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Linux devient un peu moins libre

Alors que le monde Linux n’a jamais été aussi prolifique, certains acteurs envisagent de standardiser les distributions pour limiter les problèmes de compatibilité. Au risque de brider le système d’exploitation.

Il y a trois ans environ, la Linux Standard Base (LSB) voyait le jour. Son objectif : fédérer les acteurs du monde Linux, distributeurs en tête, afin de créer une base de travail à laquelle chacun pourrait se conformer. L’idée, plutôt séduisante de prime abord, n’a pas su convaincre suffisamment d’intervenants pour être réellement suivie d’effets. Début juillet 2000, le Linux Free Standard Group récidive avec les mêmes intentions. Résultat : début octobre 2000, l’annonce est officielle, la LDPS 1. 0 (Linux Development Platform Specification) est créée. Ces spécifications “n’ont pas pour but de dire aux éditeurs comment concevoir leurs distributions, mais de donner l’occasion aux développeurs d’écrire des applications compatibles et portables”, est-il expliqué dans l’introduction de la LDPS.

Tenter de canaliser Linux : un pari osé

En effet, si à ce jour les distributions Linux utilisent les mêmes procédures pour installer des applications, selon certains spécialistes en la matière, le tronc commun n’est pas encore suffisant. “Les développeurs de logiciels commerciaux rencontrent parfois des problèmes avec les distributions qu’ils utilisent, explique Stéphane Fermigier, président de l’association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres (Aful), il peut y avoir des problèmes de compatibilité entre ces dernières et certains matériels. Le plus souvent, il s’agit de bibliothèques absentes ou dépassées.” D’où l’idée de développer des spécifications visant à standardiser un maximum de commandes et d’instructions. Pour les distributeurs, respecter les consignes de la LDPS permet d’offrir aux développeurs un produit aussi complet et standardisé que possible et, pour ces derniers, de concevoir des applications fonctionnant avec toutes les distributions. Ce qui est une assurance de fiabilité et de simplicité de développement. “Il arrive, par exemple, que se présentent des problèmes de compatibilité entre une application et une version trop ancienne du noyau, explique Stéphane Fermigier. Tout est alors mis en place pour qu’un noyau récent bénéficie du code lui permettant de gérer l’ancienne version.”

Bilan des opérations : les utilisateurs de Linux souhaitent promouvoir une base de standards qui garantirait une totale compatibilité entre les applications et les différentes distributions du noyau. Cette solution devrait aider les développeurs à programmer leurs logiciels, voire à porter les applications issues d’environnements concurrents. Parmi les sociétés ayant adhéré au projet, citons IBM, Caldera Systems, Corel, Debian, Enhanced Software Technologies, Linuxcare, Linux for Power PC, MandrakeSoft, Metro Link, Turbo Linux, Red Hat, etc. , soit de gros éditeurs comme de plus petits. Il va de soi que tous n’ont pas les mêmes intérêts dans la création d’une base de standards. “Les spécifications sont assez basiques, dans le sens où, par exemple, elles n’indiquent pas, pour l’instant, quelle interface graphique utiliser ou quel logiciel utilisateur peut figurer dans la distribution. De surcro”t, ça n’avance pas rapidement “, précise Ga’l Duval, directeur technologique chez MandrakeSoft. Pour Bob Young, cofondateur de Red Hat, le constat est sans appel : “Un standard réduira les choix du consommateur. L’existence de plusieurs distributions [Debian, Red Hat, SuSE, Top Linux, etc. , Ndlr] lui permet de sélectionner la version de Linux qui correspond le mieux à ses besoins. Il n’y a pas de taille unique qui corresponde à tout le monde “, déclarait-il lors du salon Linux World. Une position qui est loin d’être neutre. L’éditeur est opposé à LSB depuis ses prémices, de peur que, mis au courant de ses technologies et, le cas échéant, de ses atouts, certains concurrents lui fassent de l’ombre. “Il a tort, réplique Wolker Wiegand, PDG de SuSE, au cours de la même manifestation, la différentiation du produit et l’avantage concurrentiel qui en est ainsi tiré se feront sur la facilité d’installation et d’utilisation, et non sur les 450 bibliothèques fournies dans une distribution.” Un parti pris suivi par Caldera, dont le PDG, Ransom Love, affirme qu’une standardisation de Linux est aujourd’hui indispensable si l’on veut que le grand public adopte enfin Linux. Ce qui est, au fond, le c?”ur du débat et l’enjeu de ces normalisations.Plutôt que de couvrir l’ensemble des distributions, mieux vaudrait mettre l’accent sur le noyau et les applications les plus sollicitées par les utilisateurs et les administrateurs système. C’est à ce prix que la LDPS pourra para”tre efficace et réellement pousser à la mise à jour des distributions. Pour l’instant, la LDPS tente d’imposer un standard sans fantaisie, mais viable en entreprise. Et c’est finalement tout ce qu’on lui demande.

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JEAN-STÉPHANE DEPLUS