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Recrutement informatique : entre gel et pénurie d’experts

Le coup de frein sur les embauches n’empêche pas une certaine tension sur les profils recherchés. Les cabinets de recrutement cultivent l’optimisme, misant sur les grands projets e-business.

Le paradoxe et l’attentisme caractérisent l’état du marché de l’emploi dans le secteur des hautes technologies. D’un côté, les taux d’ intercontrats augmentent, les plans de recrutement se bloquent, les entreprises se recentrent sur les projets directement rentables, pendant que d’autres projets tels que l’euro s’achèvent.De l’autre, jamais autant de grands contrats informatiques n’ont été signés qu’au cours de ces dix-huit derniers mois. Avec une demande soutenue d’experts et un turnover en baisse. Et les dépenses informatiques – du moins en Europe – devraient croître ces prochaines années avec l’explosion des grandes missions e-business.Mais les vagues de licenciements 2001 dans le monde high-tech inquiètent. Au printemps dernier, l’heure était aux vastes plans sociaux , principalement outre-Atlantique et en Europe du Nord. Le premier secteur touché a été celui des télécommunications, suivi de l’informatique, de l’électronique et, depuis peu, le secteur des services.La France, jusqu’ici épargnée par les décrues, commence à supprimer des postes. Mais les pertes d’emplois massives actuelles dans presque tous les secteurs de l’industrie aux Etats-Unis risquent de modifier les comportements des consommateurs – au moins ces deux prochaines années.

Priorité au retour sur investissement

Ce qui a poussé la plupart des analystes à revoir à la baisse leurs prévisions de croissance des investissements informatiques. Constructeurs, éditeurs et entreprises utilisatrices n’ont dorénavant qu’une devise : réduire les coûts et maîtriser leur retour sur investissement. Ce qui donne un paysage de l’emploi informatique quelque peu troublé.“On observe aujourd’hui un gel généralisé des recrutements, et tous les profils sont touchés. Certains, même, s’interdisent de recruter les compétences manquantes et privilégient les réaffectations en interne”, explique Pierre Aussure, DG de TMP Worldwide Executive Search.Chez les éditeurs, les embauches sont gelées. Dans le conseil, “même si la décrue n’a apparemment pas touché la France, on parle de licenciements à l’étranger”, signale Bernard Riquier, PDG du cabinet du même nom. Bien que le conseil en infrastructures réseaux nécessaire aux entreprises semble épargné. Chez les utilisateurs, les embauches, qui se poursuivent actuellement, devraient ralentir en 2002.Côté syndicat, c’est l’inquiétude. Le Betor pub CFDT ne voit pas de relance pour le budget 2002 de l’Etat : “Aucune mesure de relance sectorielle n’est prévue, ne serait-ce que vers le domaine internet haut débit. Cela aurait redonné des possibilités d’emplois et aidé à passer cette période d’incertitude où ni les particuliers ni les entreprises ne vont investir dans ces domaines”.

C’est encore le moment de se porter candidat

Néanmoins, des sociétés poursuivent imperturbablement leurs recrutements. C’est donc encore le moment pour ceux qui ne sont pas sûrs de l’avenir de leur entreprise de se porter candidats. “Sans trop attendre”, insiste Yves Béraud, secrétaire général du Betor pub CFDT. Autre indice inquiétant : la nette diminution d’activité dans le secteur de la publicité (que recouvre le syndicat Betor), toujours en avance sur les services informatiques. Le décalage est généralement de trois mois. C’est là aussi l’heure de la réduction des coûts (de 10%), et par conséquent de la charge salariale.Quant aux cabinets de recrutements, ils s’attendent à une année 2002 assez calme. “Nous recevons davantage de candidatures spontanées, et nous trouvons par conséquent davantage les profils recherchés”, estime Bernard Riquier. Un avis partagé par le cabinet Solic Carrières. “Force est de reconnaître que nous assistons à une baisse sensible (20 à 30%) de nos activités depuis le début de l’année”.Et depuis les attentats du 11 septembre, certaines grandes entreprises ont gelé leur plans de recrutement”, précise Nicolas Doucerain, directeur du cabinet. Avec un baromètre qui ne trompe pas : la hausse des taux d’intercontrats dans les SSII depuis le deuxième trimestre 2001, la baisse des embauches et la multiplication des candidatures spontanées (par deux depuis juin 2001). “Parallèlement, le marché de l’emploi se détend, souligne Nicolas Doucerain, car la demande est moins importante.”

Le retour des informaticiens purs et durs

Alors que les besoins en profils télécoms sont nettement à la baisse, d’autres profils bénéficient de la situation actuelle. “On assiste aux retours des profils informaticiens purs et durs. Ils séduisent les entreprises qui n’ont pas à les former, comme ce fut le cas lors des grandes embauches de scientifiques ou biologistes.” La demande reste cependant soutenue chez les éditeurs de SSII dans les domaines client-serveur et de l’applicatif et pour les consultants et chefs de projets”, soutient Richard Lecomte, DG de MRI WW France. Aussi, pour la SSII EDS, les consultants en sécurité informatique vont être très recherchés, compte tenu des nouvelles demandes en sécurité. Idem pour les postes d’experts, qu’il s’agisse des base de données, des système et réseaux, ou de chefs de projet dans un domaine particulier ou sur un PGI spécial.En revanche, l’avenir est plus sombre pour d’autres. Ainsi, les profils des start up ont-ils une faible employabilité. Richard Lecomte prévoit que “leur expérience récente sera difficile à monnayer et leur faible valeur ajoutée rendent leur retour à l’emploi délicat. D’autant qu’ils souhaitent généralement retravailler dans le même environnement “.

Une crise ne dépasse jamais deux ans

Alors, quand le marché de l’emploi redémarrera-t-il ? “L’histoire nous montre qu’une crise ne dépasse pas deux ans, observe Pierre Aussure. En France, cela fait déjà six mois. Au mieux, il reste trois mois à courber le dos. Au pire, dix-huit mois. En 2002, année de deux élections nationales, on peut craindre un certain attentisme jusqu’en mai. Traditionnellement, les annonces de recrutement comme de licenciements massifs se font plus discrètes durant les années d’élections.”Finalement, c’est aussi une affaire de psychologie. “C’est l’attentisme qui règne en maître. C’est un cercle vicieux. Plus on en parle, plus on alimente la psychose. L’économie n’est pas aussi bonne qu’en 2000, mais elle n’est pas mauvaise non plus. Les entreprises ont des besoins en termes d’emplois, mais tardent à les concrétiser. Il y a toujours des demandes d’experts techniques, notamment en électronique”, explique Colette Lucas, fondatrice d’Asymptotes Conseil. Autre témoin de la situation de l’emploi : le dernier salon Prosearch . “Il était étonnant de voir des annonceurs présents alors que leur plan d’embauche est gelé, comme Bouygues Telecom”, précise encore Bernard Riquier. Le monde des télécoms sinistré est aussi un secteur à géométrie variable. Si bien que Colt , Kaptech sont des sociétés qui se portent bien dans leur spécialité.Enfin, les firmes qui fusionnent réduisent leurs effectifs mais recrutent également. C’est le cas de Bull/Intégris, de Compaq racheté par HP qui embauchent pour les services. Pour Alain Lefort d’Al Partners, ce retournement de tendance aura au moins pour effet bénéfique de remettre le marché de l’emploi sur un mode de fonctionnement plus rationnel : “Il y a encore quelques mois, des entreprises embauchaient n’importe comment et certains candidats jouaient les divas.” Celui-ci note toutefois que le haut management est moins touché que le “middle management” (ingénieurs grands comptes, chefs produits). Un constat que confirme la dernière enquête de conjoncture de l’Apec (lire encadré).

Demande encore forte pour les ingénieurs grands systèmes

En tout cas, on assiste au grand retour des confirmés. Pour Evelyne Scherrer, consultante Apec auprès des SSII : “Ces sociétés s’apprêtent à recruter davantage des profils confirmés afin d’encadrer la vague massive des jeunes diplômés entrés sur le marché du travail ces dernières années. D’un ratio de quatre-vingts débutants pour vingt confirmés, on devrait passer à soixante confirmés pour quarante débutants. Une première expérience est demandée ou, à défaut, une formation informatique.” Dans le détail des profils, certaines spécialités s’en sortent mieux que d’autres.Le cabinet d’outplacement Sodie, qui accompagne actuellement des salariés de Lucent dans leur recherche d’emploi, si les postes télécoms, architecture réseaux, développeurs de logiciels temps réel ont été touchés, en revanche les ingénieurs radiofréquence sont très prisés, ainsi que les ingénieurs Asic”, précise André Bergugnath, consultant. La demande est aussi forte pour les informaticiens grands systèmes dans le domaine banque-assurance, selon Evelyne Scherrer, ou pour les commerciaux afin de “dénicher” de nouvelles affaires. Aussi la sécurité et le stockage/sauvegarde des données sont sans aucun doute deux secteurs porteurs dans le contexte actuel.

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Clarisse Burger, Xavier Biseul, Anne Françoise Marès