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Les DSI oublient de former leurs collaborateurs

L’informatique aime les paradoxes. Le secteur subit un fort turnover, mais il oublie de former et de fidéliser ses collaborateurs.

Selon une enquête menée auprès des DSI par le groupe Fitec, spécialisé dans l’ingénierie de formation, 70 % des entreprises avouent souffrir d’une pénurie de ressources, mais seules 20 % se sont engagées dans un plan de reconversion. Le dernier panel Apec sur l’emploi des cadres confirme cet état de fait. Les SSII et les éditeurs représentent plus de la moitié des recruteurs de jeunes diplômés (52 % des postes pourvus en 2000), tout en faisant le moins appel à la promotion interne (2 %).

Concilier des intérêts parfois contraires

Soumis à une rude concurrence et au renouvellement effréné des technologies, le marché de l’informatique préfère embaucher à l’extérieur les compétences qu’il a parfois en interne.
Pas de problèmes de mutation, un temps d’attente réduit… Le recrutement externe offre l’avantage de la simplicité, observe Philippe Schneider, DRH de l’activité cartes de Schlumberger CP8. Et puis, on ne prête qu’aux riches. Le secteur préfère les jeunes bien formés.
Le risque est pourtant grand de voir le départ d’anciens collaborateurs ternir l’image de l’entreprise, non seulement en interne, mais aussi auprès des clients et partenaires. Directeur de projet au groupe Fitec, Eddy Gaciot accuse aussi les argumentaires marketing des éditeurs et constructeurs, relayés ?” voire amplifiés ?” par la presse spécialisée.
On nous vend beaucoup de promesses. En informatique, il y a de fortes évolutions, mais peu de nouveaux métiers. “A la décharge des entreprises, mettre en place une structure de reconversion n’est pas une sinécure. Associant la direction générale, celle des ressources humaines et les directions opérationnnelles, elle fait appel à un ensemble de compétences transversales. Au-delà de la formation technique, il y a aussi l’analyse des compétences, l’étude du projet professionnel ou le suivi des candidats. Le plus dur est de concilier des intérêts parfois contraires : d’un côté, les besoins en ressources de l’entreprise, et, de l’autre, les désirs d’évolution de l’employé.Les pionniers de ce mode de management tirent toutefois des conclusions positives, comme le montrent, par exemple, ces deux cas concrets de reconversion, l’une appliquée ” à chaud “, dans le cadre d’un plan social (Bull), et l’autre ” à froid “, avec anticipation des besoins (Cap Gemini Ernst & Young ISM). La plate-forme d’emploi interne, Bull Campus a été lancée en 1999, ” au pire moment “, dit Philippe Schneider, son fondateur.Muant difficilement du statut de constructeur à celui de société de services, Bull annonçait la suppression de mille huit cents emplois. ” Le personnel a vite fait le rapprochement… ” Pour se défaire de l’étiquette d'” usine à retraitement ” collée à Bull Campus, Philippe Schneider joue la transparence. Il délocalise la structure à La Défense ?” au c?”ur du monde des affaires ?” et recourt à des consultants de choc, issus pour une moitié des ressources humaines et pour l’autre d’opérationnels métier.

” Mener B à C parce que A prend la place de B “

Le discours tenu se veut rassurant et centré sur l’individu : ” Devenez acteur de votre parcours professionnel ” ; ” Développez vos compétences ” ; ” Renforcez votre employabilité “. Par ailleurs, Bull Campus applique le principe de confidentialité à la conduite du bilan de compétences. Libre ensuite au salarié de lever le secret au moment opportun. Enfin, Bull Campus dispense des prestations professionnelles dignes de celles de cabinets spécialisés : évaluation, projet professionnel, plans de formation personnalisé, accompagnement individuel, ” inplacement ” et ” outplacement “…En parallèle, des ateliers collectifs sont proposés pour mener à bien sa prospection d’emploi, communiquer son offre de services et dynamiser sa réflexion. ” Entre le diagnostic et la fin de la première phrase [évaluation, plan d’action], il s’écoule quatre mois, estime Philippe Schneider. La recherche de postes à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise peut, quant à elle, prendre plusieurs mois. C’est un puzzle à construire : mener B au poste C parce que A prend la place de B. Nous avons dû aussi en venir, à un moment donné, à un système coercitif en bloquant les recrutements pour placer les compétences internes.

Après vingt mois d’activité, le bilan est globalement positif

Six cents personnes se sont rendues à la Défense, dont la moitié spontanément et l’autre “sous la pression “. Sur les quelque cinq cents salariés qui ont achevé le cycle, plus de 39 % ont évolué en interne, et 12 % sont partis (voir graphique). Fort de ces résultats, Bull Campus a pu communiquer sur les réussites afin de démythifier la reconversion.” Les professionnels des ressources humaines et de l’outplacement se sont sentis dépossédés. Mais combien de bilans annuels sont suivis d’effets ? ” Pour le fondateur de Bull Campus, le dispositif est suffisamment neutre pour être reproduit dans une autre entreprise, en l’intégrant, si possible, dans une démarche préventive. Il reconnaît toutefois que celle-ci ” reste délicate en informatique du fait des retournements de marché “.Cap Gemini Ernst & Young Information System Management s’y risque néanmoins. La SSII utilise aujourd’hui son institut de formation ?” créé en 1992, c’est-à-dire dans une année de crise ?” comme outil d’intégration et de fidélisation. Un moyen éprouvé pour réduire le turnover. “ En tant que leader, nous sommes un grand pourvoyeur d’informaticiens. Les sociétés viennent faire le marché chez nous “, déplore Claude Chiabrando, directeur de la formation interne.

Des systèmes obsolètes aux nouvelles technologies

L’institut, qui forme plus de trois cents professionnels par an, vise deux populations diamétralement opposées : les jeunes sans expérience et les ” anciens ” des grands systèmes. Les premiers, de bac à bac +5, sont formés ?” pour les moins de 26 ans ?” en contrats d’adaptation aux métiers de la production et de l’exploitation. Il s’agit à 90 % de non-informaticiens issus de cursus scientifiques (voir article Les non-informaticiens, une population à conquérir), mais aussi économiques ou littéraires. ” La sélection se fait non pas sur les compétences techniques du candidat, mais sur ses qualités intrinsèques : sens du service, adaptabilité, communicabilité, etc. “A l’issue d’un cursus de trois mois environ, les bac à bac +2 deviendront techniciens ou pilotes d’exploitation, tandis que les bac + 5 pourront prétendre au titre d’administrateur (NT/Unix), voire d’ingénieur. Ce dispositif concernera 30 % des mille embauches prévues pour 2001. ” Le bilan est mitigé, reconnaît Claude Chiabrando. En l’absence d’une clause de dédit de formation, le turnover est important passé deux ans d’ancienneté dans l’entreprise.

La problématique de la reconversion des professionnels en poste

La reconversion des professionnels en poste repose sur une tout autre problématique. Elle porte sur la migration des systèmes obsolètes (HP 3000, Bull DPS7, etc. ) vers les nouvelles technologies (Unix, Windows 2000 et autres). La formation ?” de trois à quatre mois ?” accueille de soixante à quatre-vingts volontaires par an.
Ils n’ont parfois que le certificat d’études, mais ils démontrent un potentiel par leur débrouillardise et leur capacité de travail. “A la différence de Bull, la reconversion se fait au grand jour, avec remise des tests d’évaluation au directeur d’agence dont dépend le collaborateur. Et comme ” devenir administrateur Unix quand on a été pendant des années au pilotage des bandes, ce n’est pas rien “, la SSII fête dignement la fin du programme, avec cocktail de clôture et remise de diplômes. Le bilan est, de fait, doublement satisfaisant : pas d’échec sur le terrain et une fidélisation renforcée.” Nous présentons nos collaborateurs à nos clients comme des administrateurs juniors, récemment formés avec les tarifs en rapport. Ils apportent en plus leur connaissance de l’exploitation. “La reconversion repose aussi, pour Claude Chiabrando, sur un devoir moral. ” Retourner à l’école reste douloureux. Un accompagnement est donc indispensable. Ces collaborateurs nous ont servi pendant des années. Il s’agit de ne pas les laisser tomber. “Au-delà de l’aspect humain, Eddy Gaciot rappelle quelques évidences. ” On ne remplace pas des piliers de quarante ou cinquante ans par de jeunes diplômés sans dégâts. Le nez collé à la technologie, les ingénieurs débutants en oublient la notion de service continu pour ne jurer que par le développement et les nouveaux langages. Autour, c’est une nébuleuse… “.S’il est impossible de déterminer le retour sur investissement d’un plan de reconversion, il reste, selon les entreprises pionnières, plus rentable qu’un plan social ou un recrutement massif.

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Xavier Biseul