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Quand internet devient vecteur de dénigrement

Rumeurs, accusations ou parfois véritable campagne de diffamation, le net est un moyen efficace pour jeter le discrédit sur une marque. Afin de protéger leur image, les entreprises commencent à passer à l’offensive. De Danone à Lesieur, revue de détail.

Pauvre Ronald ! Quand il tape son nom de famille sur internet, le clown jaune et rouge de McDonald’s doit virer au vert. Lui qui rêve de se faire aimer du monde entier voit défiler près d’une dizaine de sites hostiles, rien qu’en version française. Sur la toile, on l’accuse de faire disparaître 25 hectares de forêt par heure, d’exploiter ses salariés, de faire fabriquer ses gadgets par des enfants chinois, de détruire la diversité des cultures culinaires, de massacrer les animaux, etc. Fermez le ban !En ce début de xxie siècle, internet s’impose comme un vecteur d’attaques ou de canulars pour les citoyens, consommateurs ou fantaisistes. Qui n’a pas reçu un jour dans sa boîte aux lettres électronique un message lui promettant un mobile Ericsson gratuit s’il renvoyait son adresse à une certaine Anna Swelund ? “Ce canular a circulé par milliers d’exemplaires à travers le monde. Nous recevions des mails de gens déçus de ne rien recevoir. Il a fallu mettre en place un système de réponse automatique pour les internautes puis publier un démenti sur notre site officiel”, rappelle Olivier Tarneaud, directeur marketing et communication chez Ericsson. Récemment, l’Américain Jonah Peretti a tenté par provocation de commander sur internet une paire de Nike personnalisée portant le mot ” Exploitation “. Sa commande lui ayant été refusée après un échange de mails avec le fabricant, il a dupliqué cette correspondance auprès de ses amis. Finalement, Jonah Peretti a eu droit à son quart d’heure de célébrité grâce au Wall Street Journal, Business Week et à la chaîne NBC, et ce au grand dam du ” censeur ” Nike. L’appât du gain peut justifier ces opérations de déstabilisation. Emulex, une société informatique cotée au Nasdaq, a vu son cours plonger en août 2000 de plus de 50 % après que Bloomberg a repris sur le net un faux communiqué fabriqué par un étudiant qui voulait réaliser une belle opération financière.Entre le silence assourdissant et le procès retentissant, les réponses des entreprises à ces attaques varient selon les circonstances. “Si l’on critique sur internet les performances de l’un de nos modèles, c’est délicat de réagir. En revanche, pour un problème de santé, nous serions peut-être amenés à le faire. Tout dépend du sérieux du site, de son audience et de la question soulevée”, résume Olivier Tarneaud. Soumis à de multiples accusations sur la toile, McDonald’s France applique la politique du ” no comment ” sur son site officiel et ne s’explique sur sa politique sociale et environnementale que dans les médias traditionnels. Les firmes empruntant cette voie du silence, sur le net prennent en compte sa diffusion limitée : démentir peut attirer l’attention sur des sites hostiles, dont l’audience ou la crédibilité sont faibles. ” Les médias classiques doivent relayer la communication négative présente sur le net pour que celle-ci fonctionne “, rappelle Jean-Pierre Beaudoin, directeur général du cabinet de relations publiques Information et Entreprise (I & E).

Webcams sur le site de la Cogema

En revanche, le site Cogema-La Hague constitue un modèle de réponse argumentée aux attaques. Avantage : on réfute point par point. Inconvénient : on crédibilise et on légitime l’adversaire. Les militants antinucléaires, en premier lieu Greenpeace, accusent la filière nucléaire de manquer de transparence. Affirmant sur son site qu’elle n’a rien à cacher, la Cogema tente de le prouver en donnant un aperçu vingt-quatre heures sur vingt-quatre de ses activités, grâce à des webcams disséminées dans l’usine. Greenpeace dénonce la radioactivité émanant d’une canalisation sous-marine ? La Cogema réplique en fournissant de nombreux détails sur le détartrage de ce tuyau…

Danone utilise les grands moyens

Mais que penser de la stratégie de Danone qui a intenté un procès contre les sites Jeboycottedanone.com et .net qui appelaient au boycott de la marque ? En se portant sur le terrain judiciaire, “Danone fait plus que fournir un énorme coup publicitaire au site : il donne le sentiment de ne pas supporter la contestation et d’utiliser des moyens disproportionnés pour faire taire la critique”, estime-t-on chez Ksiopa, une agence de communication de crise. “C’était prendre un marteau-pilon pour écraser une mouche. Mais nous devions défendre notre logo qui fait partie de notre capital de marque”, justifie Jean-René Buisson, directeur général en charge des ressources humaines du groupe agroalimentaire.Danone a gagné son procès en référé mais a probablement perdu sur le terrain de l’image. Sur l’entreprise pèse désormais le soupçon de vouloir censurer les détracteurs de sa politique sociale d’autant qu’elle poursuit ces deux sites pour dénigrement et contrefaçon. Dans l’attente du prochain jugement, on sait déjà que la guerre entre droit d’expression et de marque aura bien lieu…Dans ce véritable paysage de sables mouvants qu’est le web, les marques apprennent à défendre leur notoriété et la qualité de leur image. Leur stratégie consiste souvent à infiltrer le réseau, en retournant à leur avantage, toutes les possibilités technologiques des pages web. L’attaque frontale est prescrite, la ruse est recommandée. Parvenir à diffuser sa communication sans en avoir l’air devient presque un jeu d’enfant. Il y a les ” sites miroirs “, qui sont autant de portes d’entrée, sous la même enseigne, captant l’attention des internautes pour les renvoyer vers une adresse délivrant une information partisane. Les ” pots de miel ” sont autant de dispositifs visant à constituer des bases de données d’internautes. Sans oublier les ” chevaux de Troie ” ou les ” sites masqués “, qui apparaissent subitement pour défendre les entreprises confrontées à une crise…

La santé en tête

C’est probablement dans le domaine médical que les stratégies d’influence sont les plus avancées. La charte de la communication sur internet, qui est édictée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), impose des limitations sérieuses aux laboratoires. Comment dès lors répondre aux interrogations du patient, l’inciter à consulter son médecin pour qu’il lui prescrive un médicament, positionner le laboratoire comme l’expert d’une thérapie ? Par exemple en concevant des sites d’associations médicales, qui parlent de maladies sans que les noms de marques ou d’entreprises apparaissent de manière évidente. L’Adirs (Association pour le développement de l’information et de la recherche sur la sexualité) est financée par sept laboratoires au premier rang desquels Pfizer, le fabricant du Viagra. Grâce à l’aide de ces industriels, l’Adirs a pu s’offrir récemment une grande campagne de presse, qui renvoyait à un site internet très bien conçu.Par son financement, le laboratoire fait d’une pierre deux coups : il soutient un site, dont le contenu éditorial jouit d’une forte crédibilité, puisqu’il est contrôlé par le corps médical, garant de l’impartialité de l’information délivrée. Sachant que seulement 20 % des hommes osent en parler à leur médecin, selon l’Adirs, Pfizer peut attendre de ce travail de sensibilisation des retombées intéressantes sur les ventes de Viagra, même si la marque n’est que discrètement présente sur le site. ” Nous avons une convergence d’intérêt avec l’Adirs pour informer le public “, reconnaît-on chez Pfizer. On peut le croire, quand on sait que Pfizer détient à ce jour un quasi-monopole de fait sur les traitements à la fois efficaces et commodes des troubles de l’érection.Dans les secteurs non réglementés, le principal enjeu de ces stratégies d’influence est d’élargir le champ de communication à un univers cohérent avec l’activité et/ou la cible de l’entreprise. Lesieur, qui a un site éponyme axé sur ses huiles, a lancé en parallèle Nutrition-santé : lié au premier, animé et signé par la marque, il valorise le rôle des lipides dans l’alimentation. L’intérêt de ce double dispositif ? “Nous avons voulu développer un discours nutritionnel distinct, qui rejaillisse sur l’image de notre marque et facilite la recherche d’information. Quelqu’un qui s’intéresse à la nutrition ne pensera pas forcément à Lesieur. Mais en tapant ces mots clés, il apprendra que nous nous y intéressons”, explique Isabelle Rigaud, responsable de la communication, qui espère plus de 60 000 visiteurs cette année.Sur le même modèle, le lessivier américain Procter & Gamble a lancé le site Hygienefamily.com, consacré à l’hygiène personnelle et familiale. ” Le discours non-commercial de- vient plus crédible quand les marques s’abstiennent de faire du matraquage. C’est nécessaire pour fidéliser l’audience “, selon l’avis de David Dietrich, manager chez Premier Ré-flexe, agence spécialisée pour les 12-25 ans.La conséquence de cette évolution ? En se positionnant comme des fournisseurs d’informations en ligne, les entreprises cherchent à obtenir dans leur domaine la même crédibilité que les magazines spécialisés : c’est ainsi que les laboratoires donnent des conseils de santé à l’instar de Santé Magazine, que les firmes agroalimentaires développent des rubriques diététiques, qui n’ont rien à envier à celles de la presse féminine…

Publicité clandestine sur les forums

Qui plus est, les marques interviennent dans des sites indépendants positionnés sur des thèmes qui les intéressent. Plutôt que de s’exprimer directement, elles préfèrent mobiliser des experts qui s’expriment en leur faveur. Certaines courent le risque d’intervenir masquées, car un avis est d’autant plus crédible que la source semble indépendante. Le site Aufeminin.com se plaint, par exemple, des publicités clandestines que des fabricants de produits cosmétiques tentent d’insérer dans son forum Beauté. “Certaines interventions du type : “Est-ce que quelqu’un a essayé la marque X qui a l’air bien et ne coûte que X francs ? ” manque de naturel. Mais nous pouvons éliminer les messages douteux”, avertit le PDG du site, Anne-Sophie Pastel. À vouloir trop communiquer par le net, des fabricants risquent de mal communiquer.

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Frédéric Brillet