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L’informatique au XXIe siècle, une industrie de services

Dopés à la fin des années quatre-vingt-dix, les services sont devenus prédominants dans l’industrie informatique. Le ralentissement actuel de la high-tech ne remet pas en cause ce mouvement de fond qui répond aux besoins des entreprises. Chronique en trois étapes d’un avènement annoncé.

A l’instar de l’ensemble de l’économie, c’est l’activité de service – un marché estimé en France par le cabinet PAC à 111 milliards de francs en 2001, soit 30 % de plus que le matériel ?” qui draine désormais la croissance de l’industrie informatique. Après avoir vendu machines et logiciels sur étagères, les fournisseurs conçoivent et proposent maintenant des “solutions” comportant une part de plus en plus importante de services. Conseil en architecture, installation, paramétrage, maintenance, mais aussi externalisation de parcs, voire de systèmes d’information complets… Ces prestations sont désormais assorties systématiquement d’une large gamme de services, tant en amont qu’en aval. Les alliances s’y font et s’y défont au rythme de l’apparition des nouvelles technologies, rassemblant constructeurs et éditeurs, seuls ou en partenariat avec des SSII ou des cabinets de conseil. De leur côté, les entreprises utilisatrices ?” de plus en plus exigeantes ?” s’intéressent, paradoxalement, davantage à la qualité des services qu’à la performance des technologies qu’elles supportent.Cette montée en puissance est perceptible depuis la fin de la crise des années 1993. Mais ce n’est que cinq à six ans plus tard qu’elle va réellement se faire sentir. Coincées entre l’émergence de la nouvelle économie et le passage à l’an 2000, les directions informatiques des entreprises se sont alors trouvées dans l’obligation de faire massivement appel à des prestataires ?” soit pour renforcer leurs équipes internes, soit pour mener à bien des projets trop complexes pour elles. La généralisation de ce mouvement a brutalement propulsé les prestations intellectuelles au premier rang de la mise en ?”uvre des technologies. Résultat : alors que le prix du matériel ne cesse de baisser et que les éditeurs de logiciels tordent leurs contrats de licence en tous sens pour augmenter leur rentabilité, les prestataires de services améliorent enfin leurs marges. Récurrence des prestations, rationalisation, industrialisation, maîtrise des salaires ou recrutement de jeunes diplômés… Les recettes sont nombreuses, mais l’objectif est unique : accroître la rentabilité. Et même si les événements de ces dernières semaines jettent un voile sur leur croissance jusque-là euphorique, leur prépondérance constitue désormais une tendance lourde et irréversible.

Étape 1” Puis-je faire aussi bien et moins cher ? “

C’est tout naturellement que l’infogérance, principal élément de la flexibilité des services, bénéficie aujourd’hui d’une rare santé. Sous-traitance, délégation de personnel ou externalisation ? Les responsables informatiques sont sans cesse confrontés à ce choix : réaliser en interne ou déléguer tout ou partie du système d’information. Si les directions informatiques et opérationnelles recourent de plus en plus fréquemment à des prestataires extérieurs, leurs critères de décision ont évolué. Aujourd’hui, la question est de savoir comment choisir et implanter des solutions robustes pour créer de la valeur. Réponse de Jean-Pierre Corniou, DSI de Renault et président du Cigref (Club informatique des grandes entreprises françaises) : “Les projets intimement liés au métier de l’entreprise ne peuvent être exécutés qu’en interne. Mais si la conception et la maîtrise d’?”uvre restent en interne, rien n’empêche d’utiliser des sous-traitants pour la réalisation de ces projets.” Impossible, en effet, d’entretenir des armées d’informaticiens à demeure.En revanche, les projets purement technologiques, comme la gestion des infrastructures, peuvent être pris en main par des sociétés spécialisées. “La bonne grille d’analyse est simple : puis-je faire aussi bien et moins cher ?” poursuit le président du Cigref. Le DSI, devenu un prestataire interne de services, sait fort bien qu’il sera mis en compétition avec ses propres fournisseurs. D’où l’importance d’une gestion qui s’inscrive dans la durée : réduction du nombre de prestataires et instauration de relations étroites avec engagement sur le résultat constituent le meilleur gage de qualité du produit fini. “Le savoir-faire réside chez les utilisateurs finals. Ce n’est pas le produit qui fait la différence, mais son utilisation “, précise Jean-Pierre Corniou.Face à cette prise de conscience des entreprises et à l’évolution de leurs exigences, le secteur des services informatiques se professionnalise et se consolide. Ainsi, depuis deux à trois ans, de très gros contrats d’infogérance ont été signés dans les secteurs de l’industrie, des télécoms, de la distribution et de la banque. Pour certains, on gagne à tous les coups. “L’activité d’infogérance est nécessaire en temps de réduction de coûts comme en période de croissance, lorsqu’on se recentre sur son c?”ur de métier “, affirme François Enaud, président de Steria.

Étape 2 L’entrée en course des constructeurs et des éditeurs

Entraînés par ce mouvement vers la sous-traitance, alors même que petit à petit le cercle des acteurs et, notamment, celui des Big Five (secteur de l’audit et du conseil) se réduit, les constructeurs et les éditeurs se tournent vers les services. Ils suivent les traces d’IBM Global Services, qui représente déjà plus de 40 % du chiffre d’affaires de sa maison mère. Et, du coup, avec l’arrivée des puissants, la concentration au sein du secteur s’accélère. Le baromètre : la multiplication des signatures de gros contrats chez IBM, EDS, Cap Gemini Ernst & Young, Steria, Sopra, Logica et autres Atos Origin. Prestations en infogérance, hébergement, accompagnement en conduite de changement, mise en place de solutions e-business. Tout y passe. Porté par l’augmentation des fusions, une concurrence de plus en plus rude et d’inévitables refontes de système d’information, le secteur des services continue de se développer.Les éditeurs entrent alors dans la mêlée. Microsoft vient tout juste de se réorganiser pour mettre au point une offre de services à valeur ajoutée et peaufiner ses partenariats ?” avec HP et Accenture, entre autres. La firme de Seattle intègre pour la première fois des prestations de conseil et de support technique. HP a d’ailleurs bien montré qu’un pôle services ne se crée pas sans investissements.Avec l’absorption de Compaq, il devra, lui aussi, faire ses preuves dans cette arène. Et ce après les déboires de son rachat manqué de PricewaterhouseCoopers. C’est actuellement le cabinet d’audit et de conseil Andersen (anciennement Arthur Andersen) qui, en France, récupère sous sa coupe quelques consultants spécialistes du conseil en management de PWC. Dans le monde des réseaux, l’alliance entre Cisco Systems et Cap Gemini illustre bien la nécessité des compétences métier pour mettre en ?”uvre dans les entreprises les nouvelles infrastructures réseaux.Enfin, sur des secteurs plus spécifiques, comme l’hébergement web, en très forte croissance, les prestataires se sont également multipliés. Venant, cette fois, de tous les horizons ?” du secteur des opérateurs télécoms aux agences du web, en passant par les grandes SSII.Aux hébergeurs viennent s’ajouter les spécialistes de la location d’applications et les loueurs de parc informatique avec de nouvelles solutions, associant toute une panoplie de services informatiques. Cette forte demande de mise en ?”uvre de solutions internet a permis à une kyrielle de petits prestataires d’un nouveau type d’attaquer le domaine des services e-business.

Étape 3 L’éphémère existence des agences du web

Fi System, Valtech, Cross Systems, Micropole, Valoris et autres CGBI (racheté par Jet Multimedia), Himalaya ou SQLI… Les récents déboires des start up ont bouleversé le paysage de ces agences du web. Ainsi des sociétés comme Fi System, qui ont d’abord séduit les analystes financiers, font-elles aujourd’hui l’objet d’opérations boursières (OPA). Pendant ce temps, les grands acteurs, tels IBM Global Services, EDS, Cap Gemini Ernst&Young, Steria ou Atos Origin, investissant ce domaine, participent à sa consolidation. Globalement associés aux grandes solutions internet ?” WAP, portails et places de marché ?”, il ne devrait pas se ternir.Car ?” nouvelle crise ou pas ?” les entreprises, confrontées à une forte concurrence, ne pourront pas se passer d’infrastructures e-business. Avec l’euphorie de la nouvelle économie et de l’an 2000, les SSII s’étaient massivement tournées vers la Bourse. Transiciel, GFI, Umanis, Steria… Moyennes et grandes ont sensiblement modifié leurs modes de gestion afin de profiter de la manne financière. Mais aujourd’hui, alors que les valeurs technologiques sont devenues la bête noire des analystes et des investisseurs, les services informatiques sont touchés, à leur tour, par la faiblesse de l’économie américaine, la baisse des dépenses informatiques et, depuis peu, l’attentisme des entreprises utilisatrices à la suite des attentats du 11 septembre dernier. Le ralentissement du recrutement, la concentration du marché et l’augmentation des intercontrats dans les SSII reflètent cette nouvelle tendance. Conséquence : le service entreprend, lui aussi, sa propre révolution.

Conclusion Une industrialisation créatrice de valeur

Le support et l’infogérance sont les deux domaines où les méthodes d’industrialisation procurent les résultats les plus visibles. Et ce tant dans les SSII que dans les activités de service des constructeurs ou des éditeurs. Si leurs objectifs sont identiques ?” améliorer à la fois la qualité et la rentabilité des services ?”, la mise en ?”uvre prend des formes différentes. Pour la maintenance, le help desk ou la formation, c’est la centralisation amenée par le web qui donne naissance au processus d’industrialisation. L’un des exemples actuellement les plus révélateurs est certainement celui d’Oracle, car le plus abouti. L’éditeur a, en effet, mesuré en termes financiers l’impact de la mise en “self-service” de son activité mondiale de support. Résultat : 250 millions de dollars de gains en novembre dernier. Dans cette activité, par essence très organisée, l’industrialisation par le web a permis à l’éditeur de diminuer très fortement le nombre d’appels téléphoniques de ses clients. Aujourd’hui, 65 % de ces appels sont traités de façon automatique via internet.Le principe ? C’est le client qui résout son problème en cherchant lui-même ses solutions dans la base de connaissances de l’éditeur. Celle-ci a été mise en place en un temps record par une équipe mondiale comprenant une quinzaine de personnes au niveau européen ?” essentiellement des chefs de projet. Le client conserve toutefois la possibilité d’obtenir un contact individuel, qui s’effectue également par l’intermédiaire du web.A terme, traitées par des outils d’analyse comportementale mesurant les fréquences d’accès, les domaines fréquentés, le profil du client et ses besoins en formation, toutes les informations recueillies au travers de la consultation de la base de connaissances seront utilisées pour étendre le périmètre des services mis en ligne, au-delà même des activités de support. “Le self-service a été plus efficace que nous ne le pensions a priori, estime Xavier Stefani, responsable européen de l’activité support d’Oracle. De plus, le web a généré une croissance des activités.”Outre le transfert des appels téléphoniques vers le web ?” avec toutes les économies de personnel que cela implique ?”, cette automatisation a suscité une augmentation générale de l’activité de support. Non seulement les processus internes ont été améliorés, mais le self-service a aussi donné naissance à un nouveau type de services, qui sont, en soi, créateurs d’une valeur supplémentaire. “Il nous a permis d’augmenter nos gains de productivité et nos marges, mais aussi ?” à prix égal pour le client ?” d’améliorer la qualité et la quantité de nos prestations, précise Xavier Stefani. Les appels de nuit, par exemple, sont à présent intégrés dans nos contrats standards. Et cela sans augmentation du tarif.”La création de cette dynamique entre les économies internes liées à la rationalisation des tâches, l’augmentation de la qualité des prestations et l’accroissement global de l’activité est également l’un des objectifs recherchés par les infogérants. Ainsi, pour concilier amélioration conjointe de la productivité et de la qualité, Euriware s’appuie sur une batterie d’indicateurs de plusieurs natures. Les premiers, classiques, mesurent la qualité de service proprement dite. “Le suivi de la disponibilité des systèmes ou des délais de résolution des problèmes nous permet de garantir le niveau de qualité sur lequel nous nous engageons vis-à-vis de nos clients “, explique Jean-Paul Crouzoulon, vice-président du développement d’Euriware.La deuxième série d’indicateurs prend en compte le coût complet (TCO) de la solution informatique ou de la partie du système d’information externalisées. “Lorsque nous avons récupéré, récemment, le parc bureautique d’une grande banque, nous avons effectué tout un travail de rationalisation et de formalisation des coûts annexes, poursuit-il. Ce coût complet, qui comprend à la fois la maintenance, les déplacements et les achats, nous a permis de mettre en place une procédure d’accompagnement du changement.” L’idée ? Il n’est pas certain qu’une nouvelle application, même si elle fonctionne bien du point de vue du système informatique, soit performante au regard des processus métier de l’entreprise. “Nous avons donc créé une procédure d’automatisation des enquêtes de satisfaction des utilisateurs, précise Jean-Paul Crouzoulon. Cela nous permet de rendre plus objective notre relation avec nos directions informatiques clientes, car, une fois l’enquête achevée, nous fixons ensemble, à partir de l’analyse des résultats, les actions précises qu’il faut entreprendre.”Temps passé entre le lancement de l’enquête et les résultats : une semaine ! Cette logique de plan de progrès, qui consiste à reconnaître l’existence des dysfonctionnements plutôt qu’à se renvoyer sans cesse la balle entre client et prestataire, est utilisée aussi bien dans les phases de déploiement que dans celles d’exploitation. Proposée de façon systématique, cette démarche est personnalisée en fonction des besoins du client : une fois la procédure créée, il suffit de la paramétrer pour l’adapter à chaque client.

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