jour et traite déjà automatiquement près de 65 % du courrier entrant. Les enveloppes réponses sont triées mécaniquement par nature, grâce à la lecture d’un code-barres qui en
‘ pressent ‘ la typologie. Ce système lit et identifie a priori le contenu des missives, les enveloppes manuscrites étant écartées et traitées manuellement. La seconde étape est semi-automatique :
les plis sont ouverts par une machine, mais les documents sont extraits et triés à la main. La troisième opération consiste en une lecture plus classique de type LAD et ROC (reconnaissance optique de caractères), par lots et selon les types de
documents triés manuellement.Le troisième pionnier, Mondial Assistance, est plus sélectif.La quasi totalité du courrier reçu étant composée de factures ou d’états financiers, la polyvalence y est moins nécessaire. Au sein du groupe, trois sociétés possèdent chacune leur service comptable : Mondial Assistance, France
Secours et Elvia. Ensemble, ces trois entités reçoivent chaque année plus de sept cent mille factures. Pour Jacques Rousseau, président de SSC (Société de services communs, qui regroupe les trois services de comptabilité du groupe), les résultats
sont impressionnants : dématérialisation de plus de cinq mille documents à l’heure, extraction des informations au rythme de trois mille factures à l’heure, durée de validation limitée à 1 seconde par document et taux de reconnaissance
supérieur à 99 % pour le dactylographié et à 98 % pour le manuscrit. On est très loin des approximations des systèmes d’il y a quelques années !

L’homme fait bien plus d’erreurs

Mais il y a un autre atout, bien plus important : non seulement la machine va vite, mais elle est fiable. Car, hélas pour notre fierté, l’?”il humain fait bien plus d’erreurs de lecture ou de reconnaissance de texte (de l’ordre
de 20 %) qu’une machine (moins de 1 %). Dès lors, la RAD, dont le champ d’utilisation est plus restreint que la LAD (elle reconnaît le type de document, puis y recherche une zone, un identifiant, un mot clé, etc.) ?” mais sur un
périmètre documentaire infiniment plus important ?”, répond de manière adéquate à la problématique de la traçabilité du courrier (qui écrit ?, pour-quoi ?). ‘ L’objectif visé est de limiter le tri à sa plus simple
expression afin de se concentrer sur le raccrochement du courrier à un compte (entreprise ou particulier) et sur la détection de la nature de la demande ‘
, explique Bernard Fournié. En cible, le projet devra permettre le
traitement dématérialisé du courrier sur écran.

Quantité rime avec qualité

‘ En termes de productivité, calcule Christophe Flahaut (Socprest), c’est sans appel : le système est de trois à dix fois plus rapide avec des données de bien meilleure qualité. On peut
doubler ou tripler les sécurités en lisant plusieurs fois un chiffre, en contrôlant diversement la validité d’un code client dans le fichier central ou en vérifiant la cohérence d’une commande. ‘
Pour Jacques Rousseau (SSC),
l’objectif est clair : ‘ Si la traçabilité des flux comptables est notre première motivation, la seconde est de traiter nos factures avec une meilleure productivité. ‘

Tout pour améliorer la relation client

La qualité est essentielle parce que la dématérialisation du courrier s’inscrit naturellement dans une démarche de relation avec des partenaires ou des client. Ainsi, à l’origine du projet de Pro-BTP, mi-2002, il y a la volonté de
mettre en place un ‘ point d’entrée ‘ afin de renforcer les échanges avec ses adhérents (entreprises et particuliers). Pour simplifier une relation multipolaire, l’organisme décide de confier à ses neuf
directions régionales (DR) la réception des appels téléphoniques et du courrier, qui sera traité dans trois centres de gestion. ‘ Dans ces conditions, estime Bernard Fournié, il était indispensable de
pouvoir tracer et répartir l’ensemble des courriers entrants afin de partager rapidement l’information avec l’établissement de gestion assurant les traitements, voire avec la plate-forme téléphonique qui reçoit l’appel d’un adhérent au nom de la
DR. ‘
Le dispositif mis en place numérise, capture, ‘ raccroche ‘ (indexe) les courriers, reconnaît les documents et les répartit vers les services et lieux de traitement via un système Geide
(gestion électronique des documents).Un triple objectif a été atteint. D’abord, être en mesure de répondre aux adhérents sur la prise en compte de leurs demandes : ‘ Mon courrier a-t-il été reçu ? Quand sera-t-il
traité ? ‘
. Ensuite, assurer le partage de l’information dans l’entreprise. Enfin, extraire automatiquement les informations de certains documents récurrents.

Recevoir, scanner et traiter sur un seul plateau

Quel impact sur l’organisation ? Jacques Rousseau (SSC) raconte : ‘ Nous avons remis à plat toutes nos procédures pour optimiser les temps de manipulation et de traitement : sept cent mille factures
par an devront circuler vers nos trois sociétés et, à terme, un suivi d’état pourra être partagé avec nos fournisseurs via un accès internet. ‘
Du coup l’ensemble des procédures doit être déporté vers l’amont des tâches,
autour du papier. Le service courrier a été organisé de façon à traiter et scanner le courrier dès son arrivée et à l’archiver immédiatement afin de n’avoir plus que des données numériques à traiter. La responsabilité de superviser le lancement du
projet a été confiée à une équipe informatique dédiée, issue de la holding de Mondial Assistance Groupe. À terme, on embauchera des informaticiens : ‘ Un chef de projet/organisateur plutôt, pour poursuivre et maintenir le
projet. ‘
Chez Socprest, c’est aussi un même plateau qui s’occupe de la réception courrier, de la numérisation et du vidéocodage. ‘ Les chèques, par exemple, sont numérisés et consolidés quotidiennement dans un fichier
central,
explique Christophe Flahaut. Les comparaisons comptables, le rapprochement avec la facture, le montant du règlement, tout est contrôlé automatiquement. ‘ Pour aller plus loin, il vient de mettre
en place une solution EIC (Echange image chèque) remplaçant le traditionnel postmarquage.Chez Pro-BTP, la mise en ?”uvre est classique : maquette, prototype, déploiement et formation. Car l’impact humain est primordial. ‘ À la base, rappelle Christophe Flahaut, toute
opératrice doit savoir saisir une commande en manuel puisque un jour ou l’autre, elle aura à le faire en cas de problème. ‘
En mode automatique, quand le système a un doute, caractère illisible ou montant absent, il fait une
proposition pour remplacer la donnée qui manque.

Le bon cocktail : technique, management et réingénierie

Le rôle du DSI est donc primordial dans cette affaire. La dématérialisation du courrier entrant ne peut se prévoir sans y inclure une stratégie de Geide. À ce titre, c’est un projet de la DSI qui associe autant la direction générale
que les directeurs fonctionnels.La direction Méthodes Organisation Projets de Pro-BTP, en charge notamment de la maîtrise d’ouvrage des systèmes d’information, en fait la preuve : elle a conduit l’étude de faisabilité avec la collaboration
de deux directions régionales et de deux centres de gestion. Elle assure actuellement le pilotage du projet. ‘ Quant à la DSI, maître d’?”uvre du projet, elle est mobilisée dans l’intégration de la solution dans
l’architecture du système d’information ‘,
insiste Bernard Fournié.Cette expérience, il la décompose en trois aspects. Technique d’abord, ‘ car la communication entre différents systèmes
nécessite un processus itératif important et le calage technique des
dispositifs LAD/RAD prend quelques mois au-delà de l’installation du produit ‘.
Organisationnel et managérial ensuite : ‘ La mise en ?”uvre d’une telle solution s’accompagne d’une transformation
du métier du personnel, avec un déport de la valeur ajoutée sur l’acte de vidéocodage (traitement des rejets). ‘
Réingénierie enfin, puisque qu’un tel projet est l’occasion d’une remise à plat des processus, des circuits et
des documents. L’outil va permettre, en production, une analyse qualitative des courriers reçus et assurer des marges de progression dans l’amélioration du traitement des retours de courrier, et donc du suivi commercial. Ou comment transformer la
vieille gestion de la paperasse en socle d’une relation client moderne.

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Hubert d'Erceville