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Le livre n’a plus peur du numérique

Longtemps considéré comme une menace, le livre électronique fait à présent partie de la stratégie des éditeurs, des auteurs et des libraires. À ce rythme, il pourrait même remettre la littérature à la mode aux yeux des plus jeunes.

Pour tout objet high-tech, se faire une place sous le sapin s’apparente à une remise de lauriers. Et pour le livre électronique, c’est enfin parti ! Même si ce ne sont encore que les lauriers du meilleur espoir, pas encore la consécration suprême qu’ont déjà reçue les smartphones, netbooks, Nintendo DS et autres baladeurs MP3. Mais cela viendra, nous répètent en chœur les acteurs français du livre. Et qu’ils soient à l’unisson, c’est déjà le signe d’un avenir prometteur. Rappelez-vous, nous étions en 2006, et les liseuses faisaient alors figure d’objet high-tech non identifié dans le paysage. La technologie d’affichage par encre électronique faisait ses premiers pas sur les liseuses de Sony et de Bookeen vendues entre 400 et 600 euros… et qui n’accueillaient pratiquement que des ouvrages tombés dans le domaine public.Autrement dit, les liseuses reviennent de loin. Dans un premier temps grâce à une prise de conscience généralisée de la part des pièces maîtresses de l’industrie du livre. Auteurs, éditeurs et libraires ont compris qu’ils n’ont aucun intérêt à freiner des quatre fers le passage, inéluctable, au numérique. Quitte à ce que les livres se dématérialisent, autant que cela se produise sous leur contrôle. Normal. Et tant qu’à faire, avec des recettes éprouvées. Celle d’Apple notamment, qui veut qu’un appareil soit associé à une plate-forme de services adéquate. Ce fut le cas des iPod et d’iTunes, c’est aujourd’hui le modèle que reprend l’iPad avec l’iBook-Store et qu’ont choisi Amazon avec ses Kindle, les magasins Fnac avec le Fnac-Book, ainsi que France Loisirs et Chapitre.com avec leur liseuse commune, le Oyo. Le modèle économique est pratiquement identique à celui de la musique, donc, à tel point qu’ils ont tendance à reproduire les mêmes erreurs. Celles-là même qui, justement, l’empêchent d’obtenir ses lauriers définitifs.

Des tarifs incohérents

Les prix, pour commencer. Celui des liseuses est enfin passé sous la barre des 200 €, certes, mais celui des livres est encore trop élevé. Les éditeurs clament haut et fort que les ouvrages numériques sont vendus entre 20 et 30 % moins cher que leur version papier, mais cet écart est encore trop mince au regard de l’économie qu’ils représentent en termes de fabrication et de distribution. Et les éditeurs se basent sur le prix des versions classiques des livres, et non sur celui des formats compacts (Livre de Poche, Folio, Pocket, etc.). Il n’est ainsi pas rare de trouver des ebooks vendus près de deux fois plus cher que leur version de poche. La Horde du Contrevent, d’Alain Damasio, par exemple, est vendu 9 euros en poche et 15 euros au format ePub sur la plupart des plates-formes. Absurde ! Selon Florent Argentier, directeur marketing de France Loisirs, “ il faudrait que les éditeurs baissent le prix des nouveautés numériques entre six et douze mois après leur sortie, comme ils le font déjà en sortant les éditions de poche. Cela éviterait ces écarts de prix incohérents qui nuisent à l’image du format numérique ”. Pour faire baisser les prix, on aurait aussi pu s’en remettre au jeu de la concurrence entre les librairies en ligne, mais le Sénat, sous l’impulsion des éditeurs, a voté fin octobre une loi qui leur retire toute marge de manœuvre. Celle-ci les oblige, en effet, à ne pas toucher au prix fixé par les éditeurs. Conséquence : les plates-formes proposent toutes les mêmes tarifs, à la virgule près et ce, qu’elles soient situées en France ou à l’étranger. Un amendement précise même que cette loi doit s’appliquer à toute librairie en ligne proposant ses services dans l’Hexagone. Autrement dit, à celles d’Apple, d’Amazon, ou de n’importe quel acteur ayant des visées hégémoniques sur le marché du livre en France. Il faut dire que personne, dans les maisons d’édition françaises, n’a envie qu’Apple s’accapare le marché du livre comme il l’a fait avec la musique.En obligeant les géants à s’aligner sur leurs prix, les éditeurs empêchent ainsi les plates-formes de tirer les tarifs vers le bas. Et ils parviendront forcément à leurs fins dans le sens où le marché du livre, en tout cas en langue française, est de fait local. Les géants ont ainsi fondamentalement besoin des éditeurs, aussi petits soient-ils, pour alimenter leurs plates-formes.Enfin, les éditeurs ont longtemps milité pour que les livres électroniques soient soumis au même taux de TVA réduit que les livres classiques, soit 5,5 %. Le Sénat leur a donné raison fin novembre en votant un texte en ce sens dans le cadre du projet de loi de finances 2011. Une disposition qui pourrait donc faire baisser le prix des livres, comme nous l’ont promis la plupart des éditeurs. Seul bémol, ce taux réduit est contraire au droit européen, ce qui pourrait ralentir considérablement sa mise en application. À suivre, donc…

Des livres sous les verrous

Du marché de la musique, celui du livre a aussi emprunté les DRM (Digital Rights Management), ces verrous numériques qui brident l’utilisateur dans son utilisation du fichier. Et ils sont, eux aussi, un frein à l’adoption massive des liseuses dans la mesure où on trouve aujourd’hui trois types de verrous incompatibles entre eux : celui d’Amazon ne fonctionne que sur les Kindle et avec le logiciel du même nom ; les livres de l’iBookStore d’Apple exploitent un dispositif propriétaire proche de celui des fichiers audio achetés sur iTunes ; et, enfin, le système Adept (Adobe Digital Experience Protection Technology) d’Adobe qu’ont choisi la plupart des autres fabricants de liseuses, dont Sony et Bookeen. En clair, on fait au livre numérique les mêmes reproches émis à l’époque à l’encontre de l’industrie du disque, longtemps accrochée à ses DRM avant de les abandonner presque intégralement aujourd’hui. De nombreux signaux, toutefois, montrent qu’ils pourraient rapidement disparaître de nos ouvrages électroniques. D’abord, ils forcent l’utilisateur à ne se fournir que dans une seule enseigne alors que la diversité de l’offre est une clé essentielle à l’adoption du livre électronique. Ensuite, ces DRM sont très faciles à “ déplomber ”, y compris par les lecteurs les moins technophiles (nous ne donnerons pas la procédure ici).

Deux chantiers prioritaires

Certains auteurs se sont même montrés défavorables à la mise en place des DRM, estimant que le livre numérique devait composer avec le piratage. Et certaines librairies en ligne, dans une démarche militante, ont fait le choix de les supprimer. “ Nous avons, dès les premiers couacs, fait remonter à nos fournisseurs les plaintes des clients mécontents de l’usage limité et frustrant qu’ils pouvaient avoir des livres numériques qu’ils avaient achetés. Aujourd’hui, c’est fini. Aller plus loin serait nous rendre complices d’une arnaque au lecteur ”, explique sur son blog Charles Kermarec, qui dirige la librairie Dialogues.Le prix des ouvrages à revoir, et l’interopérabilité à favoriser, voilà les deux chantiers que les acteurs du livre ont tout intérêt à faire avancer. Et ils en sont capables, si l’on en croit les progrès réalisés ces derniers mois. Hachette et Google ont enterré la hache de guerre depuis que le premier a autorisé le second à numériser une partie de ses ouvrages disparus des rayons. Et, à voir la motivation d’un auteur de best-sellers comme comme Marc Lévy, on se dit que le livre électronique est sur la bonne voie. Le piratage? “ Oui, j’en ai peur, mais personne ne peut l’endiguer. Et à quoi bon, finalement ? Personne n’a jamais interdit aux gens de se prêter des livres entre eux. Il est essentiel que l’offre légale soit suffisamment intéressante ”, confie-t-il. Il se peut, aussi, que l’impact du piratage soit soit largement surestimé. D’abord parce que parce les Français ne lisent pratiquement que des livres en français et que seuls des francophones peuvent scanner des livres et les mettre à disposition sur les réseaux de partage. Nous sommes donc loin du piratage massif de la musique, des films et mas des films des séries qui, lui, sévit au niveau mondial. Loin aussi de l’économie souterraine qu’il génère, comme nous l’explique le porte-parole de Team Alexandriz, l’un des principaux sites de diffusion de livres numériques scannés : “ Nous sommes une organisation non lucrative et bénévole, nous essayons de partager notre passion pour la littérature, de permettre la diffusion de la culture, en particulier d’œuvres méconnues, non rééditées, de séries cultes absentes de l’offre légale. La Team a pour vocation de pallier le manque d’initiatives dans le domaine à l’heure où le livre numérique est en plein boom. ” Et l’équipe ne lésine pas sur la qualité : “ Nous classons nos ebooks en fonction de leur état d’avancement : du “ scan ” à “ diffusé ” en passant par “ correction et MEP ”, “ attente de relecture ”, “ relu ”, “ package et conversion ”, “ vérification des packs et test de rendu sous différents readers ”, “ bon pour diffusion ” ”. Le but, au final, est de promouvoir le format numérique en étoffant l’offre éditoriale. Tout en pointant du doigt les lacunes du marché actuel : “ Les DRM qui brident les utilisateurs, le prix des ebooks indexé sur les grands formats papier et non sur les poches, d’où des prix élevés, l’obligation d’achat d’un support précis (epub ou PDF) au lieu d’une œuvre, obligeant parfois celui qui change de reader à repayer le support, etc. ”. Finalement, les librairies en ligne illégales proposant des ouvrages en français, comme Team Alexandriz, sont très peu nombreuses. Et elles sont montées par des passionnés qui, par ailleurs, n’ont aucun intérêt à nuire au monde du livre. Cette démarche intellectuelle vise au final à redonner aux Français le goût de la lecture, un but qu’a tout intérêt à poursuivre l’ensemble des librairies.De l’avis de tous les professionnels du secteur, le livre électronique ne fera pas disparaître le livre papier puisqu’il est avant tout un nouvel outil de lecture, complémentaire. Mais lui seul peut encourager les jeunes à lire davantage, sur un support dont ils sont plus familiers : l’écran.

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Christofer Ciminelli et Nicolas Robaux