Passer au contenu

Le Nasdaq mérite-t-il tant de stress ?

Quand il tousse, toutes les Bourses s’enrhument. À tort ? Non, car le poids de cette place financière ?” 4 900 sociétés cotées ?”, son organisation, sa rigueur et sa stratégie médiatique en font un baromètre incontournable.

La Bourse de Paris, 15 h 30. Dans quelques secondes tout va basculer. Il est 9 h 30 du matin à New York et les transactions reprennent sur le Nasdaq. “On se précipite sur les sites internet pour voir à quel niveau ouvre le Nasdaq, car on sait alors tout de suite comment réagira Paris“, raconte Jean-Claude Lévy, un ingénieur de Seine-Saint-Denis qui fait du day-trading. “Il n’y a aucun doute, c’est la place de référence pour le high-tech“, affirme Alain Tingaud, PDG d’InfoVista, qui a réussi à y introduire sa société de services informatiques en juillet dernier.Trente ans après sa création, le Nasdaq est devenu le thermomètre de l’économie mondiale. Quand il monte ?” comme jusqu’en mars 2000 ?” ou quand il tremble, Paris, Londres et Francfort suivent comme un seul homme. Une telle influence, un tel pouvoir est-il justifié ? Le stress généré par le Nasdaq à la Bourse de Paris, mais aussi dans le monde économique en général est-il légitime ?Les chiffres, d’abord, justifient son rang. La capitalisation boursière du Nasdaq dépasse 42 milliards de francs. C’est plus que celle des trois principales Bourses européennes réunies. Il rassemble 4 900 sociétés, ce qui constitue un record mondial ?” le nouveau marché en compte seulement 160.On y rencontre des stars comme Intel, Cisco ou Microsoft ?” qui n’a jamais voulu aller se faire coter sur le grand marché américain, le Nyse (New York Stock Exchange), pour y avoir été refusé une première fois. La salle d’attente du Nasdaq est pleine. “Les entreprises se bousculent au portillon“, commente Doreen Davis, vice-présidente de Nasdaq International. “Nous avons réalisé 500 introductions en 2000. “Les volumes échangés, eux aussi, sont imbattables : 2,5 millions de transactions par jour, pour une valeur globale de 580 milliards de francs, 1 500 fois plus que sur le nouveau marché. Et tout cela rapporte : la maison mère du Nasdaq (le NASD, l’association nationale des sociétés de Bourse) affiche un chiffre d’affaires 1999 de 1,2 milliard de dollars et 154 millions de dollars de résultat net.Le poids du Nasdaq est encore amplifié par le battage publicitaire et médiatique qu’il organise. Budget 1999 ? 51 millions de dollars.En plein centre de Manhattan, à côté des théâtres, l’entreprise Nasdaq a érigé en janvier 2000 un grand immeuble, le Market Site. Coût de la vitrine : environ 260 millions de francs. À l’extérieur, un écran haut comme sept étages projette sur la rue toutes les cotations du marché.Entrez, et vous trouverez un studio de télévision équipé de quatre caméras et d’une connexion satellite, une salle de montage, ainsi que des bureaux prêtés ?” gratuitement ! ?” à des chaînes telles que Bloomberg ou… Yahoo! Finance. Plus de 150 reportages sont tournés chaque jour. Deux journalistes de CNN sont postés au Market Site et peuvent ainsi, facilement, parler du Nasdaq en flux continu.Sur le web, le site nasdaq.com génère déjà 7 millions de pages vues par jour (le site français boursorama.com en affiche 4 millions). Huit autres sites spécialisés ont été créés à l’attention des journalistes ( nasdaqnews.com) ou des intermédiaires financiers ( nasdaqtrader.com).

Quand la suspension automatique des cotations évite le délit d’initié

Avec une telle exposition médiatique, il n’est pas surprenant que les événements qui touchent le Nasdaq soient amplifiés dans le monde entier. Exemple, parmi d’autres, de l’hyperréactivité du système : un matin de septembre dernier, Apple déclare que ses résultats seront inférieurs aux objectifs ; le lendemain, le cours de son action chute de 50 % !Il est vrai, aussi, que le Nasdaq oblige les entreprises à un devoir de transparence unique au monde. De plus, après chaque communiqué important, les dirigeants des entreprises doivent organiser des “roadshows“, c’est-à-dire des présentations aux analystes et aux investisseurs pendant une dizaine de jours.Un tel degré de transparence s’obtient aussi par la contrainte : aucun marché n’est aussi surveillé que le Nasdaq. Quand une action descend durablement en dessous d’un dollar, elle est dégagée de la cote, mésaventure qu’ont récemment connue plusieurs valeurs internet.

Entrer au Nasdaq ? C’est long, difficile et ça coûte très cher

Dans un bâtiment anonyme perdu dans la banlieue de Washington, à Rockville, Maryland, la vice-présidente, Sheila Dagucon, et son équipe de 28 personnes traquent aussi toutes les transactions suspectes. Le prix d’une action grimpe trop vite par rapport au marché ou par rapport à sa moyenne historique ? Deux minutes plus tard, la cotation est suspendue. La raison ? Le principe d’égalité des actionnaires devant l’information.En effet, quand une action “décroche” ou bondit de manière trop rapide, l’origine du mouvement provient généralement d’une nouvelle dont le grand public n’a pas encore connaissance. Sheila Dagucon et son équipe du Market Watch ordonnent alors un arrêt de la cotation et n’autorisent la reprise des transactions que lorsque l’information a été diffusée à tout le monde.Autre atout du Nasdaq : la sélection sévère des sociétés. “L’entreprise qui veut y accéder se soumet à une opération de nettoyage“, dit Alain Tingaud, PDG d’InfoVista, un fabricant de logiciels. Les auditeurs doivent mettre aux normes les documents comptables des cinq dernières années.Les avocats remplissent les formulaires de candidature, dont le plus important (le fameux F1, aussi appelé “red herring” en référence à la bordure rouge qui le caractérise) fait une centaine de pages. Celui-ci est ensuite envoyé à la SEC.S’ouvre alors une longue phase de va-et-vient successifs jusqu’à satisfaction totale des autorités de marché. Alors seulement, l’entreprise peut commencer à séduire les investisseurs au moyen de tournées de prospection qui peuvent durer un mois et “coûtent grosso modo deux fois plus cher qu’une introduction sur le nouveau marché français “, estime Alain Tingaud.L’issue est sans pitié : “Un management pas assez solide ? Une société trop dépendante d’un seul patron ? L’entreprise pourra dire adieu au Nasdaq“, conclut Louis Page, gérant du fonds d’investissement Window to Wall Street.Volumes importants, grande transparence, procédures rigoureuses : le géant Nasdaq n’est pourtant pas sans faille. Les investisseurs se souviennent encore du scandale de 1996.Les ” market makers ” (de grands établissements comme Merrill Lynch ou Goldman Sachs) étaient alors les seuls intermédiaires autorisés à intervenir sur le marché. Ils possédaient un monopole sur toutes les transactions et aucun investisseur ne pouvait connaître les vrais niveaux d’offre et de demande.”C’était un racket organisé“, commente Greg Millman, auteur de nombreux ouvrages sur les marchés financiers. En 1996, on a découvert que ces “market makers” s’entendaient pour fixer artificiellement les prix.Les autorités de marché ont réagi, en 1997, en autorisant la création d’intermédiaires concurrents des “market makers“, les ECN (electronic communications network). Leurs noms ? Bloomberg Tradebook, Instinet (Reuters) ou Island. Leur rôle ? Permettre aux petites transactions d’être réalisées en toute transparence. “L’accident a bien tourné ! “, estime Kevin Foley, PDG de Bloomberg Tradebook.

Le comble : le Nasdaq pourrait bientôt être… coté au Nasdaq !

Aujourd’hui, les “market makers” collaborent même avec les ECN. Par exemple, lorsqu’ils veulent passer discrètement un ordre important, ils passent plusieurs petits ordres par l’intermédiaire des ECN, ce qui leur permet de le faire de façon anonyme et d’éviter ainsi de créer la panique sur le marché. Tout le monde y trouve donc son compte. Affaire classée…Le Nasdaq se trouve aujourd’hui confronté à une autre difficulté, externe cette fois : la concurrence des autres places boursières mondiales. Après tout, une entreprise peut très bien choisir d’aller se faire coter ailleurs que sur le Nasdaq. Déjà, Paris, Amsterdam et Bruxelles se sont rapprochées pour créer l’Euronext. Londres et Francfort réfléchissent à un projet commun baptisé iX.Le marché boursier high-tech américain se prépare donc, comme n’importe quelle entreprise, à ” exporter ” son concept. Un Nasdaq Canada existe déjà et une filiale devrait prochainement voir le jour au Japon.Problème ? Pour s’institutionnaliser et développer sa technologie, le Nasdaq doit… lever des fonds. L’Association des sociétés de Bourse (National Association of Securities), qui en est le propriétaire, se voit donc contrainte d’ouvrir son capital à des investisseurs privés : 40 % en juin 2000 et les deux tiers prévus en 2001. Et l’objectif annoncé est même d’introduire ensuite le Nasdaq… au Nasdaq.

🔴 Pour ne manquer aucune actualité de 01net, suivez-nous sur Google Actualités et WhatsApp.


Anne Rein