Faire un hit dans la musique en ligne ! Les majors en rêvent depuis qu’elles ont neutralisé le “pirate” Napster et lancé leurs propres juke-box numériques payants en début d’année. Universal Music, Warner, Sony Music, EMI et BMG croyaient pouvoir tarir à la source le phénomène du libre-échange musical sur le net à coup de rachats (MP3.com, Napster) et de procès (Audiogalaxy, Kazaa…). Mais les Big Five ont dû déchanter…Aujourd’hui, la musique en libre-service reste plus que jamais la norme pour les internautes. Selon le Yankee Group, plus de 5 milliards de fichiers musicaux illicites ont transité par internet en 2001. Et malgré la traque lancée par la puissante RIAA (Recording Industry Association of America), le volume de téléchargements illégaux devrait atteindre 7,5 milliards de fichiers en 2005. Parallèlement, les services à péage connaissent des débuts très mitigés aux États-Unis : Press Play (Universal et Sony Music) et Music Net (Warner Music, BMG, EMI) compteraient tout au plus quelques dizaines de milliers de clients. Et pour cause : si 41,5 millions d’Américains ont déjà téléchargé de la musique… seul un internaute sur dix reconnaît avoir consenti à payer pour le faire.
“Une barrière a sauté”
Pour éviter le flop, deux des cinq majors ?”Universal et Sony Music?” ont donc opéré un virage stratégique majeur : depuis le 1er août, la version 2.0 de leur service Press Play permet de télécharger des titres en nombre illimité, moyennant 9,95 dollars (10,1 euros) par mois. Et pour 14,95 dollars, l’abonné peut en plus copier dix morceaux par mois sur CD ou lecteur MP3 portable. Jusque-là, pour ce prix, il n’avait droit qu’à 50 téléchargements… sans formule illimitée. “Durant les six premiers mois du service, nous avons étudié les attentes de nos abonnés. Aujourd’hui, nous leur offrons ce qu’ils veulent”, explique Michael Bebel, PDG de Press Play. “Une barrière a sauté. C’est une concession majeure qui rapproche enfin Press Play des possibilités offertes par les sites illégaux”, confirme Michael Goodman du Yankee Group. Moins en pointe, le concurrent Music Net se refuse encore au téléchargement illimité mais devra rapidement s’aligner s’il veut compter dans le futur paysage de la musique en ligne. L’institut d’études américain Forrester Research, pour qui la piraterie numérique n’est pas seule responsable du déclin des ventes mondiales de disques (- 15 % depuis 2 ans), presse toutes les grandes maisons de disques de faciliter l’achat de musique sur le net. “Premièrement, les consommateurs doivent trouver sur ces plateformes n’importe quel artiste, quel que soit son label. Deuxièmement, ils veulent pouvoir utiliser les fichiers musicaux comme bon leur semble”, insiste Josh Bernoff de Forrester.À ces conditions, l’institut estime que le marché de la musique en ligne pèsera 2,1 milliards de dollars… en 2007. Plus optimiste, le Yankee Group pense qu’il atteindra 5,8 milliards de dollars d’ici à cinq ans, contre 21 petits millions de dollars fin 2002.
Les expériences françaises
Press Play et Music Net ont repoussé leur lancement européen sine die, ne jugeant pas assez mûr le marché du téléchargement payant. En France, deux acteurs majeurs se sont toutefois lancés : Universal Music France a ouvert fin 2001 le service E-Compil (8 euros pour 10 téléchargements par mois, 15,5 euros pour 20) ; de son côté, la chaîne de magasins Virgin Megastore ?” propriété de Lagardère ?” a mis en ligne, fin avril, le site Virginmega.fr (15 euros pour 15 téléchargements). La responsable d’E-compil, Sophie Bramly, dresse un bilan très positif : “Nous avons passé le cap des 5 000 abonnés et vendu 100 000 titres en ligne depuis le lancement. C’est unique en Europe et cela prouve qu’il y a un marché pour les services payants quant l’offre est à la hauteur.” E-Compil ne propose pour l’instant que 3 000 titres en ligne, mais Universal négocie avec labels et majors pour enrichir son catalogue. Objectif : 10 000 abonnés et l’équilibre financier en fin d’année. Pour Virginmega.fr, Laurent Fiscal ne se risque à aucune prévision : “Nous sommes encore dans une phase d’expérimentation, les chiffres n’ont aucun sens.” Il promet toutefois une “version 2 du site pour la fin de l’année qui correspondra au vrai lancement commercial”.Car les rayons de Virginmega.fr sont encore presque vides : 400 titres seulement grâce à des accords passés avec les labels indépendants Naïve et Wagram. Les grosses maisons de disque ont jusque-là refusé de lui ouvrir leurs catalogues. Mais Laurent Fiscal en est convaincu : “Tout le monde finira par se mettre d’accord si l’on veut vraiment que le marché de la musique en ligne décolle.”Reste un sérieux frein au développement des juke-box payants sur le réseau des réseaux en France : si le téléchargement illimité est plébiscité par les internautes, il reste difficilement conciliable avec “un système de rémunération des ayants droit beaucoup plus contraignant qu’aux États-Unis”, estime-t-il.
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