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Pourquoi évaluer l’impact du streaming vidéo sur l’environnement est extrêmement complexe

Un analyste de l’Agence internationale de l’énergie relative les effets de services comme Netflix. Mais son approche pose elle aussi question.

L’impact environnemental du streaming fait débat. La sortie du rapport alarmiste Climat : l’insoutenable usage de la vidéo en ligne du think tank de The Shift Project avait fait grand bruit l’été dernier, repris par toute la presse internationale.
On y apprenait que le visionnage de vidéos en ligne aurait produit « 300 millions de tonnes de CO2 en 2018 ». Soit autant de gaz à effets de serre que l’Espagne ou l’équivalent de près de 1% des émissions mondiales.

Mais d’après George Kamiya, analyste à l’International Energy Agency à Paris, l’étude française serait totalement faussée. « L’impact du streaming sur le climat » serait même 30 à 60 fois surestimé, d’après ses propres calculs. A l’heure où cet article commence à être repris dans la presse, il nous a semblé bon de le soumettre lui aussi à la critique.

Une consommation électrique exagérée

Pour démonter l’étude de The Shift Project, George Kamyia s’est focalisé essentiellement sur la consommation électrique. Il liste les erreurs. Le think tank se serait basé sur des données de 2015 ne prenant pas en compte les progrès récents des data centers qui sont devenus beaucoup plus efficients. Il aurait aussi surévalué la quantité de données transférées chaque seconde en confondant mégaoctet et mégabit par seconde.

Enfin, The Shift Project serait parti du principe que les vidéos de Netflix seraient visionnées à 50% sur smartphone, alors que cette pratique ne représenterait que 5% du total. En conclusion, George Kamiya estime que la diffusion d’une vidéo Netflix en 2019 aurait consommé de 0,12 à 0,24 kWh d’électricité par heure, soit 25 à 53 fois moins que ce qui était initialement avancé.

Un bilan GES surévalué

George Kamiya calcule ensuite le bilan GES (gaz à effets de serre) du streaming exprimé en kg équivalent CO2 par pays. Et là encore il trouve des résultats très en-dessous de ceux avancés par The Shift Project, comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous.

Le premier problème, c’est qu’il présente aussi des moyennes par pays. Il fait ainsi valoir que la France s’en tire mieux que les autres grâce au nucléaire qui émet moins de CO2 car le GES dépend de la façon dont est générée l’énergie.

Sans accompagner sa constatation de la moindre précaution critique, cela revient à promouvoir le nucléaire. Il faut signaler ici que des porte-parole de l’Agence internationale de l’énergie se positionnent régulièrement en faveur du nucléaire pour limiter le réchauffement global. Une position sujette à caution. Car si le nucléaire génère effectivement moins de gaz à effets de serre que le pétrole ou le charbon, c’est une technologie dangereuse, une énergie coûteuse et loin d’être propre. Il consomme beaucoup d’eau, la pollue et produit quantité de déchets non recyclables, dont beaucoup resteront radioactifs plusieurs siècles et dont on ne sait que faire.

Prendre en compte les différents scénarios d’usage

Mais le principal problème est ailleurs. Le bilan GES est, certes, le principal facteur du réchauffement global. Mais en se contentant de ce critère, on risque de semer la confusion dans l’esprit des internautes qui peuvent croire que l’impact environnemental du streaming se limite et se confond avec son empreinte carbone. Le seul moyen de connaître toutes les conséquences du streaming sur notre planète, c’est de réaliser une analyse du cycle de vie multicritère. Or, il est impossible de la calculer en général.

Il faudrait le faire pour différents scénarios sur une même durée : je regarde Netflix sur un smartphone en 4G, je visionne ma série sur une télévision 4K via la fibre optique, ou encore sur mon ordinateur portable avec de l’ADSL.

En fonction du terminal utilisé, de sa résolution et de la technologie d’accès, les résultats seront très différents et les impacts ne se situeront pas au même endroit. Ils pourront se focaliser plus ou moins sur le terminal, le serveur, ou le réseau. « Typiquement, lorsque vous regardez Netflix sur votre grand écran de salon, c’est essentiellement sa fabrication qui impacte », précise l’expert de Green IT, Frédéric Bordage, sur son site.
Mais si c’est avec un smartphone en 4G, ce sont le réseau et les serveurs qui trinquent. Dans le cas d’un ordinateur connecté en ADSL, ce sont les serveurs qui seront les plus sollicités.

George Kamyia s’est arrêté en quelque sorte en chemin en ne réalisant pas d’analyse de cycle de vie multicritère. Cette impasse peut nous faire passer à côté d’un transfert de pollution dans un autre domaine. Elle risque aussi de relativiser les conséquences du streaming. Car il ne faudrait pas déresponsabiliser des services comme Netflix, ni ses utilisateurs. Ils ont une vraie marge de manoeuvre pour adapter leurs pratiques et les rendre plus respectueuses de la planète. Streamer en étant connecté en filaire et non au réseau 4G, ne pas sombrer dans le binge watching en limitant sa consommation, par exemple, toutes ces pratiques raisonnées pourraient tenir lieu de bon début.

Sources : Carbon Brief, Green IT, The Shift Project

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Amélie Charnay