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Officiels ou dissidents, les clubs utilisateurs cherchent leur légitimité

Comme pour affirmer leur indépendance, certains clubs ” fournisseurs ” se sont créés dans un climat de tension. Vis-à-vis de l’éditeur, du constructeur, ou même du club ” officiel “.

Une disquette de mise à jour suspecte, une période de début d’année chargée, un passage à l’an 2000 angoissant, le tout rehaussé d’une assistance téléphonique défaillante… Pour ces quelques petites communes de banlieue parisienne, utilisatrices des logiciels de la société Magnus, rien n’y a fait. Pas même les lettres recommandées. Un vent de fronde se lève au printemps dernier, et plusieurs d’entre elles se regroupent, tout en projetant de créer leur propre club. Une idée d’autant plus étonnante qu’une structure existe déjà : le club Magel. Mais il n’inspire pas confiance. “Nous connaissons ce club, déclare l’un des utilisateurs. Mais j’ai l’impression que nous ne correspondons pas au profil des adhérents : des maires de petites communes, très contents de leurs logiciels… ” Si, dans ce cas, la démarche risque de tourner court, il arrive que la création d’un club vertical (produit ou fournisseur) dans un climat de tension aille jusqu’à son terme.Et la révolte se révèle, en général, d’autant plus forte que les intérêts des utilisateurs sont communs. Ainsi, les marchés dits ” de niche “, souvent déjà constitués en réseaux ou mus par un fort esprit corporatiste, offrent un terreau favorable à l’union sacrée. Le cas de Magnus concernait des communes géographiquement proches, de tailles comparables, et dont les utilisateurs, pour la plupart, se connaissaient. Pour le coup, ces groupes issus de petits marchés – du point de vue de l’éditeur – se retrouvent fréquemment dans la position du pot de terre.Le Club français des utilisateurs de Gesdent (CFUG), logiciel de gestion de cabinet dentaire sur Macintosh, s’oppose depuis un an et demi à un pot de fer nommé Visiodent. Lorsque cet éditeur spécialisé dans l’informatique dentaire rachète Gesdent, en mars 1999, une menace plane : celle de faire passer sur PC les mille huit cents utilisateurs du logiciel. En fait, Visiodent déclare très vite, dans un communiqué, vouloir “profiter du succès commercial du nouvel iMac “. Mais peu importe. Paul Lazaro, dentiste de son état, fonde le CFUG. Objectif : faire évoluer un logiciel trop instable, le garder sur Macintosh, et négocier point par point un contrat de maintenance, qu’il juge “ unilatéral “. Et d’affirmer : “Le média qui fait le plus peur aujourd’hui, c’est internet. Depuis que nous sommes fédérés, nous sommes davantage pris au sérieux par les dirigeants de Visiodent, et aussi par Apple.” Grâce au constructeur, qui vise les marchés de niche, l’association a pu adresser un mailing de recrutement aux mille huit cents utilisateurs de Gesdent, portant le nombre de ses adhérents de soixante-dix à trois cents. Il crée également un forum de discussion – pas très fourni, mais scruté par l’éditeur. Quant à l’insertion d’un lien du site de Visiodent vers celui du club, la réponse aurait été celle-ci, simple et définitive : ” Jamais ! ” Reste que, aujourd’hui, le CFUG manque de membres et de crédibilité.Chez la plupart des grands éditeurs informatiques, un groupement d’utilisateurs existe déjà. Mais un mécontentement de ses membres peut mener à une scission, comme dans le cas de Pro- gress, en France. Les clubs verticaux se concentrent en effet sur les produits d’un seul fournisseur et lui sont donc souvent acquis, mettant de côté toute critique. Sans se soucier de l’évolution du produit lui-même, voire de la pérennité du fournisseur. L’utilisateur peut, dans ce cas, aller jusqu’à pousser ce dernier à dévelop- per son marketing.”Progress n’est pas un nom que l’on cite souvent. Il représente pourtant 25 % des bases de données cachées mondiales. Nous souffrons un peu de sa non-utilisation. Et c’est pourquoi nous obligeons l’éditeur à s’ouvrir, à intensifier son marketing vers les sociétés qui développent des produits sur leurs bases de données. ” Pour Bernard Charnay, directeur des systèmes d’information du groupe Lapeyre, un deuxième club des utilisateurs français des logiciels Progress était indispensable. Dès sa création, au début de l’année 1999, le Progress User Group (PUG) entend déborder le Club des utilisateurs Progress (CUP) sur le flanc marketing. “Nous avons, en outre, considéré que la force de pression n’existait pas “, ajoute Nicolas Bragard, président du PUG et directeur technique de la SSII STI. Il entend faire réfléchir le club sur la politique de licences, la notoriété et le positionnement marketing de Progress. Tout en affirmant que la création du club n’est pas dirigée contre le CUP, même si quelques ” déçus ” – essentiellement des grands comptes – y ont été récupérés. Côté CUP, on s’étonne : “S’il nous manquait cette vision stratégique, nous aurions pu en discuter. ” Se plaçant au-dessus de la mêlée, l’éditeur encourage une saine émulation. Les liens de ces deux associations loi 1901 figurent, du reste, sur son site, sur une même page. Il est, au fond, très difficile de trier le bon grain de l’ivraie. Un club qui se crée sous le signe de la dissidence n’est pas forcément le club qui correspondra le mieux aux besoins des utilisateurs. Ni celui qui sera le plus indépendant du fournisseur, la notion même de dépendance d’un club étant elle-même particulièrement floue.Certains grands comptes, comme Renault et Kraft Foods France, affirment, par la voie de leurs DSI respectifs, “ne pas trop fréquenter les clubs verticaux “. François Gitton, de Kraft, estime même ” s’autosuffire “. “ Nous avons la chance d’appartenir à un groupe important, où les échanges ne se font pas trop mal et répondent à la plupart de nos interrogations. ” Cette logique d’autosuffisance a conduit Essilor à formaliser un club SAS (logiciels décisionnels) en interne. “Nous avons d’abord créé ce club pour organiser nos formations, tient à préciser Didier Lambert, directeur des systèmes d’information du groupe. Nous possédons en effet des modèles de données qui nous sont propres .”Et d’ajouter : “Ce club interne nous permet de sortir des grands-messes, où les utilisateurs se rendent surtout pour montrer que ” ça a marché ”. D’une manière générale, on a un mal fou à avoir des informations réalistes sur les produits.”Car la première requête d’un adhérent, c’est bien de savoir si le produit qu’il a acheté fonctionne correctement, et s’il va évoluer au même rythme que les offres concurrentes. La seconde, c’est de pouvoir justifier à sa direction générale les coûts parfois astronomiques consentis en logiciels ou en matériels. Aujourd’hui, tous les clubs, sans exception, se déclarent indépendants. Et cela avant même qu’on le leur demande ! Et tous ont le souci de ménager leur fournisseur…

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Philippe Billard