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Retour vers le futur, nous avons essayé le tout IPv6

L’IPv6 a eu sa journée mondiale symbolique. Nous sommes allés voir de plus près et avons essayé de faire le grand saut dans le tout IPv6, un pas de géant dans ce qui sera la base du Net de demain. Retour d’expérience.

Le 6 juin 2012, vous ne vous en êtes peut-être pas rendu compte, mais la face d’Internet a symboliquement changé. C’était la date retenue par l’Internet Society (ISOC) pour marquer le lancement de la sixième version du protocole IP, autrement dit de l’IPv6.

Si vous ne vous en êtes pas rendu compte, c’est normal et tant mieux. Pour ceux qui ne se sont jamais préoccupé d’IP, ça devrait continuer ! Et pour ceux qui s’en occupent, ça devrait être plus simple parce qu’IPv6 a été conçu avec des mécanismes d’auto-configuration.

Grand changement en coulisse

Dès lors pourquoi cette opération, cette communication, ce battage autour de cette nouvelle itération du protocole IP ? Ce n’est pas que de la technique. Pour la chose publique qu’est Internet, l’enjeu est politique. Les utilisateurs doivent savoir le rôle qu’ils peuvent jouer dans l’adoption de IPv6, dont dépend le développement futur de la Toile, avec l’Internet des objets, le M2M (Machine to machine), notamment (lire plus loin dans ce dossier, « L’imagination libérée », nos deux questions à Mohsen Souissi, responsable recherche et développement à l’Afnic).


Page d’accueil du site de l’opération de lancement de l’IPv6

IPv6, une question de motivation ?

Ensuite, parce que tous les acteurs d’Internet, pour diverses raisons, bonnes et souvent mauvaises, n’ont pas le même empressement à passer à l’IPv6. Car la pénurie d’adresses IPv4 ne les frappe pas tous ni toutes les régions du monde de façon uniforme. Certains sont largement pourvus en adresses IPv4 ou sont trop occupés à faire prospérer un modèle établi pour se rendre compte que leur fond de commerce pourrait bien connaître un sérieux coup d’arrêt en cas de pénurie lourde…

Conséquence, alors que l’IPv6 est progressivement mis en œuvre dans le cœur des réseaux d’opérateurs, la mise à niveau du lien vers l’abonné pourrait durer encore des années. Les causes ? Le nombre et le coût des équipements d’accès. De fait, alors que la dernière plage d’adresses IPv4 a été attribuée à un registre régional en février 2011, le trafic IPv6 reste très faible comparé à IPv4 et c’est inquiétant, comme l’explique très clairement ce dossier de l’Afnic [PDF].

Fidèles de la première heure

Parmi les promoteurs les plus actifs de IPv6, on trouve les scientifiques, concepteurs et utilisateurs de la première heure. Ainsi, IPv6 est déployé depuis 1996 dans Renater, le Réseau national de télécommunications pour la technologie, l’enseignement et la recherche. Autre catégorie en pointe, où l’on retrouve des transfuges de la première, les acteurs poursuivant une stratégie disruptive d’innovation rapide. Ceux-là s’inquiètent que le retard dans l’adoption d’IPv6 rende l’accès à Internet encore moins égalitaire. C’est le cas Geoff Huston, chief scientist au sein de l’APNIC, le registre de la région Asie et Pacifique, qui s’inquiétait déjà en novembre 2010 des risques pris à trop attendre.

Bref, le 6 juin dernier, jour de débarquement s’il en est, devait inciter les fournisseurs d’accès et de services Internet, les constructeurs de matériel et les éditeurs de logiciels à penser « IPv6 d’abord » : l’activer par défaut, s’attaquer aux bugs, etc. Nous avons donc pris ce slogan au mot et sommes même allés un peu plus loin en passant au tout IPv6. Voici notre retour d’expérience.

Pris au jeu, nous avons décidé de nous mettre dans la situation d’un internaute dont l’accès au réseau serait 100 % IPv6.

Préparatifs

Equipé d’un bon manuel d’utilisation, de deux machines (Windows 7 et Linux Debian), d’une réserve d’eau, de nourriture lyophilisée ainsi que d’un matelas de fortune, nous sommes partis aux premières lueurs du 6 juin sur la route d’IPv6…

Heure H

9h00. Pour chaque machine, nous avons activé IPv6 et coupé l’accès IPv4. En temps normal, sur un réseau où IPv6 est activé, une interface possède deux adresses : une v6 et une v4. Le système tente d’abord avec IPv6. Si le site demandé n’a pas d’adresse IPv6 associée, le DNS (système de résolution des noms) renvoie l’adresse IPv4.
En toute logique, sur notre système amputé de IPv4, chaque site ou service n’ayant pas encore adopté IPv6 devrait nous retourner un message d’erreur.

9h30. Après quelques vérifications de connexion physique – c’est bon le câble, là ? – nous nous rendions à l’évidence. Il n’y a pas eu de miracle. Windows Update échouait à télécharger les paquets. Pas facile pour mettre à jour sa machine contre les éventuels dangers du Net…

10h00. Après quelques essais, nous ne pouvions que constater que la plupart des URL Web aboutissaient à un échec…


Etre connecté en IPv6 ne fait pas aller plus vite. En revanche, notez que la connexion IPv4 est désactivée.

10h13. Joie ! Quelques services répondaient présents. Parmi eux, Google, Facebook, Bing.com (mais pas Bing.fr, ni Bing images), Wikipedia, des sites d’universités, le portail Orange.fr et quelques autres sites pour geeks passés à IPv6 dès 2003, comme Nerim.



10h45. Le désastre continuait avec nos tentatives de trouver un serveur FTP, sauf sur Free, NetBSD et quelques distributions Linux.

11h16. Un peu démoralisé par l’échec de BitTorrent à partir de www.thepiratebay.se, nous découvrons que des chercheurs ont réalisé cette expérience beaucoup plus sérieusement. Ils ont vécu heureux plus d’un an dans un réseau 100 % IPv6. Avec un NAT64 (traduction d’adresses v4/v6), tous les sites IPv4 étaient accessibles, sauf ceux qui utilisaient des adresses littérales dans les URL, par exemple : 192.0.2.78/monblogdeclaquettes. Et c’est bien fait, car c’est, de toutes façons, une mauvaise pratique.

12h30. Après le gâteau de semoule et le café, on entreprend de configurer un serveur NAT64 sur Linux : Tayga.

17h15. Sans documentation sérieuse sur Tayga, empêtré dans la configuration, on commence à craindre de finir 2012 sans accès complet à internet. Histoire de souffler, on réactive IPv4 et on retrouve le meilleur de deux époques : IPv4 qui a vu la naissance du Net et son épanouissement et IPv6 pour la transition en douceur vers un Internet encore à inventer.

Deux questions à Mohsen Souissi, responsable recherche et développement à l’Afnic, le registre des noms de domaine en .fr, et membre actif de l’association G6 pour le déploiement et la promotion d’IPv6.

01net : Existe-t-il une pénurie d’adresses IPv4 ?
Mohsen Souissi : depuis le 3 février 2011, l’IANA (l’organisme mondial de gestion des adresses IP) n’a plus de stock IPv4. Les RIR (registres régionaux) se sont mis d’accord pour commencer un rationnement strict lorsqu’ils entament leur dernier /8 (bloc de 16 millions environ), ce qui est arrivé à l’Apnic (registre régional Asie-Pacifique) le 15 avril 2011. Le stock d’adresses détenues par les registres locaux (opérateurs, FAI) est une inconnue. Cette raréfaction progressive frappe d’abord les nouveaux entrants. Il est significatif que les réseaux LTE se construisent avec IPv6. Ensuite, elle touche ceux qui veulent étendre leurs opérations, à l’image de Microsoft rachetant 666 000 adresses à Nortel.
Ce seul élément de pénurie risque de ne pas convaincre une bonne partie des acteurs de déployer IPv6 dans les meilleurs délais. Ceux-là, notamment en Europe, disposent d’un parc IPv4 existant plutôt confortable, et ne sont pas touchés par l’épuisement d’IPv4 à court terme. Mais retarder encore l’adoption d’IPv6 menacera dans les prochaines années le développement et la viabilité de leurs services sur Internet. En d’autres termes, je préfère dire que IPv6 est nécessaire pour se projeter dans l’avenir et qu’il faut le maîtriser, sous peine de perdre sa capacité à offrir des services réseau.

Qu’est-ce que IPv6 rend possible ?
Avec IPv4, la rareté des adresses publiques crée une dissymétrie entre les producteurs d’information qui en sont pourvus et les autres, les consommateurs. Avec IPv6, chaque machine peut être client et serveur.
Cette capillarité rétablit un des principes fondateurs : la communication de bout en bout dans un réseau simple, où l’intelligence se trouve aux extrémités et non au cœur. IPv6 rend ainsi possible l’innovation sur tous les nœuds du réseau. Du moins, à la condition que le réseau soit neutre, car autrement les gros fournisseurs de contenus seraient favorisés.
L’abondance d’adresses IPv6 rend possible l’ubiquitous computing, le M2M (Machine to machine) [la mise en réseau de nombreux, petits appareils, à la maison, portatifs, intégrés aux véhicules, aux vêtements, NDLR]. On peut envisager les réseaux 4G, les smart grids [compteurs et appareils électriques pour la gestion des consommations, NDLR], des réseaux IP embarqués dans les voitures [pour les loisirs à bord ou le diagnostic à distance, NDLR] ou des réseaux de capteurs [météo, GPS, sismiques, NDLR] distribués à l’échelle de la planète. L’imagination de l’avenir est libérée.


De nombreux sites ne sont pas accessibles en IPv6 pur, soit que le DNS ou le serveur lui-même n’est pas en IPv6.

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Philippe Roure