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Prestations informatiques : les directions des achats dictent leur loi

Mandatés par leurs directions générales, les services achats normalisent les processus d’achat de prestations. Les SSII reconnaissent le bien-fondé de cette démarche, mais elles mettent en garde contre une trop forte pression tarifaire.

Trouble-fête ou régulateur ? Le directeur des achats est l’interlocuteur ?” désormais incontournable ?” des achats de prestations de régie dans la plupart des grandes entreprises françaises. Et il bouscule les relations, depuis longtemps établies, entre direction informatique et SSII. L’achat de prestations informatiques n’est certes pas assimilable à celui de crayons ou de pièces détachées. Mais les gains pour l’entreprise ?” en termes économiques et de rationalisation de ses processus administratifs ?” justifient cette approche.“L’an dernier, nous avons procédé au référencement de 18 SSII, à partir d’un échantillon de 140 sociétés, comprenant les 70 SSII fournisseurs de Mederic “, raconte Jean-Paul Lebrun, directeur des achats du groupe d’assurances. La prise en mains des achats de prestations informatiques dans son groupe a bien entendu pour objectif la réduction des coûts : “Ce référencement s’est accompagné de la mise en place d’un contrat et d’une grille tarifaire types, poursuit-il. A ce jour, environ 85 % de nos achats proviennent des SSII référencées “. Une opération qui permet de substantielles économies …

Consulter en priorité les SSII référencées

Depuis longtemps instaurée dans les entreprises industrielles, et largement promue par les dirigeants de Renault, la relation tripartite entre direction des achats, direction informatique et SSII se généralise depuis quelques mois, notamment dans le secteur des banques et assurances. BNP Paribas, Crédit Lyonnais, Banque de France, Société Générale, AGF, Groupama, AXA, EDF, France Télécom ou Cegetel sont ainsi cités par nombre de professionnels. Certains, notamment AXA et AGF, seraient même accusés d’avoir contraint leurs fournisseurs SSII à réduire leurs tarifs rétroactivement pour l’année 2001… sous peine de ne pas figurer au palmarès de l’année suivante. Globalement, le nouveau fonctionnement est simple : “Les acheteurs évaluent les fournisseurs qui ont la capacité de baisser leurs tarifs et leur proposent une augmentation de volume en échange “, explique Stanislas de Bentzmann, coprésident de la SSII Devoteam. Une logique implacable et générale : les heureuses élues seront alors consultées en priorité pour tout appel d’offres. Et si l’établissement de contrats-cadres ne date pas d’hier, il est désormais quasi systématique et fermement appliqué. “Le rapport de forces s’est inversé. La démarche consiste à professionnaliser un processus d’achat jusque-là atomisé, en réduisant la part d’improvisation. Une véritable logique d’industrialisation “, observe Patrice Caumon, responsable de l’activité intégration de systèmes de Transiciel.

Enchères inversées, soldes et promos

Les SSII encaissent, aujourd’hui, un retour de bâton qu’elles estiment mérité. “Avec la frénésie des projets an 2000 et euro, les tarifs des prestations s’étaient envolés “, avoue ainsi Fabrice Dillies, directeur commercial chez Norsys. La pénurie d’informaticiens et le foisonnement de nouveaux petits prestataires avaient aggravé les dérives, déjà bien connues, dans ce secteur ?” élasticité injustifiée des prix, CV gonflés, etc. Les directeurs des achats et leurs méthodes musclées viennent donc mettre de l’ordre dans ces pratiques. “Ils écrèment le marché. Leur intervention rationalise les relations et oblige les SSII à se repositionner, et à revenir à une réalité du marché plus créatrice de ressources, de compétences et de revenus “, note Arnaud Zilliox, directeur associé de Novencia, SSII de vingt-deux personnes. Impossible, désormais, de facturer un même service à plusieurs tarifs différents dans la même entreprise.D’un autre côté, c’est aussi l’occasion rêvée pour les sociétés de services de voir les modalités de règlement mises à plat et établies noir sur blanc…“L’homologation des SSII fait souvent partie d’une réorganisation utile, reconnaît ainsi Antoine Aronin, président-directeur général d’Algoriel. Les baisses de tarifs dépassent rarement les 5 % sur les prestations en cours, mais elles peuvent atteindre 15 à 20 % sur les nouvelles prestations d’entrée de gamme “, regrette-t-il. De quoi mettre à genoux les fournisseurs : “Nombre de petites SSII sont amenées à cesser leur activité, déplore ainsi Pierre Dellis, délégué général du Syntec Informatique. En effet, comme prévient Fabrice Dillies, chez Norsys, “les prestataires comprennent la volonté d’assainir le marché, mais attention aux excès : le prix de la prestation dépend de celui des salaires.” D’aucuns attribuent les nombreux licenciements en cours à cette nouvelle pression sur les prix. Les effets sont déjà là : le nombre de SSII travaillant en direct avec les grands comptes a sensiblement diminué. Seules les plus grandes subsistent dans les “short lists” (ou listes d’homologation). Du coup, les SSII référencées attendent d’être sollicitées par leurs grands clients. “La prospection auprès des grands comptes ne sert plus à rien “, considère Daniel Fioriti, directeur commercial de Except, petite SSII alsacienne.Et la baisse des prix à la journée ?” entre 10 et 25 %, selon les témoignages ?” introduit luttes acharnées et nouveaux procédés commerciaux : une véritable foire d’empoigne ! “Parfois, on se croirait au supermarché, poursuit Pierre Dellis du Syntec. Les acheteurs procèdent à des enchères inversées : il vous reste cinq minutes pour baisser vos prix de 10 % !” De fait, le site Hitechpros.com a mis au point un service permettant aux entreprises de mettre leurs appels d’offres aux enchères (voir 01 Informatique, n?’ 1683, du 14/06/2002).Alors, pour rester dans la course, les sociétés de services ne lésinent pas sur les ristournes en tous genres. En effet, rien n’est pire pour elles que d’avoir un informaticien en intercontrat. “Certaines SSII préfèrent nous proposer des ingénieurs en intercontrat à prix coûtant plutôt que de les voir inactifs “, rapporte ainsi Jean-Paul Lebrun, directeur des achats de Médéric.

Une qualité en baisse avec les tarifs ?

“On voit de tout, constate aussi Alain Ruiz, directeur des achats de l’Afnor. Quinze jours gratuits, promotions sur certains profils… Ces pratiques ne sont pas nouvelles, mais elles se multiplient “. Il minimise néanmoins les dérives du nouveau système. “Nos fournisseurs ont la garantie d’emporter des affaires lorsqu’ils présentent un bon rapport qualité/prix. Ce qui compte, c’est le meilleur produit au meilleur prix, et pas seulement le coût.”Reste que les sociétés de services mettent en avant le risque que les tractations commerciales prennent le pas sur la bonne marche des projets. “On ne peut pas acheter une Ferrari à 10 000 euros ! “, raille ainsi Pierre Dellis, du Syntec. “Pour les spécialistes des achats, confirme Patrice Caumon (Transiciel), la notion de qualité est difficilement perceptible et la réussite des projets peut en souffrir. Mais il est vrai que c’est plus simple de gérer vingt prestataires que cent.” Claude Curs, président de la place de marché Hitechpros, considère pour sa part que “le donneur d’ordre a plus le choix et obtiendra donc une meilleure prestation “. L’indicateur le plus instructif en la matière sera, sans nul doute, l’évaluation des projets au forfait qui auront été réalisés au cours de cette année. Ce mode contractuel tend, en effet, à entrer dans le même système d’homologation que les prestations de régie. De même, le concept de régie forfaitisée ?” avec engagement de moyens et de délai ?” se généralise. Or “dans les forfaits, les acheteurs vont plus loin dans la négociation”, remarque Antoine Aronin chez Algoriel. Une pression plus importante s’exerce donc sur le prestataire. Celui-ci se voit obligé de tenir ses engagements à des tarifs de plus en plus serrés. D’où des dérapages prévisibles dans la qualité des développements.

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Olivier Discazeaux et Corinne Zerbib